Ell' m’a puni de ce culot

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Tu me le payeras, maudissait la sœur que la mère badigeonnait de mercurochrome. Je t’avais dit d’arrêter, je t’avais dit, je t’avais dit, psalmodiait-elle. À la fin, c’était toujours elle qui gagnait le concours de sanglots. Les jours suivants, elle marcha sur la pointe des pieds, même ses poupées devinrent très taiseuses. Elle n’avait pas les mots pour nommer ce mélange de culpabilité et de jubilation. Elle l’avait pourtant fait, elle avait balancé sa sœur dans un trou.

Il fallait parfois regarder un dessin animé. La télévision était en noir et blanc avec un seul poste, une antenne déposée dans le grenier. Ses parents trouvaient que la dépense n’en valait pas la chandelle. Et justement pour les chandelles, il ne fallait plus compter sur elle pour les tenir. La sœur pouvait désormais inviter ses copines, fous le camp, fous-nous la paix. Elle s’en foutait, ne pleurait plus devant la porte close, ne rêvait plus de les accompagner dans leurs vains secrets. La solitude devenait sa vraie amie. Il y a tellement de mots dans une tête. À quoi bon s’encombrer et essayer de les combiner avec ceux des autres. En vérité, elle aurait bien voulu avoir une chère amie, partager de folles aventures, sauver des vies, mourir sacrifiée. Des naufrages et des cannibales menaçaient ses jouets. Mais les quelques fillettes conviées restaient figées à la regarder jouer. Elle croisait leur regard inquiet et se tétanisait. Elles ne lui disaient pas t'es dingue, elles disaient t'es originale. Le mot était compliqué, où avaient-elles entendu cela ? C’était évidemment la maîtresse qui avait posé le verdict. Avec la télévision, c’était plus simple, il y avait même une petite fille qui lui ressemblait et qui était plus forte que les pirates. Malheureusement ça ne durait que vingt minutes. De bonheur intense.

Sa sœur le savait. Tu regardes encore ta débile à tresses. Elle passait et repassait devant l’écran, singeait les voix des personnages, coupait le son. Alors il fallait raccuser. Et c’est là que tout se corsait, l’aînée niait, je n’ai rien fait, elle ment tout le temps, exprès pour me faire punir. C’était la guerre. La mère criait je deviens folle. Le feuilleton était fini. Il fallait aller faire pipi, puis se battre pour récupérer son fauteuil, qui va à la chasse perd sa claque. C’était la guerre. La vie était injuste, nulle. Le désespoir était intense, bref.

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