Parfum d'Héritage

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Le dernier article paru ne la rassura pas du tout. Si le Ministère se mettait à enquêter, cela voulait dire qu'il allait fouiller partout, et surveiller plus que jamais les allées et venues de toute personne suspecte. Et que dire de ces nouvelles « dispositions de prévention » ? Qu'est-ce que cela voulait dire exactement ? Elle relu plusieurs fois les lignes imprimées sur le parchemin, ses yeux tentant de déceler un quelconque sens caché entre les lignes, une infime indication qui confirmerait ses plus grandes craintes. Il était évident qu'échapper à la vigilance du Ministère serait désormais beaucoup plus compliqué. Son cerveau commença à réfléchir à toute allure, dépeignant des scénarios toujours plus catastrophiques les uns que les autres. Elle s'imagina même envoyée à Azkaban, la prison imprenable des sorciers...

- Alice ! Tu m'écoutes ou quoi ?

Le cri de Julie à quelques centimètres de son oreille droite lui fit revenir les pieds sur terre. Elle prit conscience du vacarme ambiant. Un grand nombre d'élèves était debout. Les plus âgés avaient probablement une raison valable de s'être levés, relative au contenu politique de l'article déjà polémique. Mais d'autres profitaient clairement de la situation pour pousser de grands cris , alors que les professeurs avaient également arrêté de manger pour critiquer ou encenser les propos des journalistes. Alice vit un Tuteur tenter de calmer deux belligérants, dont la joute verbale penchait de plus en plus vers la violence physique. Le pauvre était cependant complètement dépassé, d'autant que ses homologues Tuteurs étaient nombreux à participer eux-mêmes au chaos ambiant. Le parchemin volait dans tous les sens. Il était impensable de continuer à manger dans ces conditions. L'atmosphère était devenue étouffante. Chaque fois que les yeux d'Alice se posaient sur l'article affolant qui tournoyait à chaque coin de son champ de vision, les images dramatiques issues des divagations de son esprit bouleversé écrasaient n'importe quelle autre de ses pensées.

- T'as un trou dans ta robe, on voit ta culotte... chuchota cette fois-ci son amie à son oreille.

Et l'effet escompté par cette dernière ne se fit pas attendre. Alice se tourna précipitamment vers Julie. C'était l'incident de trop.

- C'est pas vrai, il est vraiment grand ? s'étrangla t-elle, gênée.

- Trop, te lève surtout pas ! renchérit Julie.

Derrière elle, Kassandra et Margot affichaient un sourire en coin. Il y eut un instant de flottement, puis Alice fut frappée d'un seul coup par sa stupidité. Elle était assise. Assise sur une chaise. S'il y avait bien un trou dans son uniforme, ses amies ne pouvait en aucun cas être au courant de son existence. N'en pouvant plus, Margot éclata de rire. Alice se leva et sourit.

- Super, maintenant on sait avec quoi t'embêter pour te sortir la tête de tes bouquins ! s'amusa Julie.

- Puisque t'es revenue parmi nous, on s'en va d'ici maintenant ! brailla Margot pour se faire entendre.

Alice hocha la tête, et suivit ses amies aussi vite qu'elle le put hors de la Salle à Manger, se protégeant la tête avec ses mains. Le débit sonore chuta d'un seul coup, mais ses oreilles continuèrent de se plaindre du bruit. Les journaux. Il y en avait aussi ici. Le débat houleux continuait dans le couloir. L'encre noire agressait toujours son cerveau, même si bien moins présente que précédemment. Elle accéléra le pas et prit la tête du groupe, les mains désormais plaquées sur ses oreilles. Fort heureusement, le premier cours de l'après-midi se passait à l'extérieur du château, loin de toute cette agitation comme l'espérait Alice.

- C'est vraiment n'importe quoi ici, vous avez vu ce que ça fait quelques lignes sur un bout de parchemin ? commença Julie alors qu'elles se dirigeaient à l'extrémité de l'aile Ouest du Palais.

- Ouais j'ai l'impression d'être bête, je comprends pas pourquoi tout le monde s'énerve comme ça... approuva Margot.

