Bouffée de Réalité

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Kassandra se sentait misérable. Rien ni personne ne pouvait lui redonner le sourire. Ce même sourire qui s'était difficilement plaqué sur ses lèvres lors de cette semaine de vacances en compagnie de toute sa famille. Son père lui avait expliqué le maniement de son appareil photo, qui émettait un nuage de fumée violette à chaque utilisation. Ses grands-parents n'avaient pas arrêté de lui dire qu'elle avait encore grandi. Et ses cousins, plus jeunes, avaient insisté à chaque fois pour rejouer les matchs de Quidditch qu'elle gagnait contre eux sans la moindre difficulté.

- Ça se passe bien à l'école ? lui avait demandé sa mère en espagnol.

- ça va... avait répondu Kassandra.

Comme dans les lettres qu'elle leur écrivait toutes les semaines, elle n'avait pas montré le profond désarroi qui l'habitait. De toute façon ses parents n'y pouvaient rien. Mais la réalité l'avait rattrapée lorsqu'elle avait du rentrer à l'école le dimanche suivant.

Julie passait la plupart de son temps avec les amies de sa sœur, pour s'améliorer en dessin, mais aussi, comme Kassandra le soupçonnait, afin d'avoir un aperçu de la vie de « vraie » adolescente. En réaction à sa soudaine décision de rejeter tout le monde, Margot agissait de la même manière lorsqu'elles se retrouvaient dans la même pièce. Une petite voix dans sa tête venait de temps à autre lui faire regretter son choix de ne plus parler à ses amies. Mais celle-ci se heurtait au caractère têtu de la jeune fille, qui considérait encore qu'elles avaient tout fait pour la faire pleurer, pleurer comme elle pleurait tous les jours, le soir, seule sur le toit du Pavillon. Il était toujours hors de question qu'on puisse la voir dans cet état. La première fois où elle avait eu la soudaine envie d'extérioriser tout ce qu'elle ressentait, elle s'était précipitée dans le couloir qui descendait du Salon du Pavillon. L'étrange silhouette du tableau, celle qui gardait le secret de l'accès dissimulé au toit, s'était mise à bouger dès son arrivée. Kassandra n'avait pas fait un seul geste, ne connaissant pas la langue des signes. Elle s'était contentée de regarder tristement la peinture, ses petits yeux verts embués de larmes. L'esquisse du tableau avait du comprendre quelque chose, voire la prendre en pitié, puisque la lumière s'était éteinte, et lorsqu'elle était revenue, elle avait pu accéder au toit, cerné du garde-corps en pierre. Mais cette fois-ci, Alice n'avait pas été là pour la réchauffer...

Alice... Kassandra regarda loin devant, plus haut dans la montagne. Elle repéra la chevelure blonde crasseuse. Celle-ci avançait d'un pas lent et inhumain. Alice n'était plus Alice. Il n'y avait pas beaucoup d'explications possibles à ce changement soudain. Ses maudits bouquins l'obsédaient, au point où plus rien à part cela ne semblait compter pour elle... Mais la jolie rousse ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'elle lui avait révélé, il y a plusieurs mois de cela. Sa sœur était...une terroriste... Kassandra ne connaissait pas la famille d'Alice. Cette dernière n'avait jamais décroché un mot à leur sujet, hormis la révélation subite de l'existence de sa sœur. Trop de choses étranges étaient liées à son amie. Des choses dangereuses, car Alice aimait le danger. Le jeune fille ne la connaissait que de l'année dernière, au moment où tout le monde la trouvait déjà bizarre, maîtrisant un grand nombre de sortilèges, qui n'étaient même pas au programme de Première Année. Et pourtant, dès cette première année à l'école, elle s'était déjà faite remarquée, récoltant des retenues pour s'être aventurée dans des couloirs où elle n'aurait jamais dû mettre les pieds et jouant avec les nerfs des Tuteurs en trouvant à chaque fois le moyen de s'échapper du pavillon des Premières-Années. Elle s'était néanmoins assagie lorsque l'expulsion avait été évoquée. Mais Kassandra ne pouvait que faire des suppositions, et regretter les moments passés en compagnie de sa « blondinette préférée » .

Et puis il y avait cette sortie de Botanique dans les montagnes qui surplombaient le Palais. Le sentier était étroit. Les pierres glissantes. Le soleil de Mai de plus en plus chaud. Et la jolie rousse traînait des pieds tout à la fin de la colonne d'élèves qui se suivaient. C'est tout juste si elle prêtait l'oreille lorsque l'un des professeurs leur présentait une fleur, ou une herbe qui poussait dans la nature. Elle avait bien essayé au début d'écouter, mais avait été rattrapée par cette terrible lassitude. Las de se faire insulter en permanence, las de faire ses devoirs tous les soirs, las d'écouter les cours. C'était comme si plus rien n'importait, elle se disait qu'après tout, une bonne ou mauvaise note aux examens de fin d'année, ça ne changerait rien à son état. Elle avait juste hâte que cette année se termine. Et vite. Elle pourrait alors serrer ses peluches dans ses bras, allongée dans son grand lit pendant des jours. Et dans celui-ci elle pourrait pleurer sans que personne ne puisse la voir. Elle pleurera pendant des jours et des jours. Puis sa mère réussira à la réconforter, à lui faire oublier petit à petit tous ses malheurs. Elle écrira à ses amies, pour s'excuser, mais aussi pour comprendre... Et à la rentrée prochaine, tout sera rentré dans l'ordre. Ce sera merveilleux.

