Minuit sonna. Chacun luttait comme il pouvait contre ce maudit sommeil qui engourdissait les membres. Les yeux rivés sur le coffre, ils s'efforçaient d'obéïr au Père Noël malgré l'énorme fatigue qui pesait sur leurs épaules. Ils se creusaient les méninges en quête d'un début d'idée. Puis secouaient la tête misérablement...C'était dur !

Le petit blond se levait à intervalle régulier et partait en courant autour de la pièce. L’intellectuel de la bande déclamait un poème, Noël se frottait les yeux ou se pinçait les bras. La petite Noël chantait. Tout d’un coup, l’un d’entre eux suggéra qu’on pourrait bien s’offrir une récréation dehors ! Ils acquiescèrent tous, songeant que l’air frais les réveillerait.

Effectivement, l’air était coupant comme un couteau de cuisine chez un grand chef. Ils remontèrent le col, enfoncèrent davantage leurs bonnets et entamèrent une bataille de boules de neige. On criait, on riait, on chahutait ! Une vraie récréation. Les rennes, intrigués par ce manège inaccoutumé, s’étaient approchés. Leurs yeux bleus de l’hiver, fixaient les jeunes ; Noël crut y lire de la compassion.

Puis, sans qu’aucun signal ne leur ait été donné, les jeunes rentrèrent. Et de nouveau ils s’installèrent face au coffre.

Les images défilaient à nouveau… : bébés joufflus, pensifs ou rieurs, enfants joueurs, songeurs, bagarreurs ou charmeurs, adolescents ronchons, dynamiques et sympathiques, adultes pressés, réfléchis et aimables, vieux messieurs, vieilles dames dignes, savants, respectables ou malicieux.

On essayait de deviner ce qu’attendait le Père Noël :

« C’est peut-être pour nous faire comprendre que la vie passe vite et qu’il n’y a pas le temps de se fâcher pour un rien ? »

- Ou alors, pour qu’on devine qui on sera plus tard ? »

- Ou qui on veut être ? Est que je veux être un vieux ronchon ou un vieux rigolo ? »

- Ou Père Noël ou une personne ordinaire… »

- Ben alors, moi je sais déjà : on veut tous être Père Noël puisqu’on est là, non ? »

- Oui, mais le Père Noël, n’a pas d’enfant ! et dans les images quelque fois on n’a pas d’enfant, et d’autre fois si… » remarqua l’un d’entre eux.

- Donc c’est bien ça, c’est juste pour nous faire réfléchir sur ce qu’on veut vraiment : devenir Père Noël ou non. »

- Et si on allait voir dedans ? » suggéra Noël

- Bonne idée mais on fait comment ? Tu as vu la hauteur ? On va se rompre les os !!

- Pfff… que tu es trouillard ! Regarde, les sculptures font comme des appuis en escalade. On peut essayer au moins.

- Moi, non, je reste en bas, le Père Noël ne nous a pas dit de monter…

- Oui, mais il dit souvent que nous devons être autonomes et responsables de nos actes. Il n’a pas non plus interdit !

Le plus hardi commença l’ascension. Il plaçait ses pieds avec précaution et cherchait une prise du bout des doigts. Il progressait souplement le long de la paroi. Il s’équilibrait tranquillement tout au long de son parcours. Arrivé au sommet, il cria aux autres :

« J’avais raison, il y a un escalier à l’intérieur ! » et il disparut comme englouti.

En bas, c’était la panique. Montera ? Montera pas ? Certains commençaient à grimper, pendant que d’autres, agrippés à eux les empêchaient d’entamer l’ascension. D’autres encore, tentaient l’expérience mais leurs pieds glissaient très vite et les remettaient au niveau du plancher des vaches. Au sommet, le couvercle se souleva et on vit la tête de Noël réapparaître.

« Allez, montez, n’ayez pas peur. A l’intérieur il y a un message qui dit que rien ne se produira s’il reste un seul Noël dehors ! Allez grouillez-vous ! on n’a pas que ça à faire ! »

En bas, plus de dispute, tout le monde s’essayait à monter. Depuis le sommet, le premier à avoir conquis le coffre, les encourageait en leur indiquant les voies les plus simples. « Un peu plus à droite, oui, là, tu as une prise », « Fais attention à toi, Noël, tu vas glisser si tu continues à monter trop vite, concentre-toi bien et ne presse pas ! ».

Au bout du compte tout le monde parvint au sommet. A l’intérieur, il n’y avait pas l’électricité. La descente fut périlleuse mais par leur seule volonté, tous parvinrent en bas.

Quel drôle de lieux : alors que l’obscurité cernait l’escalier de toute part, en bas, on y voyait comme en plein jour sans que l’on puisse repérer la moindre ampoule.

