J-13

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Noël se redressa dans son lit et jeta un regard à la ronde. Une nouvelle fois, il lui sembla que le nombre d’enfants avait diminué. Pourtant, il était parfaitement sûr, qu’aucun lit n’avait été déménagé dans la nuit. Il avait le sommeil lourd mais quand même ! Il se frotta les yeux, comme pour enlever les brouillards de la nuit. Dans la pénombre du dortoir éclairé par une simple veilleuse, il compta…, recompta…, compta encore… les petits lits alignés proprement. Il n’avait pas la berlue, non : il ne restait plus que 24 lits. Pourtant, la veille au soir le vieux Noël n’avait désigné aucun partant. Avec tous ses invités de marque, il n’aurait pas eu le temps. Pourtant, une chose était certaine, ils n’étaient plus quarante-cinq à dormir dans le grand dortoir. La fille Noël se retourna à cet instant. « Elle est toujours là… ». Troublé, Noël le fut encore plus quand il s’aperçut que son lit avait bougé, il n’était plus face à une fenêtre comme avant ! On l’avait déplacé et il n’avait rien senti ! Même s’il n’en était pas à sa première surprise, ce phénomène paranormal le surprenait.

A pas de loup, sans éveiller les autres, il chaussa ses pantoufles et décida d’aller faire un tour dans le pensionnat silencieux. Enfin, silencieux, tout était relatif ! La veille bâtisse craquait sous le poids des années et de la neige, les portes grinçaient un peu sous la poussée des vents d’hiver qui s’engouffraient par intermittence par les fenêtres, des voix étouffées parvenaient à ses oreilles aux aguets, celles des dormeurs bien sûr mais d’autres plus discrètes comme si elles cherchaient à ne pas se faire remarquer. Bien que poussé par une énorme envie de découvrir ce qu’on lui cachait, le petit curieux n’en menait pourtant pas large. Il rasait les murs, il se faisait léger sur ses semelles de feutre pour éviter de faire craquer l’escalier, il baissait la tête quand il passait devant une fenêtre. S’il se faisait pincer, peut-être que son lit, son bol, son assiette disparaîtrait mystérieusement et lui avec… Il devait rester prudent. Il remarqua qu’à l’approche de l’immense porte de bois brun qui faisait face à celle du réfectoire, les sons devenaient plus distincts. On riait à bas bruit, on chantonnait, il y avait des bruits qu’il identifiait comme des bruits de papiers froissés.

- "Te plante pas Nathan, chuchotait un voix !

- Non mais qui m’a fichu un empoté pareil, t’as un rouleau de scotch à la place du cerveau ou quoi ? s’emporta un autre

- Chut ! tous les deux, taisez-vous ! vont nous entendre là-haut ! murmurait un troisième."

Et les bruits furtifs égratignaient à peine le silence. Noël approcha un œil du trou de serrure. Il ne vit rien. La pièce paraissait sombre. Il changea d’œil et attendit de s’habituer à l’obscurité. Un minute, deux minutes… Toujours rien. Tout à coup, derrière lui, une grosse voix gronda et même tonna

- "Ho ! Ho ! Mais que vois-je là ? Un garnement ? Un galopin ? Un chenapan ? à moins que ce ne soit un sacripant ?

- Père Noël, pardon, pardon : implora Noël éclatant en sanglot. J’ai entendu du bruit, j’ai voulu, j’ai voulu…

- Ah tu voulais savoir ? Et bien si je te dis qu’ici on coupe les petits enfants en rondelles fines comme des chips, particulièrement les enfants curieux, tu veux toujours entrer ?

- Non, non pleurnichait Noël

- A moins qu’on ne les barde pour en faire des dindes de Noël qu’on enverra ensuite aux quatre coins du globe ? Tu veux voir ?

- Non, pitié Père Noël, je retourne me coucher promis et je ne dirais rien…

- Ou alors, on en fait des steaks hachés, ou des merguez, ou du chorizo, ou de la moooortadeeeelle rajouta-t-il dans un souffle, accompagnant ce dernier mot d’un regard terriblement effrayant."

Noël était tétanisé. Il comprenait qu’il n’avait pas respecté les consignes. Il pensait qu’on ne désobéit sans doute pas impunément au Père Noël. Piteux, il attendait la sentence sans se faire beaucoup d’illusion.

