Elle revient, ça tourne mal

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Alice se frotta les yeux. Il était temps qu'elle refasse de la Potion d'Aiguise-Méninges, la réserve actuelle qu'elle possédait ne devait plus être assez efficace. Elle avala sa dernière tartine de confiture, but d'une seule traite son verre de jus de citrouille et se leva. Personne ne mangeait à ses côtés sur la table réservée à la Seconde Quatre, et c'était très bien comme ça. Il était encore tôt, Kassandra, Julie et Margot n'était même pas encore arrivées. Alice les observait toujours secrètement, mais n'arrivait jamais au stade d'être tentée de les rejoindre. Son esprit modulé par la potion lui montrait clairement le programme de sa journée, et il n'y avait absolument pas de temps pour discuter avec ses amies. Elle avait beaucoup trop de choses à faire, en dehors de préserver les apparences.

« Peuple d'Europe ! L'heure est grave ! Le Ministère conservateur vient de signer un acte de guerre ! »

Ce furent les mots qui retentirent dans toute la salle, d'une voix puissante, trop parfaite pour être naturelle. La jeune fille se tourna vers l'entrée de la pièce, d'où semblait venir le bruit. Les autres élèves firent de même, coupant court à leurs bavardages.

« Hier après-midi, les despotes ont refusé la création officielle de sièges au Conseil pour nos représentants ! Une telle injustice ne doit pas rester impunie ! Comment peut-on apporter nos idées nouvelles, faire chanceler les traditions sur leurs antiques fondations, avec une démocratie corrompue ? »

Est-ce qu'il pouvait s'agir des .... ? Alice sortit avec son sac, intriguée. D'autres la suivirent, interrompant leur petit déjeuner. La voix reprit lorsqu'elle arriva dans le Hall du Palais.

« Nous n'allons pas y aller par quatre chemins : Ils ont peur. Le Ministre et ses sous-fifres sont conscients du danger que nous représentons pour leur petit écosystème politique sans la moindre ambition, qui se cache derrière les vitres fumées du Siège ! Ce ramassis de vieux croûtons juste bon à commander des rapports sur l'épaisseur des fonds de chaudrons ! »

Ces mêmes phrases étaient inscrites sur l'immense tableau noir de la pièce, qui affichait d'ordinaire les informations transmises par la Direction et les associations. L'objet ensorcelé recommença à parler, cette voix synthétique semblant sortir du tableau lui même :

« N'y a-t-il pas plus important ? Les idées changent, les mœurs évoluent et nos cœurs se tournent vers la liberté ! Nous représentons l'espoir. L'espoir d'une liberté retrouvée après tant de siècles d'oppression ! Et nous abattrons sans pitié chaque obstacle qui nous sépare de cet idéal ! »

Les écritures changèrent, retranscrivant ces paroles. Alice regarda autour d'elle. De plus en plus de monde commençait à affluer dans le Hall, pointant le tableau, certains affolés, d'autres circonspects. Un Tuteur allait arriver d'une minute à l'autre. Nul doute que les auteurs de ce sortilège allaient être lourdement punis. Ils devaient avoir de bonnes raisons de prendre un tel risque.

« Nous devons nous soulever, peuple d'Europe ! Sortons donc dans la rue, faisons porter nos voix, insurgeons nous contre cette atteinte à notre liberté ! Pour faire trembler ces dogmes poussiéreux, nous devons agir de l'intérieur ! Il est vital que nos représentants puissent discuter chaque action du Ministère, qui subrepticement nous enferme un peu plus chaque jour dans notre cage dorée ! »

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda quelqu'un.

- Le Ministère est encore en train de faire des conneries... répondit un autre.

- Il faut faire quelque chose !

- C'est pas possible un truc pareil !

- Il faut se soulever, comme ils disent !

« Regardez autour de vous ! L'économie dégringole, les violences des autorités à l'égard du peuple se multiplient et nos dirigeants refusent de voir le Changement qui se profile à l'horizon. Ce Changement qui sera brutal, car c'est toujours ainsi que le destin d'une civilisation a pris et prendra un tournant décisif dans l'Histoire ! Soulevez vous donc peuple d'Europe ! Rejoignez les Héritiers de Pinkstone, et soutenez nos figures de proue : Camilla Ricci, Alexander Kuefer, Courtney Whittaker et Olivier Delacour ! »

