J-8

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Aie ! Ouille ! Aie ! furent les premiers sons que Noël émit ce matin-là. Les muscles de son dos, de ses jambes, de ses bras, de son ventre lui rappelaient violemment sa journée de la veille. Il n’était qu’une gigantesque une faramineuse courbature ! il leva son petit doigt pour vérifier cette pensée… non, celui-ci lui paraissait indemne. Il s’en réjouit. Dans les lits voisins, on commençait à remuer.

« Ah ! ils sont rentrés ! » pensa Noël.

Effectivement, sa voisine de lit était bien présente. Ses longs cheveux coulaient jusqu’au sol.

« Aie !Aie ! Aie ! » Des plaintes, des gémissements de douleur montaient de toute part dans le réfectoire.

Noël n’y comprenait rien du tout ! Comment ses voisins pouvaient-ils souffrir alors que la veille, ils étaient absents ? Qu’avaient-ils donc fait ?

« Ouillouillouille ! » pleurnichait l’un.

« Aie ! Aie ! Ouille ! » se lamentait un autre.

Une symphonie de cris de douleur ! Mais où était le chef d’orchestre qu’on lui demande des explications à celui-là ! Le jeune apprenti était de méchante humeur ce matin ! Il n’appréciait pas la plaisanterie. Il avait trimé seul, dans le froid sans pouvoir échanger avec quiconque, il ressentait des contractures dans chaque centimètre carré de son corps et voilà qu’il s’apercevait que ses colocataires semblaient souffrir des mêmes maux !

Il descendit bon an mal an de son lit en se contorsionnant pour éviter des positions trop éprouvantes, enfila ses chaussons sans se baisser, se contenta de poser un pull sur ses épaules et entreprit d’aller se laver. Chaque mouvement lui coûtait terriblement. Un fois sous la douche tiède, ses muscles se détendirent un peu. Il pouvait enfin penser à autre chose qu’à son martyre. Les autres Noël l’avaient suivi. L’eau ruisselait et apportait l’apaisement à ces jeunes corps meurtris. On entendait des soupirs de soulagement s’échapper de toutes les cabines de douche. Enfin, un par un Noël et les autres acceptèrent de s’extraire de cette pluie bienveillante. Dans une atmosphère saturée de vapeur d’eau, ils se regardaient les uns et les autres en proie au même questionnement : « Comment l’autre peut-il souffrir autant que moi ?» lisait-on dans les yeux des uns et des autres.

D’un air dégagé, Noël tenta une approche :

« Qu’avez-vous fait hier ? parce que moi… »

Une volée de protestation l’empêcha d’aller plus loin. On s’égosillait, on vociférait, on couinait, on beuglait, on piaillait… Bref, on revendiquait une souffrance bien « plus forte, plus dense, plus cuisante, plus piquante, plus atroce… » que celle du voisin. De ce brouhaha, Noël ne retint qu’un mot : « plus ».

Enfin, le brouhaha s’estompa... quelques enfants tentaient encore de suggérer que leur calvaire avait été bien plus éprouvant que celui des autres, mais le cœur n’y était plus car chacun comprenait qu’il est parfaitement inutile de chercher à hiérarchiser la souffrance : « Qui a plus mal que l’autre ? Ben comme on ne peut pas vivre en même temps dans deux corps différents : mystère et boule de gomme pardi !! » comprenaient ensembles les jeunes.

Têtes basses, ils descendirent l’escalier bien décidés à demander des éclaircissements au grand chef.

Celui-ci les attendait, debout, l’œil débonnaire, la barbe frémissante d’un rire intérieur.

Noël se surprit à le penser un peu content de son vilain tour.

« Enfant, commença-t-il, vous avez tous vécu la même expérience inédite. Je l’ai voulue. Si j’ai bien fait le job, vous devez en tirer une leçon qui vous aidera à être excellent Père Noël. Est-ce que l’un d’entre vous peut m’expliquer la raison de cette mise en scène ? »

Dans la tête des jeunes, les réflexions se bousculaient : comment pouvaient-être si seuls alors que les autres vivaient la même situation ? Ils n’avaient pas la berlue tout de même, il n’y avait aucune lumière nulle part et pas âme qui vive…. Et le réfectoire vide ? Et les rennes, ils avaient donc mangé plusieurs fois ? Des cerveaux en ébullition, des pensées en kaléidoscope, inutile de préciser que la question du vieux Noël était bel et bien passé au second plan !

