Une sorcière

10 minutes de lecture

Une sorcière

Découragé, Quentin s’était laissé choir à terre et c’est en levant les yeux vers Laetitia qu’il aperçut, un peu plus haut, une sorte d’anfractuosité dans le rocher qui pourrait peut-être les protéger quelque peu de la neige et leur permettre de restaurer leurs forces, ainsi que de tenter de faire le point au sujet de leur problème.

La panique du garçon était contagieuse et avait gagné Laetitia dont les larmes ne tarissaient pas. Celle-ci était en effet persuadée que cette fois tout était perdu. Son cauchemar était devenu réalité et soit les deux enfants allaient mourir de froid ou ils seraient dévorés par le Yéti. Et cette fois monsieur Verdier ne viendrait pas lui sauver la vie en l’éveillant de son cauchemar…

Incapable d’émettre une seule pensée cohérente tant le froid et la peur l’engourdissaient, la fillette se laissa tirer par Quentin en laissant son esprit s’envahir de pensées, toutes plus tristes et plus morbides les unes que les autres et en revoyant les visages de ses parents, ses frères et sœurs, ses amis, ses instituteurs, ses moniteurs…

Quentin la fit asseoir à l’abri du rocher qui s’était avéré être une petite grotte et la fillette n’avait plus qu’une seule envie : s’endormir !

Mais le garçon veillait au grain ! Il avait été assez stupide pour entraîner une enfant de dix ans dans la montagne au risque de se perdre, il n’allait pas maintenant l’abandonner à son sort ! Il était responsable d’elle et tant qu’il en aurait la force il la protégerait ! Pas question de s’endormir cela pourrait lui être fatal par ce froid !

La nuit était maintenant totalement tombée et si Laetitia n’était plus capable de réfléchir, le cerveau de Quentin, lui en revanche fonctionnait à plein rendement. Le garçon se rongeait les sangs en imaginant la panique que leur escapade avait dû semer au centre, au village, ainsi que chez ses parents… Surtout son père qui connaissait l’existence du Yéti et sa présence dans les parages et qui lui avait confié son secret… Il lui avait fait confiance et l’avait traité en adulte responsable et lui s’était comporté comme un gamin totalement irresponsable. Son père ne serait pas seulement paniqué et triste, il serait aussi profondément déçu par l’attitude de son fils… Il fallait qu’il se rattrape, qu’il fasse tout ce qui était en son pouvoir pour sauver Laetitia et la ramener saine et sauve au centre fût-ce au prix de sa propre vie !

Ses réflexions chevaleresques furent troublées par ce qui ressemblait fort à un rugissement de bête féroce. Quentin tenta de se persuader qu’il ne s’agissait en réalité que du bruit de la tempête ou du vent gémissant dans les arbres… tout en sachant fort bien qu’il n’en n’était rien.

Le Yéti ! C’était bel et bien le Yéti qui avait retrouvé leurs traces ! Ils étaient perdus ! Il allait les dévorer ! Jamais plus on ne les retrouverait ! Jamais on ne retrouverait même le moindre indice permettant de savoir ce que les deux enfants perdus dans la montagne étaient devenus. Quentin et Laetitia avaient fini par s’assoupir sans s’en rendre compte. Ils ne s’aperçurent pas de l’ombre qui tout à coup boucha l’entrée de la petite grotte. Pas plus qu’ils ne réalisèrent qu’ils se faisaient soulever de terre et transporter à travers la montagne comme s’ils ne pesaient pas plus que deux simples sacs à provisions.

En s’éveillant Laetitia et Quentin s’aperçurent qu’ils avaient dormi sur deux espèces de paillasses et qu’ils étaient emmitouflés dans de chaudes couvertures. Les deux enfants se regardèrent sans comprendre. L’environnement leur était tout à fait inconnu. On aurait dit l’intérieur d’une maison ancienne, pauvrement meublée. Le sol était fait de terre battue, les murs en pierres nues. Au milieu de la pièce se trouvait une table et un bon feu flambait dans une grande cheminée. L’endroit avait somme toute l’air assez accueillant! Comment diable avaient-ils pu arriver jusqu’ici ? Et surtout où se trouvaient ils ?

Laetitia frissonna et se calfeutra dans ses couvertures. Quelqu’un lui avait ôté sa veste ainsi que ses après-skis. La petite fille n’avait plus aussi froid et le sommeil avait entièrement restauré ses forces mais elle était néanmoins inquiète et surtout son estomac criait famine…

Quentin se leva, remit ses chaussures et fit deux fois le tour de leur abri. Effectivement ils devaient se trouver à l’intérieur d’une maison. Il y avait une porte et une fenêtre également mais les volets étaient clos et seul un rai de lumière filtrait à travers les planches disjointes du volet, éclairant faiblement la pièce dans laquelle les deux enfants se trouvaient.

