J-10

6 minutes de lecture

« Plus qu’onze jours et c’est le "D day ou le jour J" » pensa Noël en enfilant sa robe de chambre allègrement. Aujourd’hui, il savait qu’il allait continuer à voler et cette perspective l’enchantait. Le lutin l’avait prévenu, aujourd’hui, on allait s’attaquer à l’atterrissage. Il prit son petit déjeuner avec appétit : brioches aux raisins, chocolat mousseux et une mandarine pour la vitamine, il alla chouchouter un peu les rennes qu’il n’oubliait plus depuis la nuit de leur disparition, puis d’un pas véritablement ailé, se regagna le simulateur de vol qui lui avait été attribué la veille. En chemin, malgré la griserie du moment, tout au fond de lui, un sentiment indéfinissable fit son apparition. Il manquait quelque chose ou quelqu’un. Il regarda autour de lui et ne constata aucun absence. Rien n’avait changé… Noël observa ses mains… rien, son dos… rien, il tenta de se mirer dans une vieux miroir piqué installé à l’entrée de la salle… non, la barbe blanche n’avait pas poussé durant la nuit. Il était le même qu’hier et avant hier. Alors, l’enfant enfouit bien profond cette sensation et se concentra sur son projet de la journée. Son instructeur était déjà en place, il avait fait chauffer la machine, impatient de rejoindre la voie lactée.

« Allez zou ! décollage immédiat » souffla-t-il et on vit sortir un nuage blanc de sa bouche. Il faisait vraiment froid.

Après cette belle nuit de sommeil, Noël était concentré. Il avait à cœur de satisfaire son patient professeur. Lever les rênes pour monter, les baisser pour descendre, écarter à droite pour tourner à droite, écarter à gauche pour virer à gauche. Il aurait pu faire les yeux fermés. La vitesse le grisait mais il était focalisé sur les gestes qui maintiendrait le traîneau et les rennes sur sa trajectoire. Il n’y eut aucun écart et les planètes farceuses, qui essayaient de se mettre sur sa route en étaient pour leurs frais. Il ne quittait pas de l’œil les divers appareils dont il avait appris l’existence la veille. Son copilote, bien que parfaitement attentif aux manœuvres de son jeune élève ne pouvait pas cacher sa satisfaction. Un large sourire barrait son visage poupin.

Enfin, on arriva à destination. Maintenant on atteignait le lieu de tous les dangers : il fallait atterrir sur le vieux manoir. Le lutin avait choisi à dessein un lieu facile d’accès. Autour, on pouvait apercevoir un vaste champ dégagé, un petit étang où dormaient quelques canards fictifs. La forme du toit, plat et large, était censé faciliter la manœuvre. Le premier essai se termina au milieu des volatiles. Noël put voir les rennes tenter de s’extraire d’une eau boueuse. Deuxième essai, il laboura le champ. Le lutin se tordait de rire « tu veux semer des poireaux ? des carottes alors ? Ah ! Ah ! j’ai mal aux côtes !». Noël se renfrogna… On allait voir ce qu’on allait voir, le troisième serait le bon. Et bien non, les rennes se posèrent bien sur le toit mais pas le traîneau, hélas. Le lutin, peu charitable, continuait perfide à le charrier : « Bien ! Bien ! De mieux en mieux, voilà maintenant qu’on fait la figue ! Tête en bas ! Siège ejectable s'il vous plaît !».

Hilare, il se tourna vers son apprenti pilote en lui conseillant d'être moins crispé.

« Détends-toi, ris toi aussi, il n'y a rien de grave ! Pour apprendre, il faut savoir se tromper avec élégance et humilité ! Tu as encore du boulot de ce côté-là, mon ami.»

Après maints loupés, Noël finit enfin par atteindre son objectif. Malgré le froid polaire qui régnait, il était en sueur. Il arracha son bonnet, ôta ses gants et son écharpe et ouvrit sa parka. Son professeur cessa immédiatement de plaisanter et d’un air grave lui intima de se rhabiller. Noël s’exécuta non sans avoir tenté de se justifier.

« Malheureux, avec un froid pareil, tu serais bon pour un séjour à l’hôpital ! Adieu la balade du 24 décembre ! ».