Patient et compréhensif, le vieux professeur, réitéra son interrogation.

Le petit blond suggéra que c’était pour mesurer leur force.

Un autre imagina que c’était pour les punir d’une quelconque sottise.

Noël se retint de dire que le vieux Noël avait pour but de les embêter, mais il ne parvenait pas à l’ôter de sa cervelle. Curieusement, il constata que le vieil homme le dévisageait tendrement.

La fille Noël envisagea que les lutins avaient voulu leur faire une farce.

Enfin, le plus discret d’entre eux, celui qui n’entendait pas, émit l’hypothèse que le Père Noël avait voulu tester leur motivation, leur volonté d’assurer un Noël merveilleux coûte que coûte à tous les enfants de la terre. Le vieux bonhomme sourit, les lutins firent une ronde endiablée. Et chacun dût reconnaître que c’était bien vu.

Le Père Noël reprit :

« Vous m’avez tous prouvé, chacun avec ce que vous êtes, que vous aviez à cœur de conserver l’esprit de Noël, vous n’avez pas chômé, vous êtes allés au bout de vos forces, vous pouvez être fier de vous. Encore un détail : je crois aussi que vous retiendrez qu’il est idiot de comparer les douleurs. C’est impossible, inutile et contreproductif. Ne tentez plus JAMAIS de persuader votre voisin qu’il souffre moins que vous !

- C’est quoi contreproductif ? : murmura le plus petit

- Chut, juste qu’on n’avance pas si on en reste là : répondit l’intellectuel de la bande.

- Sur ce, mes petits amis, il reste beaucoup, beaucoup à faire avant le départ dispersez-vous. Aujourd’hui, je ne vous donnerai aucune consigne, à vous de décider de l’urgence. Vous m’avez convaincu que vous en étiez capables ! »

Noël, un peu grognon de n’avoir pas découvert le premier la véritable raison de leur journée en solitaire, décida de retourner faire des paquets avec les elfes. Une fois sur place il s’étourdit de travail et empaqueta avec zèle et dextérité des poupées, des trains, des camions de pompier, des tricératops, des lunettes 3D, des boîtes à histoire et même des visseuses. Le soir venu, il ne demanda rien à personne. La brume de sa grogne n’était toujours pas dissipé. Au sortir du réfectoire, comme il allait se coucher, le Père Noël l’attrapa par le bras…

« Damned I am discovered » eut-il juste le temps de penser.

- Suis-moi »

Noël le suivi de mauvaise grâce. Il se savait en tort mais quant à le reconnaître... c’était une autre paire de manche !

Les deux compères se retrouvèrent dans la salle des jugements : c’était une petite pièce un peu sombre car meublée de secrétaires et de bancs en bois très brun. Le Père Noël s’assit sur un grand siège profond au centre de l’espace. Sa longue barbe pendait jusqu’au sol. Debout, les bras ballant, le jeune n’en menait pas large.

« Sais-tu que ta colère, si, si ta colère mon enfant insista l’homme en voyant des signes de protestation dans l’œil du garçon. Ta colère donc, est essentiellement dirigée contre toi, le sais-tu ? »

Le visage de Noël s’allongea.

« Il se trouve que je suis vieux. Aucun sentiment humain ne m’échappe, et bien écoute, j’ai un secret pour toi : presque toujours, quand on est irrité, exaspéré, haineux, courroucé, et bien c’est qu’au fond, on se sent coupable. Retiens bien cela Noël et tu seras le plus merveilleux des Pères Noëls pour ceux qui t’approcheront car tu ne leur mettras jamais sur le dos, ce que tu te reproches à toi. Cela dit, petit père ajouta-t-il avec douceur, la culpabilité est très mauvaise conseillère car elle brouille la réalité. C’est vrai, ce n’est pas toi qui as donné la réponse. Ce qui est primordial, ce n’est pas QUI a trouvé la solution mais le contenu du message. Souvent les humains confondent les deux et j’aimerais vraiment beaucoup que tu corriges très vite cette erreur de jugement. »

Noël leva les yeux vers cet homme bon. Il avait saisi. Il embrassa les joues tièdes du bonhomme et retourna sur ses pas, curieusement allégé. Il monta se coucher, son ombre n’avait pas réapparu…

« Ouf ! » pensa-t-il, « je serai peut-être encore là demain matin. »

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