J-16

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Les rennes ! Les rennes !!! Le pensionnat fut réveillé par les cris d’alarme lancés par les lutins … On avait perdu les bêtes ! D’un bond, tout le monde sauta dans son pantalon et ses baskets, enfila son pull à toute vitesse (et même à l’envers pour certains), on passa la main dans ses cheveux pour les plus coquets ou on ajusta le bonnet pour les autres. Les petits pieds et les autres dévalèrent l’escalier.

Pas le temps de prendre un petit déjeuner à la cool suivant l’expression consacrée des apprentis. Il fallait retrouver les cervidés, fissa !

Dehors, il faisait la nuit. La lueur pâle de la lune ricochait sur la neige, puis se cognait à un sapin pour terminer au loin derrière un sommet acéré. Le Père Noël, faisait les cents pas, visiblement préoccupé par le départ inopiné des rennes. Le front plissé, de temps en temps, il plaçait ses mains en porte-voix et lançait des appels tonitruants à la cantonade.

- « Caviar ! Mouji ! Biscotte ! Choco ! » puis il stoppait ses cris pour écouter les réponses de la nuit. Rien. La nuit neigeuse n’avait rien à lui susurrer…

- « Marron ! Lino ! Cala ! Blini ! Dina ! » Ecoutant la nuit, il devait se résoudre à n’entendre que le vent léger frôlant les grands sapins noirs.

- « Liégeois ! Lili ! » De nouveau le silence.

Noël, Noël et les autres s’étaient rapprochés du vieil homme. Sortis du lit pour se retrouver dans la neige provoquait chez certain quelques frissons, surtout lorsqu’ils avaient omis d’attraper leur blouson… Les lutins, catastrophés, se lamentaient… « Noël fichu ! » : râlait l’un d’entre eux en balançant d’un air rageur son pied sur une motte de neige, un autre pleurnichait quand son voisin invectivait les rennes disparus : « Ah, elle est belle la conscience professionnelle… disparaître à quelques jours de Noël, c’est du propre… ! Et pourquoi faire ? Les beaux dans les montagnes ? Tant pis, s’ils se faisaient dévorer par les meutes de loups, ce serait bien fait pour eux ! »

« Non, protesta le Père Noël, pas question qu’ils se fassent manger par les loups ; Allons les chercher ! »

Noël, n’était pas très chaud à vrai dire… Il faisait bien nuit et les lueurs bleuâtres qu’il apercevait au loin, ne lui disait rien qui vaille. Et puis, sans son chocolat chaud, son esprit n’était pas hyper affuté, c’était un coup à se faire engloutir par quelques prédateurs à l’affut d’un petit gars bien juteux ! Rien qu’à cette idée, Noël grelottait.

- Père Noël, osa-t-il, il faudrait peut-être que certains restent à la maison au cas où ils réapparaîtraient ?

- Et je parie que tu te proposes à rester là, je me trompe ? insinua le bonhomme mi rieur mi agacé. Assez jacassé, on bouge. Ceux qui n’ont pas pris leur manteau et leur bonnet, corrigez-moi ça. Je ne veux pas d’une pneumonie ou d’une angine chez moi ! Allez Hop ! Hop ! Hop ! C’est parti !

On composa des trios : un lutin et deux enfants. Le vieux Noël lui-même participait aux recherches. On criait, on appelait, on chantait, on secouait des sacs de friandises… Pas le début d’un bois de renne à l’horizon. Alors, on suppliait, on pleurait, on promettait des caresses, des lichens super frais, on secouait plus fort les sacs de friandises. La campagne restait muette. On avançait péniblement dans la neige. Parfois, le lutin montait sur les épaules d’un enfant de peur d’être carrément englouti par la poudreuse blanche. Noël frissonnait mais il soupçonna vite que la peur avait pris les commandes de son cerveau.

- « Stop cria-t-il ! Faut que je m’arrête… Et c’était vrai… le froid n’engourdissait que son cerveau. Il fallait qu’il vide d’urgence sa vessie.

Il s’écarta un tout petit peu du groupe : trop c’aurait été risqué mais la décence luis interdisait tout de même de faire pipi sur les pieds d’un copain. Sans parler du pauvre lutin, haut comme trois pommes qui aurait risqué une noyade peu reluisante.

