2. Course poursuite dans LA

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Ce n’est qu’en m’arrêtant à un feu que je compris mon erreur. Johnny Depp n’avait pas lâché l’affaire. Il se trouvait juste derrière moi au volant d’une chevrolet corvette de collection rouge et blanche.

Infiniment content de lui et de sa filature de vieux briscard de la LAPD, il déboita et se rangea à ma hauteur. Mon cœur foira un battement. Le temps de ce déplacement, le visage de l’acteur avait changé d’aspect, grimé et orné d’accessoires par des mains invisibles.

Jack Sparrow me fixait de son regard d’extraterrestre qui vient de poser son spatio camping car sur une grue de chantier.

- Alors poulette, tu comptais te faire la malle ? persifla-t-il en agitant ses doigts bagués sur le dessus du siège passager.

Choquée, je me mordis la lèvre inférieure. L’individu ricanant devant moi avait-il encore conscience d’être un acteur ? À sa façon de me lorgner comme une proie et à ses acrobaties de langue me promettant des humectations radicales et vicieuses, je n’en étais plus sûre.

Et s’il n’y avait eu que ça. Autre chose me déstabilisait qui n’avait rien à voir avec l’apparition de ce personnage caricatural et sa stupide pantomime.

Les gens sur les trottoirs s’étaient immobilisés et nous fixaient avec insistance. Tel cet employé de fast food qui avait cessé de jeter ses sacs de déchets dans la benne à ordures. Ou encore cette femme avec son doberman, complétement tournée vers nous et ignorant les à-coups violents de sa bête fougueuse.

Tous affichaient le même air captivé comme si un événement magique se déroulait sous leurs yeux. Comme si Jack Sparrow et moi n’étions pas vraiment réels et nous trouvions dans un monde parallèle... Sur un écran de cinéma.

Seul un réflexe de survie me sortit de ma sidération. Constatant que le pirate grand guignolesque avait dégainé un mousquet, je démarrai sur des chapeaux de roue et pourfendis le flot des bagnoles passant au vert.

Crissements de pneu et avalanche de klaxons accompagnèrent mon passage en force. Dans le rétroviseur, la Chevrolet Corvette me collait l’arrière train telle une putain de sangsue. Content de la pagaille occasionnée, son conducteur tirait des coups de feu en l’air et aboyait plus fort que ceux scandalisés par ce grillage inconscient.

Tu vas te réveiller, Stacy, pensai-je, tu vas te réveiller comme si la répétition de cette formule allait me sortir du sommeil et m’enlever en un claquement de doigts de ce cauchemar dément.

Or, je le savais, il n’en était rien. Je n’étais pas en train de rêver. J’étais bien dans ma bagnole sur le Beverly Boulevard poursuivie par Jack Sparrow en chair et en os. Il ne servait à rien de me convaincre du contraire. C’était les faits de la même manière que le soleil à LA brille trois cent quatre-vingt jours par an !

Si je voulais me débarrasser de cet enfoiré je n’avais pas d’autre choix que de le semer. Aussi, décidai-je de concentrer toute mon attention sur cet objectif quitte à prendre certains risques. Ah, tu veux jouer Jack éh bien on va jouer !

Bifurquant brusquement sur la North Vermont avenue, je doublai in extremis une camionnette en fin de vie conduite par un vieux latino mal voyant puis ralentis.

La priorité me disais-je, était d’aller à l’opposé de mon quartier de résidence. Entrainer ce connard à des années lumières de chez moi pour ne pas lui donner l’idée d’y fureter. Ensuite, quand je serai suffisamment à distance, saisir une opportunité pour prendre la poudre d’escampette.

Il y avait également une autre option mais elle me semblait moins probante. Elle consistait à attirer l’attention des poulets en commettant une infraction devant leurs yeux. Seulement, comme le dit si bien l’adage, il y avait de fortes chances pour que je n’en croise aucun vu mon urgence. D’autre part, j’avais l’intuition qu’ils seraient dans le même état de passivité que les badauds de tout à l’heure en cas de rencontre. Oui, qu’ils n’interviendraient pas et se contenteraient d’observer la scène comme de vulgaires spectateurs.

