Sentiment Lointain

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Elle en voulait presque autant à Julie de l'avoir amenée exprès devant Margot et Eliot Klein. Elle était persuadée qu'elles avaient prévu leur coup, pour lui faire encore plus mal. Kassandra était perdue, désormais seule, elle passait son temps à s'entraîner sur le terrain de Quidditch, en compagnie de Lucie, d'Hugo Hoffmann, ou bien d'Alexandre et de Zoé. C'était le seul échappatoire de cette vie triste et très scolaire qu'elle menait désormais. Les deux amoureux parvenaient toujours à la faire sourire, que ce soit lorsque Zoé imitait Alexandre en exagérant, ou bien tout simplement par les piques qu'ils se lançaient tout le temps.

Il y avait maintenant un grand disque au milieu de la salle de classe. Celui-ci était composé de plusieurs anneaux concentriques, disposés autour d'une grosse boule lumineuse. Les planètes du Système Solaire gravitaient autour de celle-ci, chacune sur leur orbite respective. Le modèle était si détaillé que l'on pouvait voir les nuages tourbillonner dans l'atmosphère de Vénus, ainsi que la multitude de blocs de glace qui formaient les anneaux de Saturne.

- Nous nous sommes précédemment intéressés aux planètes les plus proches du Soleil, les planètes telluriques, puis nous avons commencé à analyser l'aînée des géantes gazeuses de notre Système Solaire : Jupiter. Voyons ensuite sa sœur cadette, Saturne et ses superbes anneaux !

La projection laissa la place à la planète en question. Il s'agissait d'une sphère rayée couleur sable, entourée d'anneaux composés d'une gamme de teintes jaunâtres. Kassandra les observa plus attentivement. Les cheveux des élèves « traversés » par les anneaux du modèle ressortaient tous, étant soit trop sombres, soit trop clairs. Mais l'une des chevelures se fondait parfaitement dans la représentation, ses nuances correspondant parfaitement. Kassandra sentit un violent pincement au cœur. Alice avait les coudes sur sa table, tenant sa tête avec ses deux mains. Son regard était vitreux, elle était manifestement ailleurs, comme d'habitude. La jolie rousse passa le reste de l'heure à l'observer, laissant elle aussi ses pensées divaguer. Alice ne bougeait pas et son expression ne variait pas non plus.

La sonnerie retentit. Kassandra sortit brutalement de sa torpeur.

- Je vous conseille de bien réviser pour Vendredi, il se pourrait bien qu'il y ait une petite évaluation... prévint Monsieur Lisoir.

La jeune fille sentit la panique monter, alors que la porte de la salle de classe venait d'être ouverte et que le premier élève était déjà sorti dans le couloir. Une évaluation...et elle n'avait presque rien retenu du cours d'aujourd'hui.

Quelle idiote ! se dit-elle.

Elle se leva précipitamment, et s'avança vers le bureau du professeur. Elle devait rattraper ce qui s'était dit aujourd'hui, ce n'était pas le moment de recevoir une mauvaise note, en plus de tout le reste !

- Excusez-moi monsieur...

- Oui mademoiselle ?

- Je suis pas sûre d'avoir bien compris le cours d'aujourd'hui.

- Comment ça ?

- Eh bien...euh...tout se mélange un peu dans ma tête, et puis je ne vais pas très bien en ce moment, alors c'est un peu compliqué...et puis il y a une évaluation... expliqua Kassandra.

- Je vois, comme vous pouvez l'imaginer, je ne peux pas refaire mon cours pour vous seule, mais je vous invite à lire le chapitre sur Saturne de votre manuel, cela vous permettra d'y voir plus clair !

- Oh je vois, je vais faire ça alors...merci monsieur.

- Je vous en prie mademoiselle, pensez à bien vous reposer, c'est très souvent la fatigue qui trouble la concentration et la compréhension en cours !

La jolie rousse se dépêcha aussi vite qu'elle le pouvait sur le chemin du Pavillon. Elle n'aimait pas la foule. Du moins elle ne pouvait plus la supporter. Les devoirs s'accumulaient toujours. Heureusement, les vacances de Pâques approchaient à grands pas. La météo d'Avril continuait d'être clémente, si bien qu'elle trouva le dortoir désert. Parfait, elle n'avait pas envie de voir qui que ce soit. Kassandra ouvrit son armoire, et chercha frénétiquement parmi ses affaires de cours. Tout ses manuels était là. Sauf celui-ci d'Astronomie. Évidemment... Elle étendit ses recherches aux tiroirs sous son lit, allant même jusqu'à fouiller parmi ses affaires de Quidditch (après tout, on sait jamais). Agacée, elle s'assit sur son lit. Incroyable. C'était exactement lorsqu'elle avait besoin de ce bouquin qu'il était introuvable. Et pourtant elle en avait absolument besoin pour éviter la catastrophe, juste avant les vacances en plus ! Son regard se posa sur le lit d'Alice, et sur sa table de nuit inondée de livres. Elle remarqua le logo de l'école sur l'un deux, précédé de la mention suivante :

Cet ouvrage appartient à la

Bibliothèque de l'Académie de Magie de Beauxbâtons

Quelque chose fit « tilt » dans sa tête. Bien sûr, où trouver un livre à coup sûr à Beauxbâtons, si ce n'était à la Bibliothèque ? Elle fut rapidement repartie vers le Palais, courant sous le ciel nuageux.