Alice était désormais fixée. Il s'agissait bien d'une action du Club des Héritiers de Beauxbâtons. Mais le message semblait beaucoup plus universel, comme s'il avait été conçu pour être diffusé massivement. Elle aperçut Francesco Vexamio, le leader charismatique du club, qui arrivait avec ses partisans. De l'autre côté de la pièce, plusieurs Tuteurs dévalaient les escaliers à toute vitesse, des professeurs sur leurs talons. Alice saisit ce qui allait se passer. Ce n'était pas un endroit où elle devait s'attarder, surtout qu'elle avait bien trop de choses à faire. La jeune fille se faufila jusqu'aux marches de marbre, tandis que le discours du tableau ensorcelé recommençait :

« Peuple d'Europe ! L'heure est grave... »

Kassandra, Margot et Julie arrivèrent au Palais, un peu essoufflées car cette dernière s'était mise à taquiner la première, qui lui avait couru après. Le Soleil pointait à travers les nuages, déjà levé depuis deux heures en ce début du mois de Juin.

- Mon petit Kassoulet ? demanda innocemment l'espiègle jeune fille.

- Chut ! grogna Kassandra.

Margot ricana.

- Ça te va trop bien, j'ai hâte que tu-sais-qui l'entende... s'amusa t-elle.

- Toi je te jure...je vais te graille direct si tu m'appelles comme ça devant lui ! s'emporta la jolie rousse en menaçant du poing Julie.

Celle-ci se précipita en avant, grimpant les marches menant à l'entrée du Palais. Elle se retourna et fit une grimace moqueuse.

- C'est plus moi qui vais te manger, mon petit Kas...

Elle ne termina pas sa phrase, se tournant vivement vers l'intérieur du Hall. Ses amies la rejoignirent, perplexes.

Il y avait des cris, et de la fumée orange qui obscurcissait la grande pièce.

- Qu'est-ce qui se passe ? trembla Margot.

- Je sais pas, mais j'ai faim, alors on va traverser tout ça ! décida Julie en entrant dans le Palais.

- Elle est obligée de toujours réfléchir avec son ventre celle-là ? protesta Margot.

- Elle a raison en même temps hein, les cours vont commencer, faut qu'on se dépêche ! justifia Kassandra.

Elle attrapa la main de son amie et elles plongèrent dans la fumée et le vacarme qui emplissait le Hall.

« Le Ministère à la benne ! » scandaient les élèves.

Suivant le passage que se frayait Julie dans la foule, elles parvinrent à se glisser dans la Salle à Manger, dans laquelle la fumée ne parvenait pas à pénétrer. Clémentine et un autre Tuteur étaient postés à l'entrée, baguettes brandies.

- Ça va les filles ? s'enquit-elle, peu rassurée.

- Oui...mais c'est quoi ce délire ? lui demanda Julie.

- On ne sait pas vraiment, t'en as qui foutent le bordel, ils protestent contre je sais pas quoi...on est pas assez de Tuteurs !

- Mais ils font quoi les profs...et la Direction ? frémit Margot.

- Ils laissent faire, en bloquant les entrées...je comprends pas pourquoi...

Les trois amies allèrent s'asseoir à la table des Secondes Quatre, inquiètes.

- Vous avez vu les Héritiers de Pinkstone ? demanda Jules Maes, tout excité.

- C'est eux ? Les terroristes ? s'alarma Kassandra.

- Comment tu sais ça ? le questionna Margot.

- J'étais là au tout début, avant la fumée, ils avaient écrit des trucs sur le tableau du Hall, et il y avait une voix qui disait de rejoindre les Héritiers de Pinkstone ! expliqua t-il.

- Oui je l'ai entendue aussi ! s'écria Laure Rosier.

- Ouh là là ils sont partout...même ici, parmi les élèves... murmura Kassandra.

- Ouais, ya des gens pas nets dans cette école... lâcha Julie.

Quelques minutes avant de terminer leur petit déjeuner, les portes de la Salle à Manger se fermèrent avec un grand bruit. Les élèves ayant achevé leur repas se mirent à faire la queue devant les deux Tuteurs postés devant la sortie. À neuf heures moins-cinq, ils purent enfin partir. Le Hall du Palais était aussi reluisant qu'avant, il n'y avait plus aucune fumée, et aucun terroriste pour crier des slogans anti-ministère.