Quant à la porte, un rapide examen permit au jeune garçon de constater qu’elle était fermée à clé !

Laetitia se décidait à son tour de se lever lorsque tout à coup, la porte s’ouvrit et à leur grand effroi une créature digne d’un film d’horreur pénétra dans la pièce…

C’était une petite vieille sans âge, édentée, le visage tanné par des années de vie au grand soleil, buriné par les intempéries, toute vêtue de noir. Elle portait une cruche remplie de lait. Cette apparition laissa Laetitia sans voix.

- Alors vous êtes éveillés les enfants ? Questionna aimablement la vieille. Vous deviez être fatigués car vous avez fait le tour de l’horloge !

- Quoi ! S’écria Quentin. Vous voulez dire que nous sommes ici depuis tout ce temps ? Mais ils doivent être fous d’inquiétude en bas !

Le jeune garçon se dirigea vers la porte mais la vieille femme l’arrêta.

- Cela ne te servirait à rien de sortir maintenant mon garçon, il y a une tempête de neige et tu ne réussirais qu’à te perdre à nouveau ! Venez asseyez-vous à table, je vous ai apporté de quoi déjeuner !

- Il n’y a pas le téléphone ici ? Interrogea Quentin plein d’espoir.

- Penses-tu ! Je n’ai même pas l’électricité ni l’eau courante ! Comment aurais-je le téléphone ? Et surtout à quoi me servirait-il ? Rétorqua la femme. Mange Laetitia, c’est du bon pain frais et du lait de mes chèvres! Continua-t-elle.

Laetitia qui allait enfourner un bon morceau de pain dans sa bouche suspendit son geste.

- Mais comment connaissez-vous mon prénom ?

Un sourire un peu ironique plissa le visage ridé de la vieille.

- Je connais ton prénom parce que je te connais Laetitia, tout simplement !

- Comment ça vous me connaissez ? Fit la petite fille interloquée. Mais moi je ne vous connais pas ! Je ne vous ai même jamais vue !

- Même moi je ne vous connais pas, et pourtant je suis du coin ! Rajouta Quentin. Et pourtant j’ai l’habitude de me balader partout et de parler aux gens. Je connais presque tout le monde !

La vieille dame se contenta de sourire aimablement tout en coupant de larges tranches de pain et en remplissant à nouveau les bols de lait.

- Où sommes-nous ici ? Insista le jeune garçon. Et comment sommes nous parvenus jusqu’ici ? Ce n’est tout de même pas vous qui nous avez portés de la grotte où nous nous étions réfugiés jusqu’ici ?

- Vous êtes ici chez moi ! Se contenta de répondre la vieille femme.

- Chez vous, mais où est ce chez vous ?

- Nous sommes dans le village abandonné de Coste Belle. Daigna-t-elle expliquer.

- Dans le village abandonné de Coste Belle ! Mais comment sommes-nous arrivés jusqu’ici ?

- Oh vous n’êtes pas tellement loin de l’endroit où on vous a trouvés, la grotte est à moins de cinq cent mètres d’ici !

- D’accord mais cela ne nous dit toujours pas comment nous sommes arrivés jusqu’ici et qui nous a trouvés…

- Mais personne ne vous a trouvés au sens où tu l’entends mon garçon ! En fait c’est Laetitia qui m’a appelée au secours.

- Mais qu’est ce que c’est que cette histoire ? S’exclama Quentin qui commençait à perdre patience.

- Comment aurait-elle pu vous appeler au secours alors qu’elle ne m’a pas quitté durant tout le temps où nous étions dans la grotte ?

- Tu penses que je suis folle n’est-ce pas ? Mais dans ce cas comment seriez-vous parvenus jusqu’ici?

- Mais je n’en sais rien ! C’est justement ce que je me tue à vous demander ! Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ? Comment sommes-nous arrivés chez vous et surtout comment pouvons nous repartir vers le village et quand?

Quentin était au comble de l’exaspération. La longue errance la veille dans la montagne, la peur du Yéti, la faim, l’inquiétude de ses parents ainsi que celle des professeurs de Laetitia, le sentiment horrible d’être le responsable de tout ce gâchis et maintenant cette horrible vieille qui se moquait de lui et qui avait l’air d’être folle ! Il y avait des limites !

Mais la vieille souriait toujours et c’est à Laetitia qu’elle adressa sa réponse :

- Tu m’as appelée au secours fillette, tu as le don…

- Le don ? Quel don ? Interrogea Laetitia.