Kassandra arriva essoufflée dans la Rotonde, cette grande pièce circulaire qui reliait les différentes ailes du Palais. Elle emprunta à une allure plus mesurée le long couloir menant à la Bibliothèque. Une fois arrivée au bureau des documentalistes, on lui indiqua l'étage et la rangée dans laquelle elle devait chercher. On pouvait croire que la section Manuels Scolaires était conçue pour les élèves tête-en-l'air : facile d'accès depuis l'entrée, et possédant de nombreux exemplaires pour chaque matière enseignée au sein de l'Académie.

Alors qu'elle revenait avec le livre, elle s'arrêta brutalement au milieu d'un escalier. Là, quelques mètres en contrebas, quelqu'un s'affairait sur l'une des tables de travail, entouré de livres et de parchemin. Cette scène ressemblait à un souvenir lointain. Alice était concentrée, noircissant une page de parchemin, puis s'arrêtait de temps à autre pour consulter les livres de la table, avant de reprendre avec application sa copie. Kassandra n'osait pas bouger. À part l'apparence plus que négligée du fantôme de son amie perdue, celui-ci possédait toute la vie et l'intelligence de cette dernière, avant que son état ne se détériore grandement. Aucun rictus mauvais ne déformait son visage, aucune haine, aucune fatigue évidente, il y avait juste une grande concentration de visible. Le fantôme se releva précipitamment, un doigt sur les lèvres et l'air pensif. Ses cheveux ternis virevoltèrent, les boucles d'oreilles étincelèrent, puis elle s'engouffra dans l'un des rayons adjacent.

Kassandra fut prise d'une envie soudaine de s'approcher, de pouvoir lire quelque chose qui lui rappellerait l'Alice d'avant. Que ce soit son écriture méticuleuse ou ses notes énigmatiques, il lui fallait quelque chose, tout de suite, afin de la sortir de cette morosité quotidienne qui s'était installée depuis bien trop longtemps. Elle descendit hâtivement les marches et se faufila alors jusqu'à la chaise inoccupée. Il y avait deux éléments posés côte-à-côte juste devant ses yeux : un cahier à l'apparence ancienne, corné de toute part. L'écriture était manuscrite et présentait de nombreuses fioritures compliquées, témoignage d'une époque avec des codes différents. Ce n'était pas du français, probablement de l'anglais au vu des sonorités de certains mots et de la présence de nombreux dictionnaires bilingues sur la table. Curieuse, elle jeta un coup d'œil à la couverture du cahier. Elle était très sobre, renforcée de cuir. Les lettres du titre s'effaçaient, mais la jeune fille parvint à lire « Blood , L...e, Fir...an...Ana » . Aucun de ces mots ne portait de sens pour elle, à part « Ana » , qui semblait être un prénom.

L'autre objet était une feuille de parchemin, noircie de la sublime écriture que Kassandra était venue chercher. Fait étonnant, chaque phrase ne semblait pas avoir été écrite d'une seule traite, comme le trahissait la hauteur discontinue des mots. Détaillant avec attention la page, la jolie rousse ne se sentit pas plonger dans le récit que cette dernière transportait, venu d'une époque tout aussi lointaine qu'inconnue à ses yeux.

3 Août 1716,

Aujourd'hui était notre troisième jour à quai. L'équipage s'enivre toujours autant à la taverne. Chaque matelot profite de son butin personnel pour s'offrir alcool et femmes. Même elle, cette infâme Quartier-Maître s'amuse bien dans ses quartiers. Les cloisons de celui-ci sont probablement pour son plus grand bonheur, peu épaisses. Cet horreur ne cesse de crier, mais ce n'est par pour lancer ses ordres habituels. À terre la hiérarchie tombe, c'est toujours comme ça. Mais une suprématie ne peut pas s'arrêter au bord de l'eau : celle d'un Capitaine sur son navire et ses hommes. Je sais depuis longtemps que l'alcool n'a aucun effet sur lui. Il devient juste compagnon de boisson des matelots pour s'assurer la cohésion de son équipage. Bien que je suis sûre qu'il n'ait aucune mutinerie à craindre. Celui-ci lui est entièrement dévoué. Je l'ai surpris cependant aujourd'hui en pleine contemplation de l'océan. Il était sur les rochers de la berge. Une bouteille à la main, légèrement habillée sous ce climat tropical, je l'ai rejoint. Il s'est tourné vers moi. J'ai senti son regard perçant qui me détaillait de la tête aux pieds. Du désir.