Pendant les semaines qui suivirent, les journaux reportèrent de multiples manifestations dans toute l'Europe. Les Héritiers de Pinkstone boycottaient les services du Ministère Européen de la Magie, inondaient leurs bureaux de lettres d'insultes et autres colis piégés, tandis qu'un scandale révélant l'emprisonnement de Saúl Marcos, le joueur de Quidditch, avait éclaté, ce qui n'aidait pas les choses. La Direction de l'Académie placarda dans chaque pièce un écriteau catégorique :

S'il vous prend l'envie de perturber d'une quelconque façon les examens de fin d'année ou la période les précédant, sachez que vous devrez répondre de vos actes devant un tribunal pour Trouble à L'Ordre Public.

- la Direction

L'effet escompté fut obtenu, puisqu'il n'y eut pas d'autre agitation notable jusqu'à la semaine des examens. La plupart des élèves étaient bien trop occupés à réviser leurs dizaines de dates en Histoire, leurs incantations pour l'épreuve pratique de Sortilèges, ou bien encore les complexes formules de Métamorphose. Cela leur fit également cesser progressivement leurs moqueries envers les Serres Vengeresses. L'arrivée de températures plus qu'agréables, couplée à un beau ciel bleu, dispersait les académiciens dans les Jardins. Le samedi soir précédant le début des examens, Kassandra se retournait sans cesse dans son lit. Le dortoir était plongé dans la pénombre. Sa gorge était sèche. L'épreuve pratique de métamorphose du lundi l'angoissait. Peut être même plus que le dernier match de Quidditch du trimestre contre les Crocs d'Argent, qui allait se dérouler le samedi prochain. N'en pouvant plus, elle repoussa sa couverture et se leva. La faible lueur de la lune filtrait à travers les volets clos d'une fenêtre proche, éclairant le lit vide d'Alice. Kassandra se déplaça sur la pointe des pieds jusqu'à la porte de la salle d'eau, qu'elle entrouvrit avant de s'y faufiler.

Le visage rafraîchit et sa soif étanchée, son inquiétude grandit alors qu'elle étudiait une mèche rebelle dans le miroir.

Où pouvait-elle bien être ?

Cela faisait longtemps qu'Alice disparaissait presque chaque nuit, se couchant extrêmement tard, et étant toujours levée avant tout le monde. Mais tout de même, les examens de fin d'année n'avaient jamais été aussi proches, elle ne pouvait pas ignorer tout ça ! Son amie avait beau être très douée et connaître plein de choses, c'était complètement stupide de sa part de se présenter aux examens dans son état ! Et voilà, elle était de nouveau prise de l'une de ses crises d'angoisse, imaginant le pire pour Alice. Elle devait lui parler, et cette fois elle ne se laisserait pas faire ! Depuis qu'elle s'était réconciliée avec Margot et Julie, et liée d'amitié avec le charmant Eliot Klein, sa confiance en soi était revenue. Kassandra était désormais sûre d'avoir la force mentale de s'opposer à Alice. Elle lui sauterai dessus dès qu'elle la verrait. Tout compte fait, elle n'avait plus envie de dormir. Elle décida d'attendre le retour de son amie au Salon du Pavillon. Kassandra sortit avec précipitation du dortoir endormi et longea le couloir carrelé, avant de dévaler l'escalier. Les chandeliers éclairèrent ses pas. Quelque chose remua lorsqu'elle atteignit la dernière marche.

- Oh c'est toi Kass... murmura une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.

Une voix qu'elle n'avait pas entendue depuis longtemps. Alice était avachie dans l'un des fauteuils confortables, sa cape sur ses épaules. Son teint était pâle. Elle avait retiré de très belles bottes noires, serties d'or.

Kassandra se rapprocha doucement, épouvantée par l'état de la petite blonde.

- T'étais où ? demanda t-elle précipitamment, affolée.

- Je...j'ai...baladé...dans les jardins...j'arrivais pas à dormir, répondit faiblement son amie.

- Mais tu es tombée sur quoi dehors pour revenir comme ça ? Tes vêtements sont tous déchirés !

- Les...les...roses...

Alice s'effondra. Kassandra se précipita sur elle. Elle passa une main tremblante sur le front trempé de la petite blonde. Sa résolution de questionner Alice sans broncher fondit comme neige au soleil.

- Mais tu as de la fièvre ! Il faut aller à l'Infirmerie !

- Non...ça va passer...t'inquiète pas...il me faut du...

Alice tenta de se lever, un objet tomba de sa robe. C'était un petit carnet à la couverture de cuir, orné d'un symbole représentant une sorte de créature ailée, et cadenassé par un mécanisme d'apparence complexe.

La jolie rousse fronça les sourcils, mais reporta son attention sur son amie qui était retombée dans le fauteuil.

