CH VII Johnny Depp -1. Partie de cache-cache dans le magasin bio

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Si vous aimez deux personnes en même temps, choisissez la seconde. Parce que si vous avez vraiment aimé la première, vous ne seriez pas tombé amoureux de la deuxième - Johnny Depp

Avez-vous entendu quelque chose d'utile sortir de la bouche d'un acteur ces derniers temps? - Bruce Willis


Dans le rayon des boissons, mon regard tomba tout de suite sur lui. Il était en train d’examiner les jus de fruits, un sac de course léopard dans la main.

De bas en haut, il portait : des santiags bleues, un jean troué, une veste noire sans manche et un chapeau en paille. Johnny Depp. Qu’est-ce qu’il foutait là ?

Depuis que j’habitais dans le coin, je ne l’avais jamais rencontré et voilà qu’il apparaissait soudainement avec son sac de course invraisemblable dans mon magasin bio.

Je ne pus m’empêcher de repenser à la vision que j’avais eue l’autre fois dans la salle de sport. N’avait-elle pas agi comme une prémonition ?

Putain, j’en avais les chevilles flageolantes. Non seulement mon pouvoir d’attraction sur les acteurs s’amplifiait mais en plus je connaissais par une sorte de sixième sens le prochain avec qui je fricoterai.

Cela expliquait pourquoi James Franco ne m’était pas apparu avant le café. Nous n’avions pas baisé ensemble (cet enfoiré avait bien tenté dans l’hôtel mais je l’avais aussitôt rembarré, menaçant de le laisser comme un con la bite en rade et les couilles pleines. Entre parenthèse, la branlette à deux doigts s’avéra une mauvaise affaire et si j’avais eu un sixième sens pour deviner l’avenir, croyez bien que j’aurais planté James Franco dans le café lui abandonnant l’addition que j’avais pourtant tenu à régler. Ça lui aurait défrisé le bouc et tassé le boulard dans les chaussettes. J’avais perdu quinze précieuses minutes de mon existence en le suivant. Tout ça pour un renseignement de merde. Le même d’ailleurs que ma copine Linda. Maître G. En me le disant, James Franco avait cru que j’allais lui en être reconnaissante d’une sodomie à sec. La gueule qu’il fit en voyant la mienne et en remarquant ma répulsion devant la carte du médium qu’il me tendait. Dans le top des offenses qu’il avait subies, celle-ci avait direct obtenu une place sur le podium. Au moins médaille d’argent. Je lui aurais craché à la gueule, ç’aurait été pareil).

Là, si Johnny Depp m’accostait, je savais que je ne résisterai pas à ses avances. Nous baiserions et forcément, je m’enliserai un peu plus dans les sables mouvants nocifs dans lesquels j’étais déjà bien enfoncée.

Cette baise comme une prise de LSD, alimenterait le processus avancé d’altération de ma réalité, la truffant à nouveau d’éléments cinématographiques : un dialogue, une scène, un extrait. Et je le craignais, tout ça pour me conduire à un autre rapport avec un autre acteur encore plus infectieux, déformateur de réel.

Aussi tachai-je de me faire la plus discrète possible en passant à côté de lui.

Manque de bol, il tourna la tête dans ma direction juste à ce moment-là.

Le cœur battant, je bifurquai vers la boucherie et feignis d’examiner des steaks.

L’employé qui me connaissais me jeta un regard stupéfait, je ne prenais jamais de viande et n’hésitais pas à afficher mon mépris devant cet étal que j’estimais inutile et affligeant.

Comme je le redoutais, Johnny Depp ne tarda pas à venir, les yeux brillants de convoitise sur ma personne. Il allait ouvrir la bouche quand je partis en trombe telle une formule 1 après le plein d’essence.

- Eh bé, entendis-je dans mon dos tandis je manquai de peu de me cogner contre une femme plus ridée qu’un cul de vache.

- Eh oh attention !, prouta-t-elle, choquée par mon surgissement bordeline.

Virant à droite, je ne lui répondis pas et me servis des graines de courge et de sésame. Pas de raison que je me laisse aller à la panique à cause de la présence de la star.

Bon, j’y croyais moyen mais s’il était un tant soit peu raisonnable, il n’insisterait pas. Pensée qui fut aussitôt contredite par la venue de l’intéressé, déterminé à faire ma connaissance (je le lisais dans ses yeux) quitte à montrer les griffes de son sac léopard ou les lames en acier de ses santiags.

Ni une ni deux, je lui tournai le dos et, empruntant un chemin tortueux, retournai au rayon barbaque.

En me revoyant, l’employé eut une mimique déconcertée, peut-être crut-il en premier lieu que je cherchais à le draguer ?

Cependant, à l’apparition de Johnny Depp et surtout à mon air désemparé, l’homme comprit la situation et essaya de me venir en aide :

- Euh, monsieur Depp…, fit-il sur un ton beaucoup trop déférent pour être net.

- Non, non, pas le temps pour un autographe, l’envoya bouler l’autre d’une secousse de sac félin.