La colonne d'élèves s'était arrêtée sur un large plateau, qui surplombait toute la vallée. Ils se répartissaient sur les rochers, sortant les affaires de leurs sacs. Il restait ça et là quelques restes de neige, dans lesquels certains se jetèrent en criant.

Kassandra s'effondra sur un rocher plat, n'en pouvant plus. Elle sentait les larmes qui perlaient dans ses yeux émeraudes. Mais ce n'était pas l'endroit où les relâcher. Elle devait encore attendre, d'être seule, sur le toit du Pavillon. Et là elle pourrait enfin exprimer toute sa tristesse, extérioriser tout ce qui bouillonnait pendant toute la journée dans son petit cœur meurtri et son esprit accablé. Les autres élèves bavardaient gaiement autour d'elle. Autant d'entrain, mais aussi de joie de vivre avait un effet très pervers sur la jeune fille. Cela redoublait son malheur. C'en était trop. Les gouttes translucides furent libérées de ses yeux, puis dévalèrent sa peau. Elles longèrent son nez, puis sa bouche, et enfin vinrent mouiller son pull. Il y eut juste quelques larmes. Mais Kassandra savait que c'était un torrent de pleurs qui lui fallait pour pouvoir respirer quelques temps. Pour pouvoir enfin se lâcher.

- Euh...Kassandra ? demanda une douce voix.

La jeune fille releva la tête, les yeux aussi rouges que ses cheveux. Elle bafouilla quelque chose d'incompréhensible, et se recroquevilla vivement sur son siège rocheux, fixant avec effroi celui qui l'avait interpellé. Non ce n'était pas possible. Il s'agissait d'un rêve. Ou plutôt de l'un de ces affreux cauchemars qui venaient la torturer durant toute la nuit.

- Euh...ça va ? hésita Eliot Klein.

Bien entendu que ça n'allait pas. Mais ce n'était pas la réponse qu'attendait le beau luxembourgeois. Kassandra hocha timidement la tête. Eliot Klein s'assit à côté d'elle et lui sourit de toutes ses dents.

- Le professeur nous a mit ensemble pour l'observation...je pense que tu n'as pas entendu... dit-il gentiment.

Sa partenaire ne répondit pas. Elle détourna la tête, les joues cramoisies.

- Ah...c'est ça...tu sais... commença t-il.

Il y eut une pause. Eliot semblait chercher ses mots. Kassandra s'obstinait à ne pas regarder. Le Destin se plaisait à la tourmenter, c'était désormais évident.

- En vrai...j'ai bien aimé ton petit mot. Je l'ai trouvé très mignon même, reprit-il.

Kassandra se retourna d'un seul coup. Toute la tristesse venait de déserter son visage.

- Vrai...ment ? demanda t-elle, tremblante.

- Ouais...j'ai pas trop eu mon mot à dire en fait...mes potes...bref je n'aurais pas dû te faire ça, t'en baves déjà bien assez avec cette histoire de Quidditch...

La jeune fille était stupéfaite. Il ne la détestait pas alors... Eliot continua :

- On m'a pressé d'ouvrir l'enveloppe...il y avait beaucoup de gens autour de moi...Joana l'a répété à tout le monde...

Il y eut encore une pause.

- Je suis désolé, termina t-il en regardant Kassandra dans les yeux.

Il avait l'air tellement sincère...Elle ne put s'empêcher de sourire franchement. Ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. Depuis très longtemps. Elle se perdait dans ses charmants grands yeux noisettes.

- Bon on commence alors ? Il faut regarder la page deux cent quatorze je crois, dit-il subitement, mettant fin à ce silence embarrassant.

Kassandra acquiesça, se rendant subitement compte de ce qu'elle faisait. Les joues brûlantes, elle ôta son sac de ses épaules et se retourna pour sortir ses affaires de celui-ci. Puis elle tenta de trouver la bonne page, gênée par ses mains devenues subitement maladroites. Les fines feuilles se dérobaient sous ses doigts, l'empêchant d'atteindre le passage attendu.

Mais quelle débile, j'ai donc que ça à lui montrer ? pensa la jolie rousse.

Mais son partenaire ne s'énerva pas. Il vint à sa rescousse, retirant délicatement l'une de ses mains du livre, afin qu'il puisse en tourner lui-même les pages. Lorsque le croquis, d'une fleur à la tige noire et aux pétales blancs, suivi d'un texte explicatif apparu, il tint fermement le manuel afin de ne pas perdre la page. Les deux élèves se retrouvèrent donc à tenir chacun un bout du livre. Eliot observa quelques instants le dessin, puis jeta un coup d'œil au dessus du manuel de Botanique.