- Qu'est-ce qu'il te faut ? l'implora t-elle, terrifiée.

- Petite fiole verte...dans ma table de nuit...tu peux pas la louper...

- Ok j'y vais tout de suite...tu bouges pas !

Kassandra remonta l'escalier quatre à quatre, s'engouffra dans le dortoir paisible et tenta d'ouvrir un par un les tiroirs de la table de nuit d'Alice. Les deux premiers lui résistèrent mais le troisième s'ouvrit sans effort. Elle repéra la petite fiole verte parmi un impressionnant assortiment de flacons de toutes les couleurs.

Elle resta veiller sur son amie une bonne partie de la nuit. Juste après avoir avalé le contenu de la fiole, Alice sembla aller mieux. Elle avait arrêté de trembler et s'était rapidement assoupie dans son fauteuil. Un autre objet était tombé de sa poche : il s'agissait d'un petit carnet bleu, avec une tête de lapin sur la couverture. Détaillant avec douceur le visage de son amie qui dormait sereinement, abrité derrières ses mèches blondes maculées de terre, Kassandra mit dans sa poche le carnet bleu d'Alice, sans remarquer qu'une feuille de parchemin coloré en dépassait. Puis elle examina l'autre carnet, plus vieux et cadenassé. La créature représentée sur la couverture de cuir ressemblait beaucoup à une illustration qu'elle avait vue dans un vieux conte étudié en cours de Littérature. Il s'agissait d'une sorte de dragon, sauf qu'il possédait uniquement deux pattes. Le professeur avait dit que cette bête était une « Vouivre » ou « Wyvern » en anglais. Il y avait aussi une histoire d'un « chevalier du Cardigan » , ou un nom du genre, qui avait combattu la créature avec un gros poney gris et sa langue. Kassandra était surprise de se souvenir d'autant de détails. Elle finit par mettre l'étrange carnet dans son autre poche, et se promit d'interroger Alice le lendemain sur ses possessions. L'émotion soudaine avait apaisé ses préoccupations, ses petits yeux verts se fermèrent et le sommeil vint la cueillir, à une heure avancée de la nuit, telle l'une des fleurs qui fleurissaient dans les jardins de l'école.

En cette matinée de Dimanche, le dortoir était encore relativement calme, les élèves profitant d'une dernière grasse matinée avant le début de la semaine importante qui se profilait. L'eau tiède coulait sur son corps, effaçant les témoignages de la nuit dernière. Grâce aux soins qu'elle s'était prodigués, les plaies dans son dos et sur ses jambes s'étaient refermées, laissant derrière elles de légères marques qui finiraient elles-aussi par disparaître. Dorénavant son esprit était clair, son but limpide, comme l'eau qui redonnait à ses cheveux leur couleur d'origine, arrachant la boue, la poussière. Son teint innocent revenait. Ses bijoux correspondaient de nouveau à ce dernier.

Elle entendit la porte s'ouvrir alors qu'elle s'enveloppait dans une serviette blanche, trop grande pour elle. Elle vit un sourire éblouissant, des yeux verts pétillants et un bref éclat rougeoyant, puis se retrouva dans les bras de Kassandra, dont les yeux étaient mouillés de larmes.

- Tu m'as tellement fait peur espèce de folle !

- L'état dans lequel tu étais...je croyais...j'ai... continua Kassandra, la tête sur l'épaule d'Alice.

- C'est fini maintenant, je vais très bien, l'assura cette dernière.

La jolie rousse mit fin à leur étreinte. Il était temps qu'elle crache le morceau.

- Non tu ne vas pas bien ! Mais enfin tu t'es vue ? Tous ces derniers mois, tu m'as...abandonnée, tu ne voulais plus voir personne ! Tu t'étais éteinte ! explosa t-elle, détaillant son amie des pieds à la tête.

- J'étais loin de ça, si tu savais...

- Oh ça oui j'ai l'intention de savoir !

- Tu ne peux pas comprendre...

- Comment ça je ne peux pas comprendre ? gronda t-elle. Je ne suis pas aussi débile que tu le penses !

Sur ces mots elle ouvrit violemment la porte de la salle d'eau, qui vint taper avec force sur les carreaux blancs. Il y eut quelques grognements venant des lits juste à côté de la porte.

- Kass...

Kassandra se précipita dans le dortoir, indifférente aux reproches que lui lançaient ses diverses occupantes, et se mit à fouiller énergiquement dans ses affaires. Alice la rejoignit, ses pieds mouillés marquant le plancher impeccable.