Merde, merde et remerde, pensai-je en remettant la gomme dans le sens inverse de mon poursuivant acharné. Sauf que dans ma précipitation, je ne me rendis pas compte que je revenais vers l’entrée au niveau des portiques.

Remerde, remerde et reremerde, j’étais bloquée !

Constatant mon erreur, un sourire jubilatoire se dessina sur le visage de Johnny Depp. Une dizaine de mètres nous séparait comme le compte à rebours d’un piège fatal, dans quelques pas, il m’aborderait, me ferait son numéro de charme dix mille fois répété et aux variantes habiles, j’accepterai son invitation à boire et nous coucherions ensemble, c’était écrit, inéluctable !

Au trois quart résignée, je sentis alors une légère pression au niveau de mes fesses. Le portique s’ouvrait au passage d’un jeune couple de cadres tirés à quatre épingles. L’aubaine inespérée !

Balançant mes sachets de graines sur l’acteur, je pivotai plus vite que mon ombre et m’enfonçai dans la brèche créée par mes deux anges gardiens.

- ‘tain ! entendis-je derrière moi tandis que je filai à toute allure vers ma caisse.

Johnny Depp sortit du magasin au moment je m’installai au volant (m’agrippai est une expression plus juste). Il n’avait plus son immonde sac à provisions sur lui sans doute confisqué par le gros vigile noir (à qui son employeur ne devait pas accorder de réduction sur la marchandise).

Pareil pour son sourire qui était de l’histoire ancienne. Maintenant, l’homme trimbalait sur sa face la panoplie complète d’un commando des forces spéciales, dents poignards, nez grenades, z’yeux kalach, l’ensemble en action !

Visiblement, il n’avait pas du tout apprécié que je me déleste de mes courses sur lui (collée à sa joue, une graine de courge faisait de la résistance et évoquait un début de maladie de peau) et comptait bien me rendre la monnaie de ma pièce à la puissance dix. Comment ?

Je ne préférais pas le savoir. Du pouce droit, j’appuyai sur le bouton de démarrage. Alors que ma Lexus LC était quasi neuve, que son réservoir était quasi plein et que de ma vie de conductrice je n’avais jamais connu un seul pépin, le moteur toussota puis s’éteignit dans la foulée.

Horrifiée, je remis le contact. L’acteur qui avait débuté sa carrière dans a nightmare on Elm Street sourit et ralentit ostensiblement son allure. Conscient de mon problème, il semblait vouloir vérifier la règle des films d’épouvante selon laquelle plus le méchant prend son temps plus sa victime, malgré ses gesticulations, accumule les emmerdes et finalement se prend un coup de hache dans la gueule.

Encore une fois, après plusieurs halètements poussifs, le moteur cala. Dégoulinante de sueur, je jaugeai la distance entre Johnny Depp et moi.

Tenter une sortie était inutile, l’homme était trop proche maintenant. Et même si je me mettais à hurler, il y avait peu de chance pour que les gens prennent ma défense. Une star du cinéma était considérée comme un dieu ici. Il pouvait se comporter comme le dernier des porcs, on l’excuserait au nom de son soi-disant génie et de sa filmographie épatante.

Pas le choix donc. Je devais démarrer coûte que coûte cette maudite bagnole. Malgré moi, j’adoptai l’attitude des futurs cadavres que le psychopathe du septième art range avec soin dans son repaire comme des pièces de collection et que l’ultime survivante va découvrir dans la scène finale.

Rappuyant à plusieurs reprises sur le bouton de démarrage, je me mis à taper du poing sur le tableau de bord, à gueuler comme une hystérique : « démarre, mais démarre ! », à jeter des regards terrorisés sur Johnny Depp et à chialer outrageusement. Manquaient plus que la nuit, la pluie et la musique d’ambiance.

Alors que je n’y croyais plus, le moteur s’enclencha pile poil au moment où l’acteur posait sa main sur la poignée de la portière.

Poussant un cri de soulagement (ou plutôt d’accouchement qui se passe mal) je reculai brutalement, à la limite d’emboutir la fripée de tout à l’heure.

Rayée de trouille (ses rides s’étaient à la fois creusées et allongées marbrant sa face de momie trop mate) celle-ci lâcha son cabas et fixa mon véhicule comme si la mort lui souriait.

Je la klaxonnai afin qu’elle réagisse.

Vite remis de ma manœuvre soudaine, Johnny Depp rappliquait. Une fureur animale crispait son sourire aux dents parfaites que je savais capables de mordre dans l’acier. Du moins, c’était mon sentiment à cet instant-là. J’étais prête à toutes les extrémités pour sauver ma peau. Comme par exemple celle d’écraser la vioque.

Fort heureusement pour elle, son instinct la fit s’écarter de mon chemin. Ses courses par contre subirent un sort moins enviable. Elles explosèrent sous la pression de ma roue arrière.

Bah, pensai-je en m’engageant dans le boulevard à tombeau ouvert, c’était un moindre mal.

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