Même s’il était parvenu à poser correctement le traîneau, le cours n’était pas achevé : il lui fallut ensuite apprendre à atterrir sur toutes sortes de toits : des quatre pentes, des deux pans en croupe, des toitures de montagne, si pointus qu’on peinait à trouver un équilibre, des couvertures arrondis, des couvertures de chaume, d’ardoises glissantes ou de tuiles poreuses.

Toute la journée, Noël enchaîna les atterrissages sans jamais protester ou se décourager. A l’heure du repas, il était pratiquement au point.

« Allez, deux, trois entraînements de plus et ce sera parfait » indiqua son instructeur miniature, une lueur d’admiration dans l’œil.

Noël, ravi, s’extirpa de l’engin et entreprit de retrouver ses amis pour un repas bien mérité. Pendant, qu’il marchait, il ressentit une fois de plus comme une absence, un manque, une insuffisance… Il avait beau chercher, il ne comprenait toujours pas l’origine de cette sensation un peu désagréable.

La soirée s’annonçait charmante, chacun y allait de la narration de sa journée. Avant de s’installer, Noël remarqua que le petit blond, à l’écart de groupe, ne participait pas. Il avait l’air triste et abattu. Noël se glissa jusqu’à lui et indiquant la place près de lui, demanda : « Je peux ? ». L’autre, hocha simplement la tête en signe d’acceptation et replongea son regard misérable dans la soupe. « Et toi, c’était comment cette journée » : demanda-t-il.

- Bof, répondit le blondinet.

- Bof, comment ? insista Noël

- J’y arrive pas ! Je suis nul ! Même sur un toit large et plat, je ne parviens à rien : explosa l’enfant dans un cri désespéré.

L’assemblée se figea. Noël prit la main de l’enfant qui pleurait maintenant à gros sanglot.

« Ne dis jamais ça, ordonna-t-il, personne n’est nul et ne laisse jamais personne te dire que tu es nul. Il te faudra peut-être un peu plus de temps qu’à un autre mais tu y arriveras, il n’y pas de raison. Voler n’a rien de magique ! » se surprit-il à dire, « enfin un peu, d’accord, mais ne te décourage pas. Ok ? »? Puis, se souvenant de la leçon du lutin, il reprit : « J'ai appris un truc aujourd'hui. Mon instructeur m'a expliqué qu'il fallait savoir échouer avec élégance et humilité pour apprendre. Ca veut dire que si tu restes bloqué sur ton échec, tu n'y arriveras jamais. C'est pas ton but, n'est-ce pas ? ». L'autre secoua la tête de droite à gauche en signe de dénégation.

Autour, les conversations avaient repris, insouciantes et légères. On riait, on chantait. Dans leur coin, Noël et Noël reprenaient point par point le cours d’atterrissage. Le petit blond ne pleurait plus, seules, deux trainées noirâtres sous ses yeux témoignaient de son instant de désespoir. La fourchette devenait rêne, le verre anémomètre, l’assiette altimètre et la panière à pain variomètre.

« Fin du cours ! » lança Noël à son voisin dès la fin du repas. « Demain, demande un cours de rattrapage au Père Noël, tu as tout compris maintenant ! ».

L’autre opina du chef, sourit et remercia chaudement son ami.

Il était l’heure d’aller se coucher. Noël se sentait incroyablement léger.

Bien sûr, il avait fait l’impasse sur le moment de grâce lorsqu’on contente son estomac en bonne compagnie mais voir son copain les yeux brillants et le cœur léger, ça lui faisait un bien fou. Il conclut, qu’on ne pouvait pas tout avoir et, à choisir entre un égoïste bien-être immédiat et le bonheur de réussir à apporter du réconfort à un être malheureux, il choisissait sans hésiter le second.

Il passa par la salle de bain pour se laver les dents. Subitement, face au miroir, il comprit le petit inconfort qu’il ressentait depuis le matin… Il était seul, solitaire, délaissé par son ombre qui l’avait quitté sans crier gare pour une destination inconnue. Bizarrement, il n’en fut pas vraiment étonné : un Père Noël devait passer inaperçu et son ombre aurait pu le trahir.

Dans la chambre aux rideaux bien tirés, Noël céda au sommeil avec délectation.

On finirait bien par savoir…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Adalie33 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0