je me suis échoué

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12/03/19

Je me suis échoué, encore. Je me réveille avec du sable plein la bouche. Mes vêtements, en séchant, ont formé des croûtes d'iode qui les rendent cassants. Je lève un peu les cils et meus la nuque à la manière d'un gyroscope. De la plage, encore de la plage, partout, et jamais de mer. Entre deux grommellements – vaines tentatives de reconquête de ma voix écaillée – je laisse mes doigts malaxer la grosse poussière blonde. C'est un sol sec et granuleux, stérile à souhait, où l'on reconnait l'étrange relief qui palpite un peu à le trop longuement contempler. J'ai soif. Je n'essaie même pas de me lever ; pas la peine de briser mon paletot en mille tessons. Je resterai là tant que le désert ne m'aura pas avalé, je le sais, c'est tout le temps la même chose.

Dans ma tête, tout est blanc : où me suis-je noyé cette fois ? En attendant que la mémoire revienne, je m'évertue à déloger un calot qui m'entrave la trachée. Il est mieux coincé que ce que je pensais ; ma toux se fait raclements, ravalements, et je me congestionne si fort que d'un coup glisse un bibelot. Il me vient aux mains tout poisseux d'algues, avec la nausée des remous et les cris des mouettes. Je reconnais une statuette des peuples primitifs, un petit fétiche à la bouche affamée... C'est la madeleine ; et peu à peu, la scène revient d'un coup.

Une table sépare deux chaises où siègent deux hommes. L'un est une femme, l'autre est moi. Sur le bureau, seule trône la figurine hilare. Dès que je lève les yeux, il me semble qu'elle m'écrase, alors je tapis mon regard au sol. La femme dit : "Dites-moi l'histoire."

Je réponds laquelle. Elle répète :

"Dites-moi l'histoire."

Je ne sais toujours pas laquelle. Alors je lui sors un classeur bourré de mot, et qui sent très fort le rêve. Je commence une histoire, tu sais, celle qui t'a plu. Malgré mon enthousiasme, ma voix reste chevrotante, anxieuse, et je sens à son soupir que la femme est agacée. Je crains que ce ne soit pas ce qu'elle demande.

"Ce n'est pas ce que je demande."

Le fétiche rit de plus belle. Quelques gouttes salées fuient des disjointures de la salle. Les mains tremblantes, je porte à mes yeux une autre histoire. Mais à chaque fois, ce n'est pas ce qu'elle demande ; à chaque fois, la statuette hurle à t'assourdir une ville ; à chaque fois, un pan de tuyauterie cède et m'inonde d'eau verte. J'en ai jusqu'aux genoux. Les larmes aux joues, j'épuise mon stock en babils impertinents, déchire les feuilles, de rage, et pilonne les plus belles histoires... mais toujours ça n'est pas ça.

Soudain mes oreilles cèdent, les canalisations explosent, et dans la marée, j'avale l'idole qui m'hurle à la gorge. Puis l'air manque, et plus rien. J'ai échoué, encore.

Tout seul dans le désert alentour, je souris jusqu'aux oreilles, et pique un de ces fou-rire... qui cesse à l'instant où m'avalent les sables mouvants.

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