Le balayeur de rues devrait être mieux payé

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Dans certaines villes, il fait bon vivre la nuit.

La chaleur du jour, emmagasinée dans les murs des rues, se distille encore après le départ du soleil, le temps que l'euphorie des heures folles vienne prendre le relai.

Mais pas ici. Ici, il fait froid comme dans une pierre. La nuit n'est réservée qu'au long vent strident, qui hurle contre les volets et fait renoncer quiconque à s'aventurer au dehors.

Il n'y a pas de couvre-feu, mais c'est tout comme. Les gens savent. Ils ont réglé leurs habitudes pour achever la journée avant que le froid ne tombe.

L'alcool ni la laine n'ont jamais su faire le poids. Il y a eu quelques aventuriers, quelques jeunes fougueux.

Mais après le drame du petit Jacob, parti trop tôt assurément, personne n'osait plus défier la lourde chape nocturne.

Petit village tout contre la montagne, les explorateurs ne venaient pas dans ce coin.

La chance et l'ennui d'un rempart naturel faisait que tout le monde se connaissait.

Pas de forces de l'ordre, le commissariat le plus proche étant deux villages plus loin.

Pas de secours non plus, les habitants savaient se débrouiller.

Grâce à une éducation survivaliste, transmise assidûment, l'atmosphère restait celle d'une bourgade sereine et conviviale.

Marco avait toujours vécu quand le soleil dormait.

Noctambule intrépide, il a arpenté les grandes villes des années durant.

À la mort de sa grand-mère, il est revenu résider dans cette maison, socle de son enfance.

Mais si les années l'ont assagi, rien n'a pu le détacher du calme intense de l'obscurité.

Vivant d'abord sur de maigres économies et les quelques aides des voisins, il a ensuite commencé à travailler de nuit.

Pas vraiment enclin aux passions, Marco vivait pour les sensations.

La complexité l'importunait, l'implication le fatiguait.

Le calme, la tranquillité, voilà ce qui le remplissait.

Il avait grandi dans le creux de la montagne, il connaissait le froid.

Il avait appris à reconnaître la caresse langoureuse qu'il laissait dans le dos avant de saisir la conscience.

Sensation qu'il appréciait, sans jamais s'y abandonner.

Cette menace silencieuse avait manqué à sa dernière décennie.

Pas tellement épais, il expliquait que sa résistance au froid venait de sa solidité d'esprit.

Il cohabitait avec le froid, il ne cherchait pas à le fuir, il l'observait pacifiquement.

Marco était bien le seul oiseau nocturne. Même les animaux ne se risquaient pas à pointer le bout de leur museau.

Cette nuit-là il s'ennuyait, le travail avait été mince, rapidement réalisé.

Le temps était encore long avant de rentrer. Impossible de se coucher plus tôt, il regorgeait d'énergie.

Impensable de rester assis, le mouvement seul conditionnait sa survie.

Les rues n'avaient pas changé depuis son enfance, il les connaissait par cœur.

Collectionneur insatiable, Marco était toujours en quête de nouveaux lieux, porteurs de nouvelles sensations.

Il y avait bien cette route, que seul l'autobus avait empruntée pour les emmener chaque matin à l'école du village voisin.

Le paysage y défilait toujours trop vite, floutant les détails.

Il décida de sillonner un bout des quinze kilomètres séparant les deux villages.

Cinq kilomètres parcourus, il commença à rebrousser chemin, son ennui rassasié.

Il entendit alors un faible écho, porté par le vent, celui d'une voix essoufflée.

Derrière lui, à une dizaine de mètres, une silhouette courbait le dos, secouée de tremblements.

Il a vu suffisamment de cas d'hypothermie par le passé pour reconnaître la détresse de cette personne.

Porter quelqu'un sur une si longue distance, réalité qui semblait jusqu'alors peu envisageable.

Si l'adrénaline en est la cause, son inventeur est un génie.

Maintenant elle ne tremblait plus, sous les trois couches de laine, un thermos à la main.

La maison de sa grand-mère était vaste, mais aussi dotée d'une imposante cheminée.

La jeune fille, une vingtaine d'années à tout casser, ne parlait toujours pas.

Ses yeux vides dissuadaient Marco de la questionner.

Il la laissa dans le salon, considérant le repos comme la meilleure solution.

Police, pompier, ni médecin n'auraient pu faire quoi que ce soit face au corps gelé qui aurait pu les attendre à l'aube si ...

Si Marco n'avait pas été là.

Sans trop réaliser le sens de cette soirée, il pensa simplement : le balayeur de rues devrait être mieux payé.

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