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De gros éclats de voix, des sons flutés, des rires tonitruants éveillèrent brutalement les pensionnaires. On avait des invités ! A la six, quatre, deux, les enfants baptisèrent les lits, firent une toilette de chat (ce n’était vraiment pas le moment de se faire remarquer à cause d'une mauvaise odeur!) et cavalèrent dans l’escalier grinçant plus vite qu’une rumeur dans la bouche des mauvaises langues !

Arrivés à porte du réfectoire, ils s’immobilisèrent, subitement pris d’une attaque de timidité. Le plus téméraire avança le bout de son nez et ce qu’il vit le fit reculer d’un bond, percutant le suivant qui avait osé un pas en avant. La première chute se répercuta sur toute la file, jusqu’au dernier qui poussa, lui, un grand « Aïe ! ». Ce cri de douleur fit sursauter toute l’assemblée qui se pressait autour du Bonhomme Noël. Celui-ci comprit immédiatement ce qui se tramait dans le couloir et, s’avançant parmi la pile d’enfants, mit ses poings sur ses hanches en signe de réprobation, il roulait de gros yeux mécontents sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Puis, il les tança :

- « Croyez-vous vraiment que cette attitude soit bien digne de jeunes aspirants Père Noël ? Lorsqu’on arrive dans une salle remplie de personnes inconnues, les gens polis toquent à la porte et attendent qu’on les autorise à entrer, ils n’arrivent certainement pas comme des boulets de canon au point de se retrouver piteusement en tas !

- Mais la porte était ouverte protesta Noël

- Ce n’est pas une raison, il suffit de se signaler correctement, ce que vous n’avez pas fait convenez-en. »

Plus personne n’osa objecter quoi que ce soit et le vieil homme se détendit.

« Bien, maintenant, vous allez entrer calmement : dit-il en appuyant bien sur les voyelles, façon d’insister vocalement sur le comportement qu’il attendait de ses apprentis. Installez-vous devant vos bols et je vous explique tout » : continua-t-il.

Pour l’occasion, toutes les lustres de la salle avaient été allumés. Les tables étaient joliment décorées de pommes de pin, de feuillage, de houe. Il faisait particulièrement bon car les lutins avaient allumé un feu de bois qui pétillait et emplissait la cheminée de rubans orangés, rouges jaunes et bleus et de senteurs réconfortantes. Tout au fond de la salle, on avait installé une estrade de bois bien cirée. Elle accueillait toutes sortes d'individus : des gros, des grands, de minuscules, des tordus, des hommes des garçons, des femmes et une toute jeune personne à la beauté resplendissante. Tous portaient des accoutrements improbables qui auraient fait retourner n'importe qui dans la rue.

Epatés par ce spectacle, les enfants en perdaient l’appétit et la parole. Ils roulaient des yeux curieux. La petite Noël, bouche bée, en oubliait même de respirer. Noël la poussa du coude pour qu’elle ferme la bouche. Elle le remercia d’un regard.

D’une voix solennelle, Le vieil homme pris la parole :

« Enfants, ces femmes, ces hommes sont mes amis, ma famille, mon autre moi en somme. Comme moi, ils parcourent le monde pour distribuer des cadeaux aux enfants sages. Il me paraît important que vous fassiez leur connaissance. Ils sont venus, nonobstant leurs agendas surchargés, pour vous raconter leur histoire. J’espère que vous saurez mettre à profit ce temps. ».

« Nonos quoi ? » chuchota le petit blond. Il ne pouvait pas croire qu’il parlait de l’os que l’on donne à ronger aux chiens.

« Nonobstant, ça veut dire que même s’ils ont des emplois du temps de ministre, les amis du Père Noël ont tenu à nous rencontrer, lui traduisit dans l’oreille un lutin. »

Chaque personnage défila devant un auditoire largement conquis, narrant des péripéties toutes plus fascinantes les unes que les autres.

