je teste

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À Ludivine, inspiré d'un de ses dessins dans la marge.

23/05/2019

La docteuse vient d'inventer les graines de visage, et, en tant que premier assistant du laboratoire, c'est moi qui suis chargé de les tester. La dernière trouvaille du génie ressemble sensiblement à un bulbe de plante, à cela près que les graines sont roses, et couvertes d'un mucus collant, dont je dois apparemment me méfier. Comme mes sujets de test sont d'un barbant monumental, je décide d'emporter les prototypes chez moi, dans le petit sachet prévu à cet effet. Non, ce n'est pas imprudent : j'ai les notes de la docteuse avec moi, et puis, ce n'est pas la première fois. Je prévois de mener à bien les expériences sur mon temps libre, au parc, ce weekend.

***

Après vérification, je me suis montré quelque peu imprudent. Je n'aurai pas dû emporter les graines hors du labo. La docteuse va me tuer. Bref, je les ai perdues. Pourtant, tout commençait bien : les passants, en voyant mon uniforme de scientifique, me saluaient respectueusement. Ce n'est que justice, après qu'on les a tant aidés ! Combien d'autres ont-ils été soignés de leur addiction à la nicotine grâce à nos clous à fumer ?

Ainsi encensé, je me suis installé sur une nappe dans l'herbe, au bord du lac. Sans doute un peu engourdi dans mon jugement par la gaîté ambiante, j'ai décidé de tester les graines en même temps que de pique-niquer. J'ai sorti le sachet sans me méfier des badauds alentours. La mode est aux trucs qui flottent : cerfs-volants, ballons et baudruches. Y'en a pas un pour regarder devant lui, tant les nez pointent vers les nues.

Une large bouchée en un sandwich huileux m'a caché la vue, juste le temps pour un enfant piaillard de me rentrer dedans. Les graines furent projetées hors du sachet en une giclée épouvantable, et le gamin lâcha son ballon. J'ignorai les plaintes du morveux colérique et courut récupérer les expériences. La plus proche s'était fichée en plein dans un arbre, à même l'écorce. Pas moyen de la décrocher pourtant – et ce gamin qui hurlait toujours ! Je jetai un rapide coup d'œil autour : partout les bulbes se mettaient à croître, les traits les plus rudimentaires se dessinaient. J'en repérai encore cinq au sol, trois dans le lac, plus celui sur l'arbre : voilà mes dix graines réunies. J'observai attentivement les mouvements de la face grossissante : des joues gonflèrent, une barbe poussa et enfin tout un visage d'homme ornait la plante, lequel me regardait d'un air ahuri. De même au sol où je manquai de piétiner un spécimen ; dans l'eau où les carpes affichaient de drôles de figures.

Mais allait-il enfin se taire ! Je tremblait d'effroi : l'enfant avait lui aussi reçu une graine, en plein le nez, et une trombine adulte de pantin sans âme lui couvrait malséamment la face. Je tâtai les yeux vides de l'expérience et lançai, satisfait :

« J'espère qu'avec ceux-là, au moins, tu regarderas où tu vas ! »

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