- Je l'ai caché, tu penses bien qu'un truc pareil... dit-elle à voix basse.

Alice ne comprit pas tout de suite le petit manège de son amie. Calmement, elle sortit une robe bleu-pâle propre de son armoire et l'enfila, tout en guettant du coin de l'œil Kassandra.

- Qu'est-ce qui se passe Kass ? demanda Margot en se frottant les yeux.

La jolie rousse tenait quelque chose dans sa main, mais qui n'était pas visible, celle-ci étant encore plongée dans un tas de vêtements. La plupart des jeunes filles du dortoir se réveillaient maintenant, et observaient avec plus ou moins d'attention la scène qui se déroulait devant leurs yeux. Kassandra fit signe à Alice de s'approcher.

- Voilà ! Je l'ai ! C'est ça que tu as ramené hier hein...le cardigan, le gros poney et le Wyvern ! chuchota t-elle, en faisant en sorte qu'il n'y ait que la petite blonde qui puisse l'entendre.

- De quoi tu parles... murmura cette dernière en fronçant les sourcils.

- J'en ai marre de tes mensonges, alors tu me dis ce que c'est, sinon je le montre à tout le monde ! menaça son amie en balayant du regard la pièce.

- C'est un journal... commença Alice, qui discernait la forme rectangulaire à travers les affaires de Kassandra.

- Ça doit pas être le journal de n'importe qui...pour être fermé comme ça...et vu l'état dans lequel t'étais hier soir...

Ses yeux verts scrutaient le visage de la petite blonde, en attente d'une quelconque réaction. Cette dernière sentait la situation lui échapper. Son amie en savait trop.

- Bon ok, je vais tout te dire. Mais juste à toi... concéda t-elle.

Les traits du visage de Kassandra se relâchèrent. Elle replongea le fameux journal qu'avait ramené Alice dans ses affaires, puis dit :

- Parfait, on va dans les Jardins...il fait super beau aujourd'hui.

Elles se levèrent, et se dirigèrent vers la sortie du Dortoir, lorsque Julie les interpella :

- Hé Alice ! T'as fini de faire ta tête de mule ?

L'intéressée ne répondit pas, sentant tous les regards de ses camarades braqués sur elle. Margot retint la jeune brune perplexe, signifiant d'un regard qu'il fallait mieux les laisser s'expliquer seules. Les deux jeunes filles sortirent tranquillement du Pavillon, et s'enfoncèrent dans les Jardins, sans dire un mot. Au bout d'un moment, alors qu'elles n'entendaient plus que les bruits de la nature, Kassandra s'exclama :

- À quoi ça sert tes bouquins, tes potions, tout ça ? Tu fais des trucs la nuit, d'autres trucs que te balader simplement dans les Jardins ! Qu'est-ce que tu cherches à faire ? Tu veux aider ta sœur c'est ça ? L'aider à faire un truc dangereux ? Tu sais à quel point j'ai peur pour toi ?

- Tu n'as pas à avoir peur pour moi, je sais ce que je fais, répondit enfin Alice, froidement.

Kassandra resta sans voix, à court d'arguments, le visage triste. Avant qu'elle n'ai pu reprendre la parole pour insister, Alice avait prit sa décision :

- Désolé...il y a des choses que tu ne dois pas savoir...que tu ne peux même pas imaginer...et tu en sais déjà beaucoup trop.

Elle avait parlé d'une voix forte, grave, inhabituelle. Kassandra n'eut pas le temps de répondre.

Tout se passa très vite.

La baguette de pin tournoya dans les mains d'Alice, et fut pointée sur son amie.

- Oubliettes !

Un jet de lumière verte percuta Kassandra de plein fouet. Celle-ci s'effondra sur le sol, inconsciente. Alice se précipita vers elle et s'assura que le sortilège n'avait causé aucun dégât physique. Les larmes aux yeux, elle se demanda jusqu'où cela la mènerait. Les circonstances avaient fait en sorte qu'elle attaque sa meilleure amie, mais qu'adviendra t-il de ceux qui se dresseront sur son chemin ?

C'est pour te protéger Kass...

Kassandra s'éveilla péniblement sur un matelas moelleux. Sa tête lui faisait horriblement mal. Elle ouvrit les yeux et reconnu le décor très lumineux de l'Infirmerie. Ses souvenirs étaient confus, son esprit embrouillé. Elle se tâta le front et rencontra quelque chose de cotonneux : un bandage. Que s'était-il passé ? Elle n'arrivait pas à s'en rappeler. Son réveil alerta rapidement une guérisseuse qui accourut à son chevet.

