J-9

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Ce matin-là, ce fut le silence qui tira Noël du lit. Il faisait encore sombre comme chaque jour. Dans le grand dortoir, on n’entendait pas le moindre souffle, pas de ronflement ou de reniflement. Noël poussa sur ses bras pour se redresser confortablement. Ce qu’il découvrit était proprement incroyable !

Il était seul dans le dortoir. Les autres lits avaient tous disparu. Les rideaux, mal jointés, laissaient apparaître la lune pâle. Paniqué, Noël bondit de son lit sans prendre le temps de chausser ses pantoufles et fit le tour du dortoir. « Où sont les autres ? » se surprit-il à crier « Noël ! Noël ! Noël ! ». Complètement affolé, il délaissa exceptionnellement la salle de bain et dévala l’escalier à la recherche des lutins… ou du Père Noël. Il fallait qu’il lui fallait de l'aide.

Il entra en trombe dans la salle à manger. Personne n'avait allumé, "étrange" : pensa-t-il. Il chercha l’interrupteur et finit par le découvrir dans la pénombre. Il était bien haut ! Il attrapa une chaise et montant sur la pointe des pieds, il parvint à faire toute la lumière sur cette affaire…. Enfin, pour être exact dans la pièce, car le réfectoire était aussi vide que le dortoir ! Les bonnes odeurs de brioches tièdes, de chocolat mousseux avaient déserté les lieux. Une odeur de laboratoire : ça sentait juste l'eau de javel, le vinaigre et les détergeants...

« Non ! » s’exclama-t-il plaintif.

Sans prendre le temps d’éteindre la lumière, il partit en trombe vers la grande porte de la salle où les elfes préparaient des cadeaux. Il peina à pousser le ventail qui céda en grinçant. Personne… Les espaces de travail étaient bien là, mais les elfes avaient mystérieusement disparu. Noël était abasourdi. A dix jours de Noël, les ouvriers avaient déserté le chantier ! C’était incompréhensible, monstrueux ! Le dictionnaire ne contenait pas assez de mots pour traduire les émotions qui se télescopaient dans la tête de l’enfant.

Tout à coup, il prit peur… Et si un malheur était arrivé ? Le Père Noël avait été enlevé. Oui mais les lutins, les elfes et les autres Noël devraient tous être présents. Or, il n’y avait personne que le vent qui s’engouffrait dans le vieux bâtiment et ça faisait des grands : « Ouh ! Ouh ! » propre à effrayer les plus courageux. Noël n’en menait pas large mais il devait découvrir ce qui se passait. Il pensa aux rennes. D’un bond, il entreprit d’ouvrir la vieille porte en bois qui menait à l’extérieur. Lorsqu’il y parvint enfin, il avait les mains en sang.

Il courut jusqu’aux rennes. Ils paissaient tranquillement, levant un regard doux et serein vers l’enfant qui poussa un soupir de soulagement. Ouf ! ils étaient là.

« Eh les amis, vous savez ce qui se passe, vous ? ». Noël avait pris un ton désinvolte pour ne pas affoler les animaux.

Lino et Cala grognèrent, Biscotte renâcla, Liégeois brailla.

« Eh, je sais que vous parlez, l’autre jour quand vous êtes enfuis, vous avez su me poser vos conditions avec des vrais mots, pas avec ces espèces de grognements idiots » s’emporta le garçon.

Il n’obtint rien de plus qu’un coup de museau de Blini et une lichette de Dina.

Noël prit sa tête entre ses mains pour réfléchir. « Les rennes n’avaient pas l’air très inquiets donc pas d’panique ! » se rassura-t-il.

Alors, comme les autres jours, il alla décrocher les grands seaux pour apporter les aliments spéciaux aux rennes. Il entendait encore les lutins leur expliquer que sans ces céréales-là, les bêtes resteraient au sol, incapables de prendre leur envol comme chaque année. C’était un travail harassant car les sacs de victuaille étaient plus grands que Noël. Il devait les escalader, prendre des brassées de grains et les jeter dans les seaux en visant avec précision pour ne pas gaspiller. Puis redescendre sans tomber. Une jambe cassée et les bestioles ne mangeraient pas et ne voleraient plus. Il devait rester prudent.

Quand il eut nourri, pansé et caressé les rennes, il s’aperçut que son estomac criait famine. Il lui restait tant à faire ! Mourir de faim dans la neige au milieu de nulle part n’arrangerait rien et Noël serait franchement compromis. Il se résolut à prendre le temps de se sustenter. Il retourna dans le réfectoire et fureta dans les placards.

« Des biscuits moelleux, des raisins secs et une orange ! Parfait » dit-il à voix haute. Il engloutit les victuailles et pensa qu’une boisson chaude l’aiderait à affronter le froid vif de cette contrée.

Il se mit en quête d’une casserole, fit chauffer un peu de lait, rajouta une cuillère de chocolat… « Pas plus disait Maman, trop de sucre, bonjour les carries ! ». Quand il eut terminé, il rangea la vaisselle.

« Au boulot » ! Il se rendit dans la grande salle des elfes et toute la journée, il empaqueta, étiqueta, rangea, les commandes des enfants. Souvent, il peinait, manquant même de s’empaqueter lui-même, ou déchirant le papier alors qu’il en était aux finitions. Le scotch lui jouait des tours, en vrillant ou en se collant sur le papier qu’il était en train de plier. Le bolduc lui échappait des mains. Jamais, il ne renonçait. Il chassait les moments de découragement, traquait l’anxiété quand il considérait tout le travail qui restait à accomplir, faisait fi de la fatigue qui s’abattait sur lui à intervalle régulier.

Il songeait qu’il était un navigateur solitaire sur le grand paquebot de Noël. Il était le capitaine et affrontait, invincible, la tempête de la solitude.

Le soir venu, fourbu et harassé, il alla chercher quelques bricoles à se mettre sous la dent. Puis, le capitaine Noël s’écroula sur son lit sans avoir eu le temps de se mettre en pyjama et encore moins de reprendre sa ritournelle du soir : "Dodo !"balbutia-t-il seulement...

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