Dans l’ombre d’un grand sapin, il entreprit d’enlever ses moufles, d’ouvrir son manteau quand il réalisa que deux grands yeux jaunes l’observaient. Son sang ne fit qu’un tour :

« Qui va là ? gémit-il d’une voix tremblotante »

Il n’obtint aucune réponse.

« C’est pas malin de faire peur aux gens. Qui es-tu ? »

Les yeux clignèrent une fois. Aucun son ne lui parvenait.

« T’es le grand loup gris ? L’ours des montagnes ? Qui es-tu à la fin »

Le silence de son vis-à-vis, finissait par avoir raison de son affolement initial. Plus il s’énervait, plus l’angoisse s’évaporait. Alors, il tenta le coup pour le coup :

« Je cherche les rennes du Père Noël, tu ne les aurais pas vu par hasard ? Si on ne les retrouve pas, les enfants trouveront leurs chaussons vides le 25 décembre ; Quelle misère ! Nous avons une grande responsabilité. Il faut les retrouver d’urgence ! »

Les grands yeux jaunes clignèrent une fois de plus, puis une gros rire explosa en une multitude de petites notes : croches, doubles croches, triples croches ! Noël soupira d’aise : il avait trouvé les cervidés !

- « Allez, venez bande d’idiots, vous nous avez fait drôlement peur. Même le Père Noël est vert de gris après la découverte de votre départ. Va falloir qu’il se retape maintenant, il est drôlement vieux. Vous êtes vraiment des inconscients ! Allez à l’écurie, assez palabré ! »

- NON !

- Comment ça, « NON» ?

- Nous avons nos conditions… Sinon, nous ne rentrerons pas !

Interdit, Noël restait là, les bras ballants, sans gant, manteau ouvert.

- Mais c’est quoi des « conditions » ? murmura l’enfant.

- Ben c’est quand on estime qu’on est maltraité et qu’on demande quelque chose en plus.

- Quelque chose en plus ? Mais vous avez entendu, on est prêt à vous donner des friandises, du lichen hyper frais…

- Nous on veut des gratouillis, tous les jours

- Et des câlins aussi

- Et des bisous renchérit un autre.

Tous les rennes s’étaient rapprochés du garçon maintenant cerné par les yeux jaunes des rennes et chacun y allait de sa récrimination.

- Moi je veux qu’on me brosse chaque jour

- Et qu’on me susurre des mots doux

- Et des cajoleries et des caresses.

- Stop ! hurla Noël , c’est ok. On fera tout ça, promis.

- Ouep ! Trop facile et si vous ne le faites pas ? Les promesses n’engagent que ceux qui les croient protesta le philosophe rebelle de la bande.

- Ben ce sera bien simple, il vous suffira de repartir dans la nuit noire et froide et d’aller chercher vous-même votre lichen ! Bon et puis zut, restez où vous êtes, nous on rentre il fait trop froid et mon chocolat m’attend à la maison…

- Mais euh et les enfants alors, tu as oublié ? Ils n’auront rien alors…

- Ben tant pis, on leur expliquera que vous préférez gambader tout seuls dans la montagne au milieu des loups et des ours. Ils comprendront ! bluffa l’enfant.

- Bon alors, si vous promettez, on vient… balbutia Liégeois le plus ancien.

- Oui, on rentre, j’ai froid aux sabots, j’ai les bois congelés et les babines bardées de glace. Et puis, moi ça me va si on vient me dire bonjour tous les matins ! s’exclama Cala.

Noël se retourna :

- Allez câlin collectif et puis, je fais un p’tit pipi et on rentre rassurer les autres !

Ainsi fut fait. Le jour commençait à se lever, aurore rose comme les joues des enfants. L’entrée au pensionnat fut triomphale, le Père Noël leva les bras au ciel comme pour remercier les étoiles qui s’atténuaient progressivement.
On déclara que l’incident était clos et que chaque jour les humains, les lutins et le Père Noël accorderaient de leur temps à ces majestueuses peluches qui adoraient l’herbe, le lichen et les petits moments de tendresse.

La journée s’écoula gentiment scandée par les activités habituelles.

Ce soir-là, Noël savoura la chaleur de son lit et ses découvertes du jour. Il avait vaincu la peur, il avait fait preuve d’attention sans se braquer, il avait persuadé les rennes sans les brusquer. Oui, sans forfanterie, il acceptait d’admettre qu’il était quelqu’un de bien.

A moitié endormi, il eut à peine la force de se rappeler sa ritournelle habituelle :

Demain on saurait, pe…

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