Des objets hétéroclites jonchaient le sol. On trouvait, déposés là sans ordre ni méthode un ours en peluche, une mallette d’homme d’affaire, un bâton de rouge à lèvre, une épuisette, des canes anglaises, un bouquet de fleurs, un béret et même une serpillière ! Les jeunes observaient en silence tout ce matériel. Ils se demandaient bien ce qu’ils devaient penser de tout cela.

Tout à coup, Noël se baissa promptement et ramassa un papier.

« Hé ! J’ai trouvé une lettre ! »

Tous se rassemblèrent près de lui :

« Mes chers petits Noël,

Si vous pouvez lire cette lettre, c’est que vous avez réussi à descendre dans le coffre. Je vous en félicite grandement.

Vous avez autour de vous, des objets, des films, des mots qui doivent vous mettre sur la piste de ce que j’attends que vous découvriez. J’espère que demain, vous pourrez vous présentez au petit déjeuner avec la solution. Cherchez bien, réfléchissez bien et surtout échangez. On est forcément plus intelligent à plusieurs !

Je vous souhaite tout le courage du monde et vous dis à demain matin.

J’ai confiance, vous parviendrez à élucider ce mystère !

Je vous embrasse.

Père Noël »

« Et ben, on n’est pas rendu ! se désola l’un d’entre eux.

- Ne nous décourageons pas les amis. Et cherchons ! Ces objets doivent avoir un point commun… mais lequel ?

- Moi, je trouve qu’il y a des objets qui n’appartiennent pas à un enfant, commença l’un.

- Oui mais certains si…

La petite Noël désigna un fauteuil roulant :

- Ça, ça peut appartenir à un enfant, à une femme, à une vieille personne.

- Par contre ça, une sucette, c’est pour les bébés !

Ils étaient perplexes.

Soudain, le petit blond prit la parole :

- Et si c’était ça justement la solution du mystère ?

- Quoi ? Qu’il faut qu’on ait tous une « tototte » ? : se marra le petit rigolo de la bande.

- Mais non ! Bien sûr. Non, juste que le Père Noël doit être tout le monde à la fois.

Silence. Chacun cogitait dans son coin.

- Et s’il avait raison ? Donc, le Père Noël est à la fois une fille, un garçon, un bébé, un vieux monsieur, une vieille dame, un homme et une femme…

- Ouep ! Je pense que nous tenons la solution ! se réjouit Noël.

Ils firent le tour de l’espace dans lequel ils étaient enfermés et lurent les affiches rouges, jaunes et bleus. Une d’elles disait : « Je suis », les jaunes listaient juste des verbes : « jouer », « danser », « rire », « travailler », « lire », « dormir » … , sur les bleus, on pouvait lire « homme », « bébé », « fille », « femme », « garçon », « vieil homme », « vieille femme ».

« Ca colle ! » : claironna Noël, « Regardez, déjà, nous les apprentis, nous sommes tous différents : grand, petit, costaud, sportif ou non. Il y a des garçons, oui, mais aussi une fille et aussi un de nous n’entend pas du tout. Moi, je ne sais pas trop lire et je n’étais pas trop bon à l’école mais toi », dit-il en montrant le plus malin, « tu es un véritable intellectuel…. Bref, on est tous très différents.

Donc, le message du Père Noël est clair : si nous voulons devenir des vrais Père Noël, nous devons devenir tous les êtres à la fois, accepter les différences et comprendre tout le monde…. Mais comment ? Ça, je ne sais pas ! ».

- Peut-être qu’il est encore trop tôt pour en avoir une idée : suggéra un des jeunes, sans doute fatigué de sa nuit sans sommeil. On reviendra demain. Si ça se trouve, le Père Noël sera très content de nous comme ça !

Un tohu-bohu s’ensuivit. Puis, tout le monde finit par s’accorder pour remonter au plus vite et trouver le Père Noël pour vérifier l’hypothèse. `

Ils le découvrirent attablé devant son chocolat du matin. Tous voulurent expliquer en même temps. Le vieil homme leva la main :

« Désignez donc un responsable, il sera votre porte-parole.

Rapidement, un d’entre eux fut promu. Il exposa longuement leur découverte.

« Bien, vous avez gagné le droit d’aller vous reposer un peu lorsque vous aurez pris votre petit déjeuner. A partir d’aujourd’hui, toutes les activités auront lieu de nuit, pour que vous preniez l’habitude de veiller ! » conclut le bonhomme en rouge sans réellement dire s'il était satisfait de leur réponse.

Ainsi, au petit matin, les enfants regagnèrent leurs lits, épuisés par tant de concentration.

« Je me demande si je ne préfère pas emballer des cadeaux du matin au soir ! » songea Noël puis il sombra dans un sommeil sans rêve.