- Comment te sens tu ? s'enquit-elle.

- J'ai très mal à la tête, répondit faiblement la grande fille.

- C'est normal ma pauvre chérie, le choc a été violent.

- Un choc ? Que s'est-il passé ? Je me souviens de rien !

L'employée nota quelque chose sur un petit bloc-notes puis répondit :

- La perte de mémoire n'est pas une conséquence courante d'une chute pareille... Quoi qu'il en soit, voilà ce que nous savons : ce matin, ton amie t'a trouvée inconsciente dans les Jardins, sous un platane d'une dizaine de mètres. Tu saignais du front. Elle nous a directement prévenus.

Une chute ? Kassandra était encore plus confuse. Que pouvait-elle bien faire en haut d'un arbre ? Ses derniers souvenirs remontaient il y a quelques jours de cela, lorsqu'elle était en train de réviser au soleil, avec Eliot. Eliot qui tournait les pages du manuel de Julie lorsqu'elle regardait ailleurs. Eliot qui demandait de l'aide à Margot lorsqu'il ne retrouvait pas la date de ces maudites rebellions de gobelins. Eliot qui la faisait rougir lorsqu'il plongeait ses magnifiques yeux noisettes dans les siens.

- Je repasserai après la visite de tes amies, elles attendaient ton réveil avec impatience... expliqua la guérisseuse.

- D'accord, répondit Kassandra.

- Mon petit Kassouleeeet...t'es oooù ? s'égosilla Julie, qui accourait dans l'allée, accompagnée d'Alice et de Margot.

- Ici ! s'exclama Alice en croisant son regard.

Un regard plein de vie. La jolie rousse ne comprenait pas. Ses amies accoururent, anxieuses.

- Ça va ? s'enquit Margot.

- J'ai mal à la tête...et je me souviens de rien...qu'est-ce qui s'est passé ? répondit Kassandra.

- Alice nous a raconté... commença Julie.

L'intéressée s'exprima :

- Oui...on est allées s'expliquer dans les Jardins, j'ai dit que j'étais vraiment désolée, je n'aurais pas dû vous abandonner comme ça...c'était une période difficile...bref (elle détourna la tête)...à un moment tu es partie en courant...tu disais que c'était impossible...que je disais...n'importe quoi...je t'ai appelée, je t'ai cherchée...et quand je t'ai enfin trouvée, t'étais tombée par terre...

- Oh...je suis vraiment stupide dans mes réactions des fois...

Margot opina du chef.

- Mais quand même, pour aller monter sur un arbre comme un singe, t'es pas bien meuf ! remarqua Julie.

- Oui...je sais vraiment pas pourquoi j'ai fait ça...

- On t'a amené tes manuels, si tu veux réviser un truc, dit Margot en posant une pile de livres sur la table de chevet de son amie.

- Merci, je pense que je vais regarder un peu la métamorphose...j'ai l'impression d'avoir tout oublié !

Les trois jeunes filles laissèrent Kassandra se reposer, et retrouvèrent Eliot au Pavillon, avant de repartir se trouver un coin dans les Jardins. Alice fut quelque peu gênée de se retrouver en sa compagnie, alors que Margot et Julie s'entendaient à merveille avec le beau luxembourgeois. Elle était tellement heureuse d'avoir retrouvé ses amies, mais également de voir ces mois de travail se concrétiser. Il ne restait plus qu'une étape. Une belle brune, aux cheveux courts et plus âgée, sanglotait, seule, assise contre une haie. Elle portait une barrette ronde composée d'un disque noir qui tournait au ralenti. Elle observa furtivement les jeunes filles et Eliot, s'attardant particulièrement sur Alice, puis s'enfuit en pleurant. Margot et Eliot décidèrent de jouer ensemble de la guitare. Julie tentait de les dessiner. La grande sœur de cette dernière, Sara, et son amie, Camille, passèrent les voir. Pendant que ces-dernières observaient le travail de Julie et lui donnaient des conseils, Alice remarqua un numéro de l'un des quotidiens les plus populaires de France parmi les affaires de Camille. Curieuse de voir l'évolution de la situation avec le Ministère, elle s'empara du journal et scanna sa première page :