- Tu as le don mais tu ne le contrôles pas et surtout tu ne le maîtrises pas ! Tu es encore bien trop jeune ! Pour l’instant ton esprit agit plutôt comme un récepteur, pas tellement comme un émetteur bien que dans certains cas d’extrême urgence ou de danger tu parviennes à émettre des messages, des appels au secours…

- Mais que signifie tout ce charabia ? Explosa Quentin. Est-ce que oui ou non vous allez vous décider à nous répondre au lieu de nous raconter des histoires stupides ?

- Dédaignant de répondre au jeune garçon, la femme continua son discours décousu en s’adressant uniquement à Laetitia.

- Tu as le don petite ! Il est tellement puissant en toi que je l’ai ressenti avant même que tu n’arrives à La Pousterle ! Je t’attendais, je savais que tu allais venir !

- Vous… Vous saviez ? Bégaya la petite. Mais comment ?
- Comme toi Laetitia ! J’ai le don ! Je suis ce que tu appellerais une sorcière et moi aussi j’ai le don ! J’ai reçu ton message! J’ai intercepté ton SOS !
- Vous êtes une sorcière ? Gémit Laetitia paniquée. Une vraie sorcière ? Mais… Mais ça n’existe pas les sorcières !

- Bien sûr que les sorcières existent ! Mais pas au sens où tu l’entends ! Pas comme tu les vois dans tes livres d’histoires ! Les sorcières ne sont pas des horribles vieilles femmes volant sur un balai et te transformant en crapaud si par malheur tu leur déplais !

- Alors c’est quoi ?

- Une sorcière ou un sorcier, car il existe autant d’hommes que de femmes bénéficiant de ces pouvoirs, c’est tout simplement une personne capable de préparer des potions qui guérissent ou qui rendent malade, qui connaît les herbes et leur pouvoirs, qui est capable de prédire l’avenir et de lire dans l’esprit des gens et bien d’autres choses encore…

- Alors c’est simple ! Intervint Quentin. C’est vous qui avez le don, c’est vous qui avez lu dans l’esprit de Laetitia ! Ce n’est pas elle qui est une sorcière comme vous le prétendez !

- Tu n’y connais rien mon garçon ! Moi je te dis que ton amie a le don et je sais de quoi je parle ! Je le sais depuis une semaine, avant même de l’avoir rencontrée ! Car une sorcière peut non seulement lire dans l’esprit des gens se trouvant face à elle mais également dans l’esprit de ceux qui sont loin et qu’elle n’a jamais rencontrés !

- Mais c’est insensé ce que vous dites ! D’abord vous prétendez que vous la connaissez et vous connaissez même son prénom, et maintenant au contraire, vous affirmez que vous ne l’avez jamais rencontrée ! Est-ce que vous êtes sûre de savoir ce que vous voulez et ce que vous racontez ? Et dans mon esprit est ce que vous êtes aussi capable de lire ? Bien sûr ! Dans ton esprit je lis que tu me prends pour une vieille folle qui radote ! Mais je ne t’en veux pas ! Tu es un garçon réaliste et tu es déjà suffisamment tracassé avec cette histoire de Yéti pour t’embarrasser en plus d’une vieille sorcière ! Mais je te l’ai dit, je ne connaissais pas Laetitia réellement ! Je dis que je la connais car elle émet des ondes tellement puissantes que je les ai captées. Ensuite j’ai mis de l’ordre dans tout cela et je suis parvenue à lire dans ses pensées comme elle est parvenue à lire dans les miennes…

- Moi ? Je suis parvenue à lire dans vos pensées ? Mais je n’ai reçu aucun message ! Objecta Laetitia.

- C’est tout à fait normal fillette ! Tu as le don, tu reçois des ondes mais tu es encore jeune et tu manques d’expérience ! Alors tu ne parviens pas encore à les décoder. Tu ne te contentes de percevoir des images où des messages que bien souvent tu ne comprends pas, qui te font peur et que tu prends pour des cauchemars car ils se mêlent étroitement aux images de tes rêves ! Ce qui t’empêche de les en dissocier.

- Des cauchemars ! J’ai fait plein de cauchemars depuis mon départ en classes de neige ! Comment pouvez-vous le savoir? S’inquiéta Laetitia qui commençait à paniquer.

Je le sais parce que c’était moi qui hantais tes cauchemars! Oh, je te rassure sans vraiment le vouloir ! Disons que tu m’avais perturbée car j’avais capté tes pensées. Tu étais tellement impatiente de venir ici en classe de neige que je l’ai ressenti, c’est pour cela que je ne suis pas parvenue à maîtriser mes pensées…

- Mais ce n’est pas de vous que j’ai rêvé, c’est du Yéti ! C’est le Yéti que je rencontrais dans tous mes cauchemars, rectifia la fillette.

- Laetitia ! Tu me déçois. Reprocha la femme. Tu n’as pas encore compris que le Yéti ou moi c’était exactement du pareil au même ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire FrancescaCalvias ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0