- Pfff les gens s'énervent pour rien de toute façon, ils sont tous méchants, grommela Kassandra.

- Le Ministère veut encore plus nous surveiller, voilà le problème ! s'écria tout d'un coup Alice en s'arrêtant net devant une porte vitrée.

Une allée parfaitement entretenue se dévoilait derrière. À la tête surprise que firent ses amies, la petite blonde se maudit intérieurement d'avoir pensé tout haut.

- J'aimerai bien savoir comment ils veulent nous fliquer plus que la Direction, je suis sûre que la Direction sait déjà quand on dort ou pas ! rebondit Julie.

- Euh ça me paraît un peu fort, comment ils feraient ça ? s'interrogea Margot.

- Clem sait bien quand Julie gribouille dans la salle de bain alors qu'elle est pas là, donc moi ça m'étonne pas, rétorqua Kassandra.

- Tant que mes parents le savent pas, ça me va, lâcha Julie en ouvrant la grande porte.

L'air frais de l'extérieur s'engouffra. Kassandra frissonna et resserra son écharpe. Les quatre amies suivirent le tracé impeccable du chemin, bordé d'arbustes finement taillés et de bosquets de fleurs éternelles. Les immenses bâtiments tout en long apparurent très rapidement. Leurs parois mêlaient habilement le verre et la pierre, tandis que leurs toits étaient intégralement constitués du premier matériau.

- On a cours dans quel truc déjà ? demanda Julie.

- Serre numéro deux, tu devrais le connaître par cœur ton emploi du temps maintenant ! lui reprocha Margot.

- Excuse moi mademoiselle-la-première-de-la-classe, mais moi j'ai d'autres trucs plus importants à enregistrer dans ma mémoire !

- Pfff arrête, c'est même pas vrai, railla Alice en levant les yeux au ciel.

- Si, je dois me souvenir de plein de choses, ya plus de place dans ma tête ! s'entêta Julie.

- Eh bien dis nous tout alors, si tu t'en souviens si bien que ça ! ricana Margot.

- D'accord d'accord ! Bon alors ya...euh...(elle commença à compter sur ses doigts) me rappeler quelle couleur de bracelet j'ai mis hier, parce que c'est toujours argent, cuivre, bleu, vert dans l'ordre...me souvenir du score de Sorcières/Tapesouafles qui dure depuis deux mois déjà...pas oublier de faire ma synthèse sur le sortilège d'amnésie là, le truc qui se dit Oubli...oubli bref oubli quelque chose quoi !

- Même ça t'as oublié tu vois ! gloussa Kassandra.

- Oh et puis vous êtes chiantes ! s'exclama Julie avant de se précipiter sur la porte de la serre numéro deux.

Personne ne l'avait fermée à clé, ce qui fait qu'elle s'ouvrit brusquement sous l'impulsion rageuse de la brune colérique. Ses amies la suivirent dans l'immense bâtiment, sachant pertinemment qu'elle retrouverait bien assez vite son sourire espiègle. Le cours de Formation aux Propriétés Spécifiques des Herbes et Plantes Magiques était sans aucun doute l'un des plus populaires, et en grande partie car il se déroulait exclusivement dans ces endroits fantastiques qu'étaient les Serres de l'Académie de Magie de Beauxbâtons. Dès l'entrée au sein de l'un de ces univers colorés, on avait l'impression de pénétrer un cocon spécial, d'être admis dans un lieu jalousement gardé secret. La magie prodige et chaleureuse à l'oeuvre ici était presque palpable. Elle happait le visiteur conquis, pour ne plus jamais le lâcher, jusqu'à son inexorable et contrainte sortie de cet incomparable Musée des Merveilles.

Alice était toujours fascinée par la variété des végétaux qui ornaient chaque centimètre carré de mur, du sol ou du plafond. Il s'agissait en quelque sorte d'un melting-pot de toutes les espèces les plus incroyables dont regorgeait les Jardins de l'école. Et toute cette magie dans l'air...c'en était presque enivrant. Elle précipitait avec une certaine avidité chaque respiration, espérant bénéficier elle aussi de cette énergie divine, qui la rendrait aussi belle que ces fleurs...