La Confédération a tranché

LES HÉRITIERS DE PINKSTONE RECONNUS

Le titre aguicheur avait été souligné plusieurs fois en rose et un petit cœur de la même couleur était dessiné à côté. Intriguée, elle se rendit directement à la page de l'article correspondant :

Communiqué de la Confédération

Compte tenu des troubles survenus en Europe ces derniers mois, la Confédération Internationale des Sorciers a dépêché ses agents compétents afin d'aider le jeune Ministère Européen de la Magie à résoudre cette crise dans le calme et le dialogue. Durant une semaine entière, des pourparlers ont eu lieu avec les différentes forces en présence, afin de trouver un terrain d'entente qui convienne à chacun, et tout particulièrement au peuple d'Europe, dont le mécontentement a bien été entendu. Durant cette semaine de tension, la sécurité de chaque citoyen a été assurée par un détachement spécial international, qui restera sur place encore quelques temps, afin d'aider le Ministère Européen de la Magie à limiter tout débordement suite aux conclusions de la cellule de crise internationale.

Au terme de ces délibérations, la Confédération Internationale des Sorciers est prête à rendre son verdict. Celui-ci est définitif, et engage toutes les parties à appliquer immédiatement l'ensemble des décisions dictées par celui-ci. En conséquence, la Confédération Internationale des Sorciers reconnaît la liberté politique du mouvement des « Héritiers de Pinkstone » et autorise la création et l'intégration du parti éponyme au Conseil Magique Européen. Comme ses homologues, le parti verra son nombre de sièges au conseil décidé par les résultats des élections des représentants européens de Septembre. Ses membres se plieront à présent aux exigences démocratiques du Conseil, et refuseront tout recours à la violence, préférant la puissance des mots à celle de leurs baguettes.

Pendant ce temps, Kassandra relisait sans grande conviction les chapitres de son manuel de Métamorphose, allongée dans son lit de l'Infirmerie. Lassée de ce vocabulaire compliqué, elle ferma le gros livre d'un coup sec et le jeta sur sa table de nuit qui vibra bruyamment.

- Mademoiselle Almanza Rosales, faites un peu attention ! la réprimanda le guérisseur qui venait la voir, un bloc-notes à la main.

- Pardon...

Il déplaça les affaires de la jeune fille posées sur une chaise placée à proximité de son lit.

- Comment vous sentez vous ? demanda t-il en s'asseyant.

- Ça va mieux, j'ai plus trop mal à la tête.

- Parfait, le traitement a fait effet...

Il cocha quelque chose.

- Vous ne pourrez pas sortir avant ce soir en principe, car nous sommes encore intrigués à propos de votre perte de mémoire, et nous voulons nous assurer que cela n'empire pas, expliqua t-il en se relevant.

- D'accord... répondit Kassandra, peu rassurée.

L'homme se pencha et ramassa un objet au sol.

- Tenez, vous avez fait tomber ceci, dit-il en tendant un morceau de parchemin coloré à la jeune fille.

Elle le déplia. Cette écriture méticuleuse. Alice. Elle attendit le départ du guérisseur pour commencer sa lecture. La hauteur des mots était discontinue, comme s'ils n'avaient pas été écrits d'une seule traite.

19 Septembre 1719,

La flotte monstrueuse des brits nous a atteint le matin. La ligne des vaisseaux de l'empire infanticide qui est devenu mon vieux pays remplaçait celle de l'horizon. L'air s'est chargé de poudre. Plus tard, à travers la fumée et les flammes des combats, je me suis cambrée au maximum par dessus le parapet, et j'ai pu distinguer à une distance inconnue sa silhouette indéfinissable.

Le temps ne semble pas avoir d'effet sur lui. De tout façon je ne peux pas me souvenir de sa personne. Le Polynectar coule maintenant dans ses veines, ça lui donne des apparences multiples et sculpte mes pires cauchemars. Je n'ai pas pu me souvenir correctement du moment où tout a basculé, du point de chute de notre histoire. Les boulets meurtriers l'ont simplement évité et il est resté là, le regard perdu dans je ne sais pas quelle pensée. Mon cœur m'a dit de crier, de le rappeler à la raison. Mais j'ai su au plus profond de moi qu'il ne pouvait même pas m'entendre. Il y a longtemps qu'il a dû m'oublier, obsédé par une quête florissante, qui fait déborder de richesses les cales de son maudit navire. Le sourire qu'il m'avait réservé s'est imposé dans ma tête. La peau douce du bébé, ses cris joyeux qui faisaient fuir les oiseaux de la petite crique. Cette crique maudite. Je n'ai jamais pu me décider à la détruire. Ces souvenirs douloureux ont rempli mes yeux de larmes. Ce déluge de tristesse a fondu dans l'eau noire de l'Océan.