D’ailleurs, c’était ce que je remarquais chez tous ceux qui n’interagissaient pas directement avec moi. Ils se figeaient, ne bougeant plus que leurs têtes pour me suivre des yeux, pantins aux airs inexpressifs et inquiétants.

J’atteignis l’East 92nd street en utilisant les techniques de doublages nerveux et de grillages de feu intempestifs.

Derrière moi, le pirate dont l’accoutrement aurait foutu les boules à un sapin de Noël me talonnait toujours. Pas une seule fois il n’avait essayé de shooter sur mon véhicule, ne serait-ce que dans les pneus.

Au début de notre balade, il avait braqué son arme dans ma direction mais très vite il avait arrêté. Sans doute cela ne l’amusait-il plus ? À moins que ses munitions soient épuisées ce dont je doutais.

Quoi qu’il en soit, ce jeu du chat et de la souris avait assez duré. J’en avais ras le cul. Je m’étais suffisamment éloignée de mon quartier pour tenter un truc. Seulement quoi ? Accélérer brusquement ne fonctionnerait pas. Même si je possédais une caisse plus puissante que cette enflure.

À cette heure, la highway regorgeait de travailleurs miteux de la middle class retournant chez eux. En m’y engageant, je m’empêtrerai immanquablement dans le troupeau et Jack Sparrow n’aurait aucun mal à me rattraper. Voulais-je lui procurer ce séisme au slibard ? Non. Certainement pas. Il avait assez joui à mes dépens comme ça.

Au feu suivant, sur le Long Beach Boulevard, j’eus enfin une idée.

Alors que le clown tricorné faisait ronfler son moteur avec la légèreté d'un biker ivre mort, j’avançai soudainement puis reculai aussitôt, lui rentrant dans le lard.

Le choc fut terrible. Surtout pour la Corvette dont les phares se brisèrent et la calandre se froissa.

Encore sous le coup de la surprise, Jack Sparrow clignait des yeux frénétiquement. Ses mains étranglaient le volant tandis que sa lèvre inférieure pendait de traviole. Un thon venant d’être pêché n’aurait pas mieux exprimé l’hébétude, ce moment où le monde vous composte un aller-retour en pleine face. Si j’avais eu le temps de fouiller dans mon sac, je l’aurais volontiers immortalisé avec mon Iphone 7. Hélas, ce ne serait pas pour cette fois. Adieu les com’ et « j’aime » sur Facebook et autres Instagram.

Espérant avoir sérieusement endommagé la caisse du zig, je remis les gaz. J’étais si excitée et si focalisée sur les effets de ma rébellion dans le rétro que je ne remarquai pas tout de suite le nouveau problème qui grossissait devant moi.

Je freinai in extremis, faisant crisser les pneus. L’échine et la tête courbées, l’homme m’exhibait les paumes de ses mains comme m’adressant une supplication. Qu’est-ce qui m’attendait encore ? Et pourquoi ce type s’était-il fichu en plein milieu de la route ? Était-ce un fou ? Un candidat au suicide ? Ou pire, un complice de l’autre maboule (entre parenthèses, au loin son véhicule n’avait pas bougé et fumait du capot. J’avais fait mouche) ?

Évidemment, rien de tout cela. Se redressant, il me jeta un regard où se lisait un niveau d’emmerdes incommensurable. Je lui répondis par un regard élastique, étiré d’un côté par la peur et de l’autre par l’étonnement.

Ce gars qui trimbalait sur lui un lourd panneau publicitaire et avec une barbe de trois jours suggérant une sévère gueule de bois, c’était Bruce Willis ! Ou plutôt non c’était John McClane de Die Hard !

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