je brise

2 minutes de lecture

05/06/2019

J'écrivais sur ce gros volume en vélin, m'appliquant à de belles enluminures avec ma plume d'oie noyée dans l'encrier. La flammèche d'une bougie regardait danser mon ombre sur le papier fin, et révélait une vieille pièce tout alentour : c'était un antique cabinet ésotérique, qui avait peut-être autrefois appartenu à quelqu'étrange alchimiste. J'écrivais comme si le livre était le mien, avec l'aisance du propriétaire, nullement inquiété par les squelettes et les organes formolés entreposés çà et là. Je tenais dans la main droite un petit œuf, que je couvais consciencieusement de la chaleur de ma paume. L'œuf semblait la source de mon inspiration : tout ce qui pouvait en sortir au terme de la couvée, je l'imaginais, et prenais un intense plaisir à décrire les infinis possibles dans les moindres détails. Tant que rien n'en était véritablement sorti, tous mes fantasmes pouvaient devenir réalité, et en cela ils étaient comme tous réels en même temps. Je crois que c'est de là que je tirais ma magie. C'était un temps de bonheur et d'attente, qui dura trop longtemps pour compter les mois.

Or, un jour, par mégarde, l'œuf m'échappa et vint se fêler par terre. Épouvanté par ma maladresse, je me maudis et me penchai au ras du sol : la coquille tremblotait, trépignait de rage. Une petite ride noire la rayait alors, qui sous la pression intérieure paraissait s'élargir et fumer. Me mortifiant de tout mon soûl, je plaçai les mains au dessus de la coquille, en psalmodiant une incantation druidique héritée des plus bénévolents guérisseurs. Lentement, avec une réticence peu à peu chloroformée, la brèche se mit à rétrécir, s'amoindrir jusqu'à ce que la carapace ovale soit comme neuve. Les tremblements, la fumée et les couinements avaient cessé aussi.

Tout à fait rassuré, je m'emparai de l'œuf et le portai à mes yeux. Il était parfait. Puis il éclata. Non pas comme un simple œuf de caille qui lâche son jaune et son blanc, non : ce fut une véritable déflagration, une nuée de sang et de morceaux de chairs. En une seconde, toute la salle avait été repeinte en rouge, et des lambeaux de hachis poisseux pendaient de partout. Je restais immobile, en état de choc, les yeux bouillant contre le maigre fond de coque resté dans mes doigts. Tous les anges, tous les monstres que j'avais imaginé pouvoir sortir de l'œuf y avaient bel et bien poussé, mais ces chimères avaient été déchiquetées, broyées et vomies lors de l'explosion. Le volume où j'écrivais grouillait de vermisseaux de viande. Je tentai de tourner la page, de reprendre mes travaux, d'oublier l'œuf. Mais tout était imprégné du sang des bêtes rêvées ; la page collait. En tentant de la détacher, je ne la fis que saigner, et, de rage, déchirai l'ouvrage. Mes pieds trempaient dans les tripes. Je babillai quelqu'incantation pour me voiler la face... le sang avait tué même la magie. J'en vins même à douter de ma place dans le cabinet de sorcier, à jamais souillé. J'empochai la plume et l'encrier, et, larmes aux coins des joues, m'enfuis en geignant.

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