J'ai entendu les planches du pont craquer. À peine je m'étais vivement retournée qu'un sabre m'a lacéré la poitrine, ça m'a arraché un cri perçant. L'arme s'est levée une seconde fois. Je n'est pas hésité du tout et je me suis jetée sur mon agresseur, je l'est précipité au sol, enragée, affamée de sang. Le combat a été bref et le délicieux nectar gazeux a coulé vite dans mon gosier. Mes lèvres rouges dégoulinaient de plasma chaud. Mon instinct primaire s'était une fois de plus réveillé, embrouillant mon esprit. Mes vêtements étaient déchirés. Ma blessure me faisait beaucoup mal. Avec beaucoup de difficultés, j'ai réussi quand même à relever la tête par dessus le bastingage. Je voulais être sûre de ne pas avoir rêvé, pas encore.

Il avait disparu.

Plus tard, je me suis réveillée sur une plage, entourée des épaves des pires terreurs de ces mers, désormais détruites. Mon monde s'écroule. Ma nature m'a permis de survivre, elle m'a guidée inconsciemment parmi les flots sanglants. J'ai eu une terrible impression de déjà-vu. Cette île.

J'ai trébuché sur les pierres du sentier envahit par la végétation. Puis la vieille maison ouverte aux quatre vents est apparue, placée dans la gueule de la créature représentée par l'île. J'ai parcouru le manoir, tremblante, mes mains se sont attardées sur chaque pierre. J'ai retrouvé un bureau poussiéreux. L'endroit où il aimait écrire. J'ai observé un peu le langage codé qu'il aimait utiliser. Cet assemblage de signes inconnus est simple à décoder en réalité. Il faut regarder la forme de l'île pour trouver la clé.

À chaque instant, je voulais frapper de toute mes forces les murs, ou bien couvrir de poudre ce lieu horrible. Un écho particulier résonnait dans ces lieux oubliés. Les gazouillis d'un enfant. Cette maison, qui rayonnait avant du miracle de la Vie, me refroidi maintenant le sang. Elle m'a rappelé qu'une chose : ce jour mortel où tout s'est effondré. Les larmes abondantes ne se sont pas arrêtés. Je me suis souvenue de son regard, une haine énorme qui sortait des charbons brûlants qui lui servaient de yeux. Le dernier qu'il m'avait offert, avant de lever l'ancre et de me laisser pleurer pendant des jours, seule, dans cette Wyvern Cove maudite, le petit visage heureux de notre enfant hantant mes pensées.

Je ne suis pas restée mère bien longtemps.

Kassandra se sentit mal. Il y avait quelque chose de terrible dans le récit de cette femme. Quelque chose de profondément triste qui transparaissait entre chaque ligne. Au dessous de la dernière, elle pouvait voir un curieux croquis représentant un archipel d'îles. Quelques petites inscriptions et de multiples symboles inconnus l'accompagnaient :

The Wyvern Cove = La baie de la Vouivre ? peut-être

Caraïbes

Est de Cuba

Îles Turques-et-Caïques ? oui c'est ça !

La jeune fille secoua la tête et replia consciencieusement le parchemin. Elle ne comprenait pas vraiment comment celui-ci s'était retrouvé en sa possession. C'était l'écriture d'Alice, et ça ressemblait à ce qu'elle avait lu il y avait deux mois, lorsqu'elle était tombée sur son amie dans la Bibliothèque. Peut-être qu'Alice lui avait donné ce matin pour lui expliquer ce qu'elle faisait pendant tout ce temps ? Kassandra n'avait de toute façon aucun souvenir de la matinée. Malgré le ton du texte qu'elle venait de lire, elle se dit qu'elle pouvait comprendre maintenant la fascination de son amie pour ces histoires de bateaux et de pirates. Cet extrait semblait garder une part de mystère, comme si quelque chose, peut-être l'indice capital d'une quelconque chasse au trésor, se trouvait tapi au cœur de ces lignes. Oui c'était cela. Alice devait particulièrement aimer résoudre des mystères. Pour peu qu'ils soient un minimum dangereux, cela allait de soi.

Peut-être qu'elle espère trouver un trésor ? se dit Kassandra en imaginant avec un sourire son amie sur une plage déserte, bravant de terribles dangers, avant d'arriver devant un coffre débordant d'or.

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