- « Bon, jeune homme, se radoucit-il, il n’y a qu’une façon pour toi de te faire pardonner. Je te préviens cela va être extrêmement pénible. Tu peux refuser bien entendu auquel cas, tu rentres chez toi immédiatement sans barguigner, (je vous avais prévenu, le Vieux Bonhomme adore les mots compliqués), sans discuter si tu préfères.

- Il faut faire quoi ? osa Noël tremblotant comme un bol de jelly anglaise.

- Ah, ça mon ami, tu dois faire confiance. Tu ne le sauras que si tu prends le risque."

Noël hocha la tête en signe d’acceptation. D’un geste large le vieil homme mit la main sur la poignée de la porte… Noël, épouvanté après ce que le bonhomme lui avait annoncé, s’aplatit contre le chambranle de la porte. Le Père Noël sourit et d’un mouvement brusque ouvrit la porte en grand. L’enfant ferma les yeux, persuadé que sa dernière heure était arrivée.

Puis, comme il ne se passait rien… il entrouvrit un œil, puis les deux. Ce qu’il découvrit le stupéfia.

La salle était plus qu’immense, quasiment infinie. On n’en voyait même pas le plafond et le mur du fond disparaissait dans les lignes de perspective. Partout, des petits êtres affublés de de curieux vêtements s’activaient. Ils ressemblaient un peu à la garde rapprochée du vieux Noël, en beaucoup plus petits. Certains voletaient au-dessus des paquets qu’ils étaient en train d’emballer Voilà donc des êtres bien étonnants pensait l’enfant qui avait repris ses esprits.

- "Voilà, je te confie aux elfes, sois bien sage, aide les, obéis leur scrupuleusement et tu seras pardonné. Une dernière chose, cependant, ne t’avise surtout pas d’en parler à tes camarades : ce serait l’exclusion définitive. J’ai bien trop de travail pour m’encombrer de bavards !"

Sur ce, le Père Noël tourna les talons, le laissant seul avec les elfes.

Noël eut juste le temps de songer que cette punition était décidément bien tranquille finalement qu’une nuée de ces petites créatures vinrent voleter autour de lui. « Qu’elles sont délicates ! » pensait-il et il tendit la main pour en attraper une. Bien mal lui en prit : les gentils petits elfes se métamorphosèrent en un essaim de mini-monstres malfaisants. Les uns lui tiraient les cheveux, les autres les cils, certains se glissaient dans ses oreilles, s'engouffraient dans ses narines jusqu’à son larynx l’obligeant à ouvrir la bouche pour tousser et les recracher. Plusieurs elfes se déchainaient sur sa peau, le pinçant de toute leur force ou le griffant de leurs ongles pointus. Il s’imaginait jeté en pâture à une armée de guêpe en furie !

Brutalement, la porte s’ouvrit à nouveau. Immédiatement, les petites créatures ailées stoppèrent leur supplice. Certaines allaient jusqu’à caresser leur victime ou à souffler sur sa peau rougie.

- "Cet enfant doit vous aider, vous n’êtes pas là pour le faire souffrir, entendu ? intima le Père Noël qui connaissait parfaitement son monde.

- Bien sûr, chef, acquiesça le plus hardi avec un petit sourire en coin, on fait connaissance, rien de plus…

- Hum, bougonna le vieil homme, au boulot et que ça saute !"

Il claqua la porte d’un geste un intentionnellement menaçant.

Dans la salle, les elfes instantanément calmés, amenèrent Noël à son poste, on lui apprit à lire les commandes et à emballer les cadeaux avec célérité et le plus élégamment possible. Plusieurs petites créatures, portaient ensuite le paquet dans de gigantesques hottes adossées au mur. Parfois, un des elfes, de loin, tentait de l’intimider en mimant l’une des tortures qu’il avait subies plus tôt. C’était juste pour rire, car l’elfe est espiègle par nature. Au bout de la nuit, le Père Noël revint le chercher et le conduisit jusqu’au dortoir :

- "Je lève la punition, il est trois heures du matin. Tu as assez travaillé. Demain tu devras continuer ta formation avec les autres. Dépêche-toi de te rendormir ! J’espère que tu n’auras plus jamais envie d’aller te promener en pleine nuit. Et pas un mot aux autres apprentis, tu m’entends dit-il sur un ton sec.

- Non, non, promis ! bredouilla l’enfant."

Couché dans son petit lit, les draps remontés jusque sous le menton, Noël pensa qu’il l’avait échappé belle. Cette nuit aurait bien pu être la dernière pour lui…

Demain, on saurait peut-être… ou pas et cela n'avait plus guère d'importance.

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