Et je me couche au fond de l’eau

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Et si c’était elle qui haïssait sa sœur ? Bien que trop jeune pour accéder à la subtile ambiguïté de ce genre de pensées, elle restait troublée par l’histoire de l’étang. Oh bien sûr elle avait demandé pardon, elle avait pleuré. Elle ne l’avait pas fait exprès, promis, juré. Elle avait ricané aussi, mais en cachette, malgré elle, sans comprendre pourquoi. Car elle adorait sa sœur, elle rêvait juste de réciprocité. Ce n’était pas elle la méchante, voyons, ce n’était pas elle qui refusait de jouer, pas elle qui tapait. Voilà pourquoi l’accident de l’étang la perturbait autant. Heureusement elle avait trouvé une explication simple : elle ne supportait pas d’être accusée de mensonge. Elle détestait ne pas être crue, être traitée de "fabulatrice" alors qu’il n’y avait pas plus honnête et sincère qu’elle !

C’était un jour d’été, ces trop longues vacances chaudes où le temps semble figé. La pelouse un peu jaune et ses pâquerettes coquines s’étalaient en pente douce vers une mare pompeusement appelée « l’étang » et creusée en forme de huit asymétrique : à gauche un cercle plus grand rempli d’un fond d’eau boueuse et sur la droite un étroit puits taillé dans la roche. Elles avaient inventé un nouveau jeu. Il faudrait marcher les yeux bandés pour rejoindre la rive. Celle qui arriverait le plus près serait la gagnante. Évidemment l’une devrait l'arrêter si l'autre appprochait trop près de l’eau.

Elle avait commencé, le noir l’effrayait, le mot terreur était faible pour exprimer l’intensité de ce qu’elle ressentait dans cette obscurité forcée. Alors oui évidemment elle trichait, un tout petit peu. Sous le bandeau, c’était facile de voir ses propres pieds et l’herbe brûlée, rien de plus.

Elle entendait la voix qui l’encourageait à avancer encore, mais elle avait préféré s'arrêter. Allez, insistait l’aînée. Comme un âne cabré, pas question de faire un pas de plus. Une fois le bandeau ôté, elle était à plus de dix mètre de la mare. Pff, perdu, trouillarde, t’es nulle, à mon tour.

Alors la grande, les yeux bandés, avait foncé, sans hésiter, droit vers l’eau, enfin un peu plus à droite, vers le puits. Elle l’avait observée cheminer avec admiration. Quelle courageuse sa chère sœur quand même. Plus celle-ci s’approchait du trou, plus son ventre se serrait.

Bien à temps, juste à temps, elle avait crié un STOP clair et net. Quoi, avait rétorqué l’autre. T’es arrivée ! Pas possible, t’es qu’une sale menteuse, tu veux me faire perdre. Alors voilà, elle avait eu une impulsion, comme ça, hop, et avait répondu, ben oui avance encore un peu.

La sœur avait osé un pas de plus, un peu hésitant quand même, mais cela était un pas… et elle avait basculé dans le trou. Rien de bien grave, une chute d’un bon mètre avant de rejoindre l’eau glacée.

Les décibels avaient attiré les parents au galop. Ils l’avaient tirée de l’eau. Il faut reconnaître qu’elle avait le dos en sang, un joli rouge dégoulinait entre ses omoplates. Les pointes des cailloux qui saillaient de la paroi du puits l’avaient salement écorchée. Elle gueulait en sanglots, c'était la colère qui gagnait sur la douleur.

Alors prévoyante, elle s’était jointe au concert.

Autant pleurer aussi.

De trouille.

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