- On est censés voir ça quelque part autour...je pense... essaya t-il, afin de briser le silence.

Mais Kassandra ne pouvait tout simplement pas parler. Elle hocha timidement la tête, faisant mine de lire le texte. Elle ne croyait toujours pas à ce qui se passait. Le beau luxembourgeois paraissait aussi un peu gêné. Il essaya de regarder autour de lui pendant quelques minutes, probablement afin de repérer cette fameuse fleur.

- Dis, t'en veux toujours à Margot ? demanda t-il au bout d'un moment.

Surprise, Kassandra se désintéressa complètement de la description de la fleur nommée « Moly » donnée par le livre. Elle se tourna vers Eliot, les sourcils légèrement froncés.

Qu'est-ce qu'elle vient encore faire là dedans celle-là ? pesta t-elle intérieurement.

- Euh j'imagine que oui du coup... déduit-il, un peu décontenancé par le mutisme de la jeune fille.

- Elle m'a tout raconté tu sais, et je trou...

- Quoi ? Qu'est-ce qu'elle t'as raconté ? le coupa brutalement Kassandra, en l'attrapant par les épaules.

- Eh tout va bien d'accord ? Elle n'a pas craché dans ton dos, du moins pas beaucoup (ajouta t-il d'une voix plus hésitante), c'est plutôt tout le contraire en fait !

- Oh... comprit la jeune fille, retirant brusquement ses mains, le rouge submergeant de nouveau son visage d'ange au moment où le contact se rompit.

Tu agis n'importe comment ! se reprocha-elle.

- T'inquiète pas, je comprends ta réaction...mais Margot est ma meilleure amie, et je trouve ça bête que vous restez fâchées comme ça, alors que...

Quoi ? Margot et Eliot étaient juste...amis ? Juste...amis ?

- Ta...meilleure amie ? C'est...ton amie ? s'écria la jolie rousse.

- Euh oui, on joue de la guitare ensemble !

Kassandra tombait de haut. Qu'elle avait été bête, d'aller s'imaginer toutes ces choses, tous ces cauchemars...enfin si le beau garçon juste devant elle lui disait la vérité. Mais c'était impossible qu'il lui mente..pas lui...pas avec des yeux aussi mignons...

- Du coup voilà, je pense que tu devrais aller lui parler...vu ton beau sourire, je pense que ça va aller mieux entre vous...

Mon « beau sourire » ? Il a dit que j'avais un beau sourire ! Eliot Klein, LE Eliot Klein, dit que je suis belle ! jubila t-elle dans son for intérieur.

Ils rejoignirent Margot, dont le sourire en coin n'échappa pas à la jolie rousse, et Julie, qui était occupée à lancer le peu de neige qu'elle pouvait trouver sur les élèves en plein travail.

- Alors ma petite tête de mule, qu'est-ce que t'as à me dire ? s'amusa Margot.

- Je suis bête...vraiment trop nulle... confessa son amie en baissant les yeux.

- Ah ça oui...mais c'est comme ça que je t'aime moi...ma Kass têtue comme un âne, gloussa Margot.

- Ah ça non, je suis pas un âne quand même ! s'indigna l'intéressée, les mains sur les hanches.

Eliot rigola.

- Tut tut tut, je pense que tu peux pas trop parler si tu veux que je te pardonne, alors tu vas être mon âne à moi, sourit-elle malicieusement en chatouillant Kassandra au niveau des côtes.

Son amie se tordit dans tous les sens, et posa les genoux par terre, prise d'un fou rire incontrôlable.

- Ok...si tu veux...si tu veux...hihi...mais arrête çaaa....

- Nan, je veux t'entendre le dire ! ricana Margot, en l'atteignant une fois de plus au même endroit.

- Oo...ok ! Je...suis...Je suis un... commença la jolie rousse.

- Un quoi ?

- Je...suis un....âne ! Je suis un âne, burro, hi-han ! acheva Kassandra, des larmes de rire coulant sur ses joues.

- Qu'est-ce qu'elle a à faire la débile celle là ? s'interrogea Julie, qui avait manifestement épuisé son stock de projectiles.

Pendant tout le reste de l'excursion, « l'ânesse » avait l'impression d'être sur un petit nuage, qui s'élevait loin dans le ciel, loin au dessus de tous ses malheurs, au dessus de cet état de tristesse infinie qui l'avait habitée ces dernières semaines. C'était comme si tout était revenu comme avant : Julie passait son temps à embêter le monde, Margot n'en finissait pas, racontant tous les derniers ragots qu'il fallait savoir, et en plus...en plus il y avait Eliot, qui se contentait d'écouter et de rire. Il ne manquait qu'une seule personne pour combler le bonheur de Kassandra. C'était toujours la même. Et elle lui manquait terriblement, même si elle n'aborda pas ce sujet avec ses amies pendant plusieurs jours.

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