J-18

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Dès le réveil, Noël, jette un œil sur sa voisine et constate qu’elle est toujours là. Elle dort toujours, le bonnet bien vissé sur sa tête. Le dortoir commence à ronronner. Certains enfants discutent entre eux.

- « Pfff ! j’en ai un peu marre de lire et d’écrire…. J’aimerais bien qu’on change un peu d’activité, murmure celui-là.

Une voix s’élève dans l’obscurité : « Boh, tu sais, faire ça ou autre chose… »

- Non, mais moi j’aimerais bien qu’on apprenne à conduire le traîneau !

- Il se conduit tout seul ! c’est un traîneau 2.0 t‘as oublié ce qu’on nous a dit le premier jour ? »

- N’importe quoi ! Oui, il est 2.0 mais les avions aussi et pourtant, il y a toujours un pilote dans les appareils ! Et même c’est hyper difficile pour avoir le diplôme !

- De toute façon, si on veut avoir quelque chance de faire partie des lauréats, il vaut mieux éviter de se plaindre et obéir !

- Obéir bêtement et aveuglément ? Tu penses sincèrement que c’est la solution ? Moi, je crois qu’il faut avoir le sens des responsabilités et prendre des initiatives. Donc, il faut être capable de proposer et d’innover !

La conversation, même à bas bruit finit par réveiller tous les dormeurs. Chacun y allant de ses convictions, du bruissement on parvint rapidement à une cacophonie :

- Ténacité et endurance !

- rigueur et créativité !

- sensibilité !

- patience !

- persévérance !

- méticulosité !

- C’est quoi, ça ? Ca ressemble à une maladie ! ricana un des jeunes.

- Vaillant et travailleur !

- Honnêteté et sens de l’organisation !

Soudain :

- Ho Ho ! Que se passe-t-il ici ? Pourquoi tout ce vacarme ! Quelle belle énergie enfants ! Allez oust debout, mettez les langues au repos : la journée commence.

Noël, Noël, Noël et les autres baissaient les museaux, honteux de s’être fait pincer en plein épisode de désobéissance. Pourtant Noël, celui qui affirmait que l’excès de docilité engendrait une forme de sottise, s’autorisa une question :

- Père Noël, qu’attendez-vous de nous en vrai ? Est-ce que nous devons être des anges de douceur, de soumission toujours et tout le temps ?

Le vieil homme sourit et prit un air mystérieux :

- Je ne peux rien vous dire finit-il par lâcher, c’est à vous de tout découvrir. Bientôt, vous saurez, c’est tout ce que je peux divulguer.

« Divulguer ? quesako », chuchota un des enfants derrière ses mains dodues. Son voisin pouffa de rire. « T’es bête ou quoi ? ça veut dire qu’il ne nous donnera pas son secret, c’est à nous de le découvrir ».

Bizarrement, le Père Noël jeta un coup d’œil tranchant comme un couteau aux deux enfants. « Un détail encore : j’attends de vous une conduite exemplaire entre vous. Il n’y a pas de compétition, retenez bien cela. Donc, pas d’insultes, encore moins de coups et de l’entraide, beaucoup d’entraide !" acheva-t-il en gonflant la voix à la manière d’un chanteur d’opéra.

Sur ces mots, il tourna les talons, laissant l’assemblée stupéfaite : comment avait-il fait pour entendre ce qui n’était pas audible ?

Un lutin, puis deux, puis trois entrèrent à leur tour déroulant une longue feuille. L’un d’entre eux claironna :

« Aujourd’hui, après le petit déjeuner, visite médicale, puis lisant le feuillet, pour Noël, Noël, Noël, Noël…et Noël. » Les autres aux courriers comme d’habitude. Cet après-midi, on inversera. »

Encore une fois, personne ne se trompa et les enfants se répartirent comme prévu.

Un premier candidat se présenta, les autres restaient en retrait paralysés par l’inquiétude : « et s’ils n’étaient pas bon pour le service ?"

Petit mais râblé, il avait une constitution forte qui lui avait épargné grippes, angines et bronchiolite. Il était doté d’une vue perçante et ses oreilles, joliment ourlée, fonctionnaient à merveille. Il se savait en pleine forme et paradait avec mesure en petite culotte. Le premier lutin le mesura et annonça en grande pompe : « un mètre trente-quatre » ! Il monta ensuite sur la balance : « Trente-trois kilos ». Noël s’étonna que personne ne note ses mensurations. Ensuite, les yeux : « 10/10 aux deux yeux. Parfait jugea-t-il mais personne ne fit le moindre commentaire. Il passa un audiogramme avec brio. Il présumait qu’il en avait fini de l’examen médical quand un des lutins l’invita à pénétrer dans une drôle de machine qui trônait dans un coin de l'infirmerie. Immense, elle étincelait de mille feux et ronronnait modestement. A contre cœur, l’enfant s’exécuta. A l’intérieur, il faisait sombre, un écran incrusté dans le mur semblait le balayer de haut en bas. Il remarqua une courbe sinusoïdale verte à la base du panneau qui lui faisait face. D’un coup, le tracé devint rouge et s’affaissa complètement. Noël s’alarma. Il retrouva un semblant d’espoir quand la courbe reprit de la hauteur et repassa au vert. Puis, tout s’éteignit, la porte s’ouvrit l’autorisant à sortir. Dehors, les lutins, s’affairaient à sortir de la machine une longue feuille enroulée dont il supposa qu’elle servait de support à la fameuse courbe. Il aurait bien eu besoin d’être rassuré mais rien. Les lutins ne lui jetèrent pas même un regard ! Alors, il se résigna à rejoindre sa place dans le rang.

Ce fut le tour d’un autre Noël. Chétif et blond, son avenir chez les pères Noël faisait débat parmi les pensionnaires. Pourtant, nul ne fit le moindre commentaire. Il entra également dans l’antre de la machine et en ressortit, avec la même indifférence des lutins. Puis sa voisine de lit dut s’avancer. Noël crut qu’enfin elle allait être démasquée. On voyait clairement qu’elle était une fille. Et bien non, elle suivit le même cursus que les autres et se replaça dans le rang sans observation.Le défilé continua ainsi toute la matinée...

Enfin, le dernier s’approcha : frisé et mat de peau, il avait, malgré son angoisse palpable, l’œil rieur. Peut-être cherchait-il justement à juguler l'incertitude qui le taraudait.

Mesure, poids, vue... tout était dans les normes. Au moment de l’audiogramme, il fondit en larme, il hoquetait de désespoir. Les autres, interdits, comprirent que leur camarade n’entendait goutte. Comment avait-il fait pour donner le change ? Et puis, les paroles du Père Noël leur revinrent en mémoire : le cœur, toujours le cœur avait-il dit lorsque tous craignaient de ne pas savoir bien lire ou bien écrire. Alors, d’un seul geste, ils entourèrent le pleureur et calmèrent avec force caresses et gentillesse sa détresse. Celui-ci, rasséréné entra alors dans la machine et en ressorti, les yeux encore brillants.

Le soir venu, le bonhomme Noël, ne reparut pas, englouti probablement sous un monceau de rouleaux de papier expulsés par la gigantesque machine, songea Noël.

Ce soir-là, il dût bien en convenir, Le Père Noël pouvait donc être une fille ou un enfant sourd…

Qui sortirait aurait les honneurs de la nuit du réveillon ? Plus le temps passait, plus les critères de choix lui paraissaient incertains.

Demain on saurait, peut-être !

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