- Vous n'avez donc aucune autre pensée lorsque vous me voyez ? j'ai dit d'un ton accusateur, mais sans tenter de cacher ce qui attirait ses yeux.

- Comment je ne pourrais pas fondre devant vous ma dame ? il m'a répondu, un sourire rare s'est dessiné sur ses lèvres.

- Arrêtez ça, je ne suis pas noble et je n'ai aucune envie de le devenir.

- Vous mentez, je sais que vous n'étiez pas destinée à cette vie de pillages et d'excès, il a dit en chassant une mèche sur mon front.

- Vous savez de toute façon que je ne peux rien vous cacher, sonder une fois de plus mon intimité ne vous apportera rien de plus.

- Vous vous trompez, cela m'apporte tellement, un plaisir bien plus important que n'importe laquelle des femmes de cette terre ne sait me donner. il m'a chuchoté. Il s'est rapproché de mes lèvres ouvertes.

- Vous espérez obtenir quoi en me flattant de la sorte ? j'ai dis faiblement. Je me sentait céder comme à chaque fois qu'il voulait profiter de moi.

- Je veux bien plus qu'un plaisir intense de courte durée, c'est vous, l'entièreté de votre personne que je désire...

- Je ne vous crois pas...

Il m'a alors embrassée. Le goût de ses lèvres a complètement détruit les barrières de ma volonté. Je lui ai rendu son baiser avec toute la passion dont j'étais capable, sentant ma soif primaire qui s'animait. Le sang me manquait depuis quelques temps. Heureusement je connaissais un autre moyen d'étancher mes envies. J'ai éprouvé quelque chose de nouveau durant notre étreinte. Celle-ci a duré longtemps. Il n'a pas tenté d'explorer mon anatomie comme à son habitude. Peut-être que je vis enfin ce sentiment étrange, banni du monde auquel j'appartiens : l'Amour.

Lorsque nous nous sommes séparés, j'ai vu une nouvelle étincelle briller dans ses yeux noirs. Il a alors promis l'inespéré :

- Les seuls âmes qui hanteront le Hope Sweeper seront à présent les autres.

Ces simples mots me font rêver. Lui, moi, seuls, navigant sur les mers, sur un bateau qui n'a de toute façon besoin d'aucun équipage, la seule volonté de son Capitaine lui permet de le mener où il le souhaite. Je n'ai pas non plus à m'inquiéter pour notre survie : bien que je sache utiliser mes lames, lui seul suffit à envoyer un man-o-war au fond de l'eau. Je vais vivre le meilleur de ma vie. J'en suis persuadée.

Elle trouva que le récit s'arrêtait bien trop brutalement pour qu'il n'y ait pas de suite à l'histoire de cette femme. Alice n'avait probablement pas terminé de le traduire. Mais pourquoi donc faisait-elle faire cela ? Kassandra était persuadée qu'il existait un grand nombre d'histoires de pirates similaires en français. Comme toujours, il y avait quelque chose de bizarre avec les occupations de son amie, mais elle ne parvenait pas à découvrir quoi.

Elle sentit des pas s'arrêter brusquement dans son dos. Kassandra se retourna alors, appréhendant ce qu'elle allait découvrir. C'était bien sûr la traductrice qui venait de revenir avec deux livres supplémentaires, l'un dans chaque main. Son expression venait de changer drastiquement. Kassandra y vit de la colère, beaucoup trop de colère.

- Dégage, dit simplement Alice, la voix tremblante.

Son amie fut prise d'une nouvelle envie de renouer ce contact qu'elle chérissait tant :

- Je ne veux... commença t-elle.

- Je t'ai dis de me laisser seule, qu'est-ce que tu comprends pas là dedans ? coupa férocement la petite blonde.

- Je peux...

Kassandra ne termina pas sa phrase, l'expression menaçante d'Alice l'en dissuada. Elle recula alors doucement sans la quitter de ses petits yeux verts, récupéra le manuel qu'elle était venue chercher, puis s'enfuit à toutes jambes, une larme argentée scintillant sur sa joue. Alice se rassit puis ouvrit l'un des livres qu'elle venait de ramener d'un rayon adjacent. Elle y chercha la définition du mot anglais board, puis prit sa plume parfaitement taillée entre ses doigts tremblants. Cette rencontre impromptue avec cette grande rousse, normalement toujours joyeuse, l'avait affectée beaucoup plus qu'elle ne le montrait. Elle sauta avec précaution quelques lignes, puis continua sa traduction du journal de cette pirate passionnée :

4 Août 1716,

L'embarquement est prévu pour...

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