Kassandra avait l'habitude d'observer avec attention les différentes teintes qui s'entremêlaient à chaque coin de ce splendide jardin d'hiver. Les botanistes avaient parfois rassemblé les fleurs de même nuance au même endroit, tandis que certains arbustes changeaient carrément de couleur à mi-chemin de leurs branches ! Et que dire de cette odeur...de multiples fragrances qui s'accordaient entre elles, comme si le positionnement des végétaux avait été judicieusement pensé pour satisfaire cette délicate harmonie. Il n'y avait pas de meilleur endroit pour...pour ressentir... C'était terriblement romantique...

Pour sa part, Julie avait les bras croisés et s'était assise sur le rebord du bassin octogonal qui trônait en face de l'entrée. Mais son regard ne trompait pas : elle était autant absorbée que les autres par la beauté pure et simple de leur salle de classe. Alice fit quelques pas sur le sol de pierre en enroulant fébrilement ses cheveux autour de ses doigts. Le silence attesté par le chemin déserté qui s'enfonçait dans cette forêt de pots, fut rompu. L'émerveillement disparaissait, laissant peu à peu place à ses angoisses... Elle devait les chasser... La petite blonde sortit sa baguette de sa poche et la pointa fluidement sur une pierre posée sur le sol, qu'elle avait jugée de bonne taille.

- Lapifors , murmura t-elle.

Un jet d'énergie verte très vif vint taper l'objet. Elle sut d'avance que son sort était un succès. La pierre blanchit d'un seul coup, sa texture se modifiant. La surface rocheuse se divisa, puis des brins de plus en plus en fins apparurent. La forme de l'objet changea elle aussi : plusieurs excroissances émergèrent, tandis que le corps s'allongeait. Alice ne put retenir un sourire de fierté lorsque la transformation fut terminée. Les courbes de l'animal ne souffraient d'aucune aspérité désagréable. Elle se pencha pour caresser le pelage du lapin. Une douceur superbe...difficile de croire que ce petit être tout mignon venait d'émerger d'une pierre banale. La Métamorphose était de loin la discipline magique préférée de la jeune fille. Probablement car c'était celle la plus à même de produire des résultats spectaculaires, moyennant une concentration optimale et de nombreuses tentatives ratées. Mais il y avait autre chose. Bien qu'elle savait qu'utiliser la magie demandait beaucoup de pratique et de maîtrise, il en était autrement pour la Métamorphose. Dès qu'elle cherchait à transformer un objet, le mouvement de son poignet, l'incantation à prononcer, tout paraissait si...naturel...comme si elle avait toujours su faire cela...

- Oh...il est vraiment chou ! s'écria Kassandra en se rapprochant de l'animal, qui observait craintivement son environnement, les oreilles dressées sur le sommet de son crâne.

- Mais pourquoi tu transformes toujours tout en lapin ? Tu veux pas faire un dragon pour une fois ? Ou un Basilisk ? Ça serait stylé ! s'exclama Julie.

- N'importe quoi, un lapinou c'est trop mignon ! la contredit Margot.

- Toute façon un dragon c'est beaucoup trop gros, c'est trop dur pour moi, s'amusa Alice.

- Pff c'est pas juste, moi je veux un dragon, un lapinou ça crache pas des flammes...

La porte d'entrée de la serre s'ouvrit sur une poignée d'élèves de Seconde Quatre. Ils allèrent s'asseoir sur les bancs qui se trouvaient au pied des murs vitrés, à bonne distance des quatre amies, qui se virent adresser des regards hautains. Les premiers mois de l'année scolaire, où tout le monde s'entendait bien, semblaient bien loin. On venait encore manifestement de raconter des histoires peu élogieuses sur les Aigles, et cela n'améliora pas l'attitude de Kassandra.

- Regardez ces menteurs, je suis sûre qu'ils vont signer la pétition pour nous virer... cracha t-elle en caressant le lapin qu'elle avait pris dans ses bras.

D'autres élèves de leur classe arrivèrent à leur tour. Le cours allait bientôt commencer.

