Mathilde tue

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03/06/19

Je lui ai souvent demandé comment tuer un enfant qu'on aime. Mathilde avait eu un bambin, quelques années durant, qu'elle aimait de tout son cœur. Or un jour il fallait qu'elle le tue. Elle n'en avait pas envie, mais elle finit par croire qu'elle le voulait. Mais comment faire alors ? Elle ne se résolvait pas à la facilité de la cruauté : changer l'amour en haine, comme un tour de passe-passe, et trouver là la justification du meurtre. Exclus donc tous les moyens de torturer; saigner, égorger, bref, toute souffrance. Mourir, juste mourir, ne peut pas faire de mal. Il fallait aussi être discret, éviter le chahut public et les ambiances de supplice – sans compter que le gamin devait ne se douter de rien, ne sentir aucune peur, aucun chagrin autour de lui. Que ce soit bref, surtout ; elle ne supporterait pas de longue agonie, fût-elle sans douleur. Dans ces conditions, les techniques d'assassinat se restreignaient grandement, aussi Mathilde choisit-elle de se procurer un peu de ce poison foudroyant, qui fait expirer en un soupir de soulagement. Il faudrait plonger la grosse seringue droit dans le cœur, fort, d'un coup, et tout presser. Soir après soir elle s'agenouillait au giron de l'enfant endormi, les deux poings prêts à s'abattre. Jamais elle n'a osé.

Alors, à chaque fois que je lui ai demandé comment tuer un enfant qu'on aime, elle n'a répondu qu'un mot :

"Mal."

Quand elle a réalisé qu'elle ne pourrait jamais tuer son enfant de sang froid, pas comme ça, elle est sortie de la chambre à coucher du petit, et a fermé la porte à clef. Un instant, elle a pensé s'enfuir, loin, mais elle chassa cette idée aussitôt : comment se résoudre à quitter le petit corps qui respirait, juste là ? Elle se coucha au pas de la porte, et sanglota si fort que son môme se réveilla. Elle attendit toute la nuit, paralysée face aux cris, appels et pleurs de son enfant. Elle resta ainsi encore un jour entier, les oreilles embuées de larmes. La deuxième nuit, les cris se firent des plaintes ; le deuxième jour, les plaintes d'épars appels. Puis le décompte du temps s'arrêta. Lorsqu'enfin le dernier sifflement affamé fut poussé, elle ouvrit la porte et embrassa le corps sans vie. Depuis, Mathilde est comme morte au monde.

Quand je lui demande pourquoi elle devait absolument tuer l'enfant qu'elle aimait, elle me répond qu'elle était enceinte. Une fois, la première fois, je m'étais exclamée que ce n'était pas une raison : qu'est-ce qui nous empêche d'avoir deux enfants, d'abord ? Je ne l'ai jamais répété : elle m'a regardée comme une bête, et jeté le plus dédaigneux plissement de lèvres. Ma mère ne m'a jamais aimée. Pourtant, ce soir, je lui prouverai qu'on peut se comprendre, enfin. La nouvelle est toute fraîche : j'attends le petit deuxième.

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