Il y eut d’abord les treize trolls d’Islande, les Yule Lads. Ils racontèrent leur facétie, les vols de casseroles, les frigos vidés après leur passage, les bougies subtilisées mais aussi les cadeaux distribués dans les chaussures ou les chaussettes installées pour l’occasion à la porte des maisons. Ils expliquèrent qu’ils restaient treize jours avant Noël. Bien que de toute petite taille comme tous les lutins des contes, ils prenaient toute la scène avec leurs pitreries à tel point que le Père Noël faillit recevoir un bonnet dans l’œil, son propre couvre-chef, prit dans l’envolée des trolls gisait à ses pieds. Les enfants poussèrent un « Oh » de désapprobation : pour eux, on frisait l’incident diplomatique d’un poil de renne. Le Père Noël, à peine surpris de ce fâcheux épisode (il connaissait fort bien ces zigotos), se rajusta et reprit la parole :

« Ne vous méprenez pas mes jeunes amis, ces Yule Lads, si drôles et si impertinent," disant ce dernier mot, il jeta un tendre clin d’œil aux lutins, "sont terribles avec les enfants désobéïssants… et comme ils restent treize jours, ils ont largement le temps de leur faire la vie dure ! Croyez-moi ». Puis d’un geste de la main et de la tête il signifia aux trolls que leur exposé était terminé.

Ce fut le tour de trois nouveaux personnages surprenants : une ancêtre toute courbée, couverte d’un foulard fleuri, un homme d’allure athlétique, coiffé d’un chapeau richement orné et bordé de fourrure blanche, vêtu d’une pelisse bleue brodée d’argent, ganté de moufles blanches et chaussé de bottes en feutre. Derrière eux, on apercevait une jeune fille belle comme le jour, également habillée de bleue et coiffé d’une tiare étincelante. D’une voix de basse profonde, certainement celle qui avait réveillé les jeunes ce matin, il présenta le trio :

« La vieille dame, c’est Babouchka, c’est elle qui descend par la cheminée car ma tenue ne me permet pas tellement les acrobaties dans la suie. De plus, le bleu est terriblement salissant et je ne vous parle pas de la fourrure blanche ! »

Père Noël leva les yeux au ciel « Mais qu’il est snob !" pensait-il chaque fois qu’il l’entendait.

« Moi, je m’appelle Ded Moroz, autrement dit, Le Père Gel. J’interviens dans la nuit du 31 décembre et non pas le 25 comme les autres : continua-t-il un rien condescendant. Dans le passé, je ne me déplaçais que pour punir, sévir lorsque les petits n’étaient pas bien mignons? J’annonçais le gel, la glace, l’hiver rigoureux en Russie. Il s’arrêta un instant : « mais les temps ont changé, dit-il dans un soupir… "Maintenant je suis moins strict, je me suis bien ramolli". Il hochait la tête. "Peut-être à cause de ma fille ? Elle s’appelle Snégourotchka, autrement dit Petite Fille des neiges. C’est la prunelle de mes yeux ! ».

Ensuite on vit approcher Befana, la sorcière italienne qui, comme Babouchka se glissait dans les cheminées pour apporter des jouets aux petits italiens. Santa Claus, apparut, habillé de rouge il était la copie conforme du Père Noël. Ce fut le tour de Pierre le Noir, le terrible cavalier qui conserve sur lui les registres des agissements : aux garnements les coups de fouet, aux chérubins les cadeaux de son acolyte Saint Nicolas. Ces deux-là avaient fini leur travail de l’année : on était le 11 décembre et leur tournée avait eu lieu le 6. Tout s'était déroulé avec bonheur et ils en étaients bien soulagés. Le vieux bonhomme, les yeux mi-clos, songeait à ce qu’il ferait lorsque le 25 décembre serait derrière lui et, à en croire le sourire béat qu’il affichait, ça devait être bien sympathique !

On vit aussi passé le grec Agio Vassili, Saint Basile qui officiait le 1er janvier (n’en déplaise à Ded Moroz, il avait la même date !), l’Indou Thatha, le Babadimrin ou Grand Père Hiver d’Amérique Latine, les gnomes suédois joliment nommés les JulTompte qui, vivant dans les forêt, s’approchaient des maisons le 13 décembre.

En regagnant leur chambre, ce soir-là, les jeunes apprentis avaient un peu le tournis. Que d’émotions. Ils avaient tantôt eu peur des gnomes, des trolls, de Pierre le Noir ou du fameux Père Fouettard, tantôt aurait aimé accompagner Babouchka ou Befana, tantôt aspiré à un simple baiser de la jeune et magnifique Snégourotechka.

Demain, on saurait peut-être… ou pas ! : songea Noël, après tout, il n’était plus si pressé.

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