- ... te le dis, s'ils veulent me faire chier pour aller au Congrès, je les attendrai avec une Tentacula Vénéneuse, comme ça le problème sera réglé ! déclara l'un des deux professeurs en émergeant de derrière un arbuste touffu.

- Mauvaise stratégie, après on va te demander comment t'as eu tes graines, et là tu vas rater le Congrès Spore ! répondit son collègue.

- En effet... approuva le premier. Oups j'allais encore oublier cette foutue barrière, grogna t-il en levant sa baguette dans les airs.

L'extrémité de celle-ci brilla légèrement, il y eut un imperceptible bruissement de feuilles, et les élèves ressentirent un vif courant d'air chaud, comme si quelque chose d'imposant venait de disparaître.

- Voilà qui est mieux ! Bienvenue à tous dans l'antre du mal ! s'exclama t-il d'une voix enjouée.

Il y eut quelques sourires. L'autre professeur regarda rapidement un rouleau de parchemin qu'il venait de sortir, puis s'exprima :

- C'est moi qui vais les prendre aujourd'hui Édouard.

- Eh bien qu'il en soit ainsi ! Faites tout de même attention à vos petits pieds les Secondes, en ce moment on a des arbrisseaux autofertilisants, qui s'autofertilisent (il fit des guillemets avec ses doigts) en mangeant de la bonne chair humaine ! gloussa le dénommé Edouard en traversant l'entrée.

Par réflexe, Alice, Margot, Kassandra et Julie baissèrent les yeux, craignant d'y voir une espèce de plante démoniaque avec des dents.

- Ne vous en faites pas, nous n'iront pas voir ces fantastiques spécimens aujourd'hui, les rassura l'autre professeur en souriant.

La peau d'ébène, filiforme, il portait des lunettes carrées sur un visage avenant. Ses mains étaient masquées par d'imposants gants en peau de dragon. On retrouvait ce matériau à divers endroits de sa blouse, probablement conçue pour le protéger lorsqu'il manipulait d'horribles végétaux.

- Je vous propose à la place pour ce cours d'aller voir quelque chose d'amusant ! Suivez moi ! continua t-il.

Les Seconde-Année échangèrent des regards intrigués en se levant. Ce qui pouvait sembler amusant aux yeux d'un professeur, avait au contraire tendance à être plus que désagréable pour ses élèves. Toutefois, l'atmosphère enchanteresse des lieux les incita à marcher sur les pas de leur professeur. Le chemin sinueux plongeait dans la direction opposée à celle d'où étaient arrivés les enseignants. Ils passèrent devant un nombre incalculable de variétés différentes. Kassandra crut même sentir le délicieux parfum du chocolat, qui émanait de fleurs qui en possédaient la couleur. Les élèves arrivèrent bien assez vite au sein d'une sorte de clairière circulaire, dans laquelle on avait disposé des bancs autour d'une étrange structure.

Il s'agissait d'une espèce de haute cuve en verre, qui s'élevait à plusieurs mètres de hauteur. À l'intérieur, de petites plateformes étaient disposées à intervalles réguliers. Les plus curieux se pressèrent contre la paroi.

- Hé mais ils bougent ! s'étonna Jules Maes.

- En effet, et ils sont même capables de plus ! expliqua le professeur.

- Mais asseyez vous donc, comme ça tout le monde pourra voir, ajouta t-il.

Kassandra observa la partie inférieure du récipient, qui était remplie de terre. De nombreuses formes rouges en parcouraient la surface, se mouvant d'une étrange manière. Puis l'une d'entre elles donna l'impression de se plier sur sa base longiligne, et l'instant d'après elle fut dans les airs. La jeune fille leva un sourcil d'étonnement, là où elle se serait normalement écriée comme ses camarades. Julie ne se priva d'ailleurs pas de commenter l'action, comme s'il s'agissait d'une incroyable performance réalisée par un joueur de Quidditch :

- Regardez, le champignon atteint la première plateforme ! Il se plie encore...et ouuuiii la deuxième !

- On a des yeux tu sais hein, répliqua sèchement Margot.

Julie lui tira la langue.

Mais de quoi elle se mêle celle-là ? pensa Kassandra.

