Tom coupe

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07/18

C'est le premier jour d'école du petit Tom. Tout content, il ouvre son cartable, et dedans, ne trouve qu'un jeu de couteaux. Chaque lame est gravée du nom d'un de ses petits camarades. Il prend celle qui s'appelle Julie. Il joue avec et lit : «ju-lie». La petite fille de devant se retourne. C'est Julie. Par surprise, Tom s'enfonce le couteau dans la joue, juste assez pour s'érafler. Julie demande : «quoi?». Et Tom ne dit rien, parce que le sang lui est monté à la joue ; il veut sortir, son sang. Julie fait de nouveau face au tableau blanc. Le garçon ne supporte pas de ne plus voir son joli visage.. Alors, par instinct, Tom chope le couteau de ju-lie du bout des ongles. Il égratigne sa joue au même endroit où le sort l'avait d'abord blessé ; et chaque minute apporte son coup. Par instant, il a mal, mais il veut se faire une belle plaie pour elle, alors c'est pas grave. Il pourrait détacher son regard du cou voilé de cheveux de sa voisine, mais il ne veut pas. Tom sourit béatement, et le sang coule de sa joue ; il coule beaucoup, et il crie très fort : «ju-lie!». Mais la petite fille ne sait pas le sang ; elle reste droite sur sa chaise.

Le soir, au dîner, il n'a pas très faim, il gratte son entaille pour l'élargir un peu avant le demain. Le papa de Tom, lui, a une grosse balafre, en plein le nez, toute pleine de croûtes et de gangrènes. Il n'y touche plus plus depuis longtemps, et Tom sait que c'est celle de sa maman. Le papa voit la lésion de son fils, comprend, ne dit rien ; peut-être a-t-il raison. L'enfant dort très fort cette nuit, et sa blessure fermente à une vitesse incroyable. Quand il se lève, elle est devenue le centre de gravité de son corps ; il titube ; il faut qu'il s'y habitue. En tout ce temps, Tom a perdu beaucoup de sang, mais ça n'est pas suffisant.

Les cours reprennent, et le petit garçon creuse de plus belle, en lui, l'antre de celle qui alimente tous ses songes. La joue est cependant mauvais goût : on ne peut pas descendre bien profond sans trouver vide ou os, alors il faut élargir. Tom élargit, élargit : il veut qu'elle le voie, qu'elle comprenne combien il veut souffrir pour elle. Soudain, il va la voir à la récré, et sourit bien crânement, la tête tournée vers l'immense trou qu'il a fait. Il cherche désespérément un signe, une éraflure chez cette ange strict. Mais tout son cirque le fait ressembler à un singe, et Julie n'est plus qu'une strige. De rage, il saute sur elle, jette le couteau contre la joue de la petite fille. Il veut qu'elle ait la même plaie que lui, quitte à la faire lui-même. La lame glisse, et jonche au sol. Enfin, il regarde autour de lui. Une autre petite fille le contemple, mesmérisée. Elle a une large blessure à la joue, qu'elle finit d'aménager avec un couteau marqué «tom». Le garçon prend dans sa trousse un autre coupoir nommé «mar-got», lit-il. Elle acquiesce, et Tom passe son couteau tout le long de la traînée qu'avait laissée Julie, pour qu'à jamais ce nom soit effacé de son jeune visage.

Il passe tout le reste de la journée à coller sa joue contre celle de Margot. Le sang perdu par l'un est récupéré par l'autre, et chacun ne s'est jamais senti aussi complet qu'en se vidant de soi.

Ce soir, il rentre chez lui et pense à Margot. Il a eu de la chance qu'elle ait été là, car dans ces histoires de plaies, il y en a qui vont jusqu'à perdre la tête.

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