il monte

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13/03/19

Chez les amateurs de randonnée, impossible de passer à côté de la route du Pic : dans tous les guides, elle est la plus fine crème des plus belles promenades du pays. Les commentateurs ne tarissent pas d'éloges et s'extasient au souvenir des merveilleux panoramas, mais tous confessent : jamais aucun n'est parvenu au sommet du Pic. Le point de départ, au bout du val d'en-bas, grouille tous les matins de hordes de passionnés venus des quatre coins du globe. Au début, le chemin est si large qu'on n'en voit pas les bords, et le Pic paraît crever les cimes du ciel. La seule voie praticable suit l'arête du mont, fine limite entre deux précipices mortels.

Un ami à moi s'y est risqué l'an dernier. Il voulait prendre de la hauteur, croquer toute la Terre d'un clin d'œil. C'était un dur alors, biberonné aux plus âpres monts : l'Himalaya, les Andes et le Kilimandjaro étaient tapissés de ses traces de bottes. Tout couvert, bâtons et tentes et vivres et cordages, il se préparait à une simple randonné comme le meilleur des alpinistes, sans considérer une menace nouvelle : la foule. Simple tête dans une mer de bonnets, mon ami fut bousculé et percuté au point même d'en perdre contact avec le sol, simplement ballotté par le flux de la masse. Partout on chuchotait, geignait, hurlait, caquetait ou seulement pensait ces trois mots : "Je veux voir !". Pourtant, on gardait tout le temps les yeux rivés sur ses pieds, de peur d'achopper contre une pierre, un homme couché, ou un dolmen d'hommes couchés. À de très rares occasions, les promeneurs relevaient le menton pour estimer la distance restante avant le Pic. Or, il semblait toujours aussi éloigné ; un bien meilleur indicateur aidait à cette estimation : en effet, plus on progressait sur le chemin, plus il réduisait en largeur. Puisqu'il ne pouvait contenir autant de randonneurs qu'aux étapes précédentes, on n'hésitait pas à pousser le surplus, de telle sorte que tous employaient une somme considérable d'efforts pour ne se trouver qu'au centre de la procession. À force de coudées, mon ami parvint enfin au Pic, le point le plus haut. Lorsqu'il précipita un dernier malheureux pour lui prendre la place suprême, il se rendit compte que le Pic lui pressait la plante du pied. Effilée comme une aiguille, la pointe le perça franchement et remonta jusqu'au genou en un rien. Entre ses pleurs, il remarqua enfin la pile d'hommes embrochés sous lui. Redoutant que le pal ne le troue de part en part, il se pencha suffisamment fort pour s'y arracher. La chute fut terrible, et dura des heures.

Quelques guérisseurs autochtones se mêlèrent de le rapiécer, dans une petite cahute cosy au bout du val d'en-bas. Je m'y rendis en hâte, boîte de chocolats en main. Je n'ai jamais aimé les trop hauts chemins, il nous font oublier d'aller là où l'on veut. Mon ami m'accueillit d'un sourire un peu tordu ; il évitait de trop bouger pour conserver encore quelques bouts de membres bleuis. Je souris en retour :

"Alors, comment était la vue ?"

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