Son amie avait vraiment la fâcheuse habitude de vouloir remettre les autres à leur place, et cela commençait sérieusement à l'énerver.

- Merci pour ces précisions mademoiselle Milanesi, je penserais à vous s'il me vient l'envie d'organiser un jour un championnat de saut entre ces Champignons Vénéneux Sauteurs ! s'amusa l'enseignant.

- Merci monsieur, mais je préfère le Quidditch, répondit sérieusement l'espiègle brune.

Le Quidditch...Sa raison de vivre, mais également le facteur principal de ses nombreux soucis. Quand il ne faisait pas perler les larmes au bord de ses yeux, sa motivation pour toujours plus performer resurgissait. Le match contre les Griffes Sauvages approchait à grands pas. Il était temps de montrer à tous ces abrutis qu'accuser de tricherie ses adversaires pour cacher ses propres vices, ce n'était pas jouer.

- Hé réveille toi Kass, faut noter des trucs ! lui chuchota Alice.

- Oui..oui...désolé, je pensais au Quidditch... répondit t-elle en se penchant vers son sac.

- Encore ce sport débile ? lâcha Margot à demi-voix.

Kassandra s'arrêta en plein milieu de son mouvement. Elle leva des yeux furieux vers son amie.

- Quoi ? Regarde ce que ça te fait, tu vas pas me dire que c'est bien ! argumenta la jeune fille.

- C'est pas ça qui va m'empêcher de jouer et de gagner ! murmura t-elle avec véhémence.

- C'est toi qui vois, mais être la fille la moins populaire des Secondes pour juste un jeu , je ne sais pas comment tu fais...

- Excuse mademoiselle-populaire , mais j'imagine que tu as des choses plus intéressantes à faire qu'être avec la fille-la-moins-populaire , va donc te moquer de moi avec eux ! cracha t-elle en désignant d'un signe de tête la table en face, qui regardait dans leur direction en parlant à voix basse.

- Mais tu comprends rien, j'essaye de t'aider, ça te rend folle ce que t'appelle sport !

- Maintenant je suis folle en plus ? Oh non tu peux carrément pas traîner avec moi mademoiselle-parfaite , et jamais teindre tes cheveux en roux, ça les ferait trop ressembler aux miens ! Tu préfères le noir pour cacher leur saleté hein ?

Margot ne répondit pas. Le sujet de ses cheveux qu'elle pouvait arranger comme elle les voulait était sensible à ses yeux. Le visage fermé, elle rassembla rapidement ses affaires et se leva.

- Kass t'es sérieuse ? s'écria Julie.

- Reste Margot ! insista Alice.

- Je pense que je vais laisser la star s'énerver toute seule, j'ai pas envie de servir de miroir... rétorqua Margot avant d'aller s'asseoir à la table voisine.

- Tsss, elle va me rendre folle... lâcha Kassandra.

Le reste du cours se déroula dans un silence glacial. Kassandra fulminait, Margot boudait, Julie se taisait et Alice était ailleurs. Décrire les mouvements abracadabrants des Champignons Vénéneux Sauteurs, en faisant des petits dessins, ne parvint pas à les dérider. À la fin du cours, le professeur les raccompagna à l'entrée de la serre, sans se départir de son air jovial.

- Nous aurons l'occasion d'observer ces drôles de spécimens, dans leur milieu naturel, lors de l'excursion qui aura lieu en Mai ! sourit-il avant de réintégrer son propre habitat.

Dehors, les élèves durent slalomer entre plusieurs attroupements qui s'étaient formés sur le chemin menant aux sanctuaire des botanistes. Quelques bribes de conversation firent tinter les oreilles d'Alice.

- ... est-ce que c'est vraiment ce que disent les journaux ? Pourquoi ça serait mal de se poser des questions sur l'efficacité du Code International du Secret Magique ?

- ... même Marcos ! Eh ouais, il a rejoins les Héritiers, mais ça, personne n'en parle !

- ...mes potes, tu verras c'est bonne ambiance, on discute tranquillement des idées de Pinkstone...

Eux. Les Héritiers de Pinkstone. Ceux que le Ministère nommait « terroristes » . Voilà qu'ils gagnaient désormais des sympathisants à l'Académie. Alice frissonna. C'était une raison de plus pour le Ministère de venir enquêter à l'école.

Le soir venu, alors qu'elle s'était replongée au Salon du Pavillon dans la lecture d'un énième ouvrage, un bruit sec contre le carreau de la fenêtre proche lui fit lever les yeux. Elle posa son livre, se leva, et après avoir rapidement observé le rapace à travers la vitre, elle se hissa sur la pointe des pieds pour ouvrir le battant. Le hibou arborait un plumage brun sobre, tout ce qu'il y avait de plus banal, comme d'ordinaire. Alice s'empressa de détacher la lettre de la patte tendue de l'animal, qui s'envola aussitôt. Elle allait refermer la fenêtre, lorsqu'elle s'arrêta brusquement dans son mouvement, interdite. La lettre. Il y avait quelque chose d'étrange à propos de cette dernière. Sa surface n'était pas lisse, le papier était abîmé à plusieurs endroits.

- Tu peux fermer s'il te plaît ? J'ai froid ! se plaignit Margot qui bouquinait non loin de là.

Alice saisit l'enveloppe et s'exécuta. Elle revint vers son fauteuil et examina avec plus d'attention la lettre. Elle était en effet plutôt endommagée, alors que celles qu'elle avait reçues de l'historien jusqu'alors lui étaient toutes parvenues en parfait état. Cela pouvait s'expliquer par une multitude de raisons, à commencer par quelque problème survenu pendant le transport, comme le hiboux postier qui serait passé un peu trop près d'une branche. Mais le cerveau de la jeune fille n'était pas dans son état normal, et interpréta ce détail comme une nouvelle preuve qui venait confirmer ses inquiétudes sur les agissements du Ministère.

Ils ouvrent mes lettres maintenant ! pensa t-elle, pétrifiée.

Peut-être qu'ils avaient également suivi l'hibou qui la portait jusqu'ici ? Le Ministère en était capable. Elle en était persuadée. Elle jeta un regard apeuré vers la vitre, comme si elle s'attendait à voir quelqu'un qui l'espionnait, puis sortit précipitamment de la pièce et monta les escaliers à toute vitesse, sous l'œil interrogateur de son amie.

Elle tomba sur Kassandra qui paraissait attendre sur le palier. Son amie tentait de dissimuler quelque chose derrière son dos. Les lacets de l'une de ses chaussures étaient défaits.

- Ça va ? l'interrogea vivement Alice, qui essayait de cacher sa respiration paniquée.

- Euh...oui !

Ce n'était pas vrai. Kassandra mentait. Elle était tendue comme le jour où elle avait participé aux sélections pour devenir poursuiveuse des Serres Vengeresses. Ce qu'elle s'apprêtait à faire était au summum de ses capacités. Mais elle était résolue à agir. D'autant que cela ne plairait pas du tout à mademoiselle-parfaite la prétentieuse.

- Bon super ! J'y vais ok ? Tout va bien ! s'écria Alice en repartant vers leur dortoir, aussi rapidement qu'elle était apparue.

Kassandra se demanda pendant un moment ce qu'avait Alice, qui paraissait complètement effrayée par quelque chose. Mais ses pensées se dissipèrent lorsqu'elle vit Eliot Klein apparaître au bas des escaliers. Il était accompagné par deux amis masculins. Elle se baissa pour renouer ses lacets, en faisant les plus lents mouvements possibles. Ses joues s'enflammèrent lorsqu'elle sentit le regard d'Eliot Klein qui l'observait.

Il me regarde ! pensa t-elle, toute excitée.

Ce n'est qu'après que les trois paires de chaussures furent passées devant elle qu'elle se releva. Les trois garçons montaient les escaliers de marbre qui conduisaient au deen discutant, leurs sacs à dos sur les épaules. Kassandra sortit sa baguette de sa poche et la pointa en tremblant un peu vers le sac d'Eliot Klein.

Tu peux le faire, c'est pas plus compliqué que tirer un penalty devant toute l'école ! se motiva t-elle.

- Diffindo ! dit-elle le moins fort possible.

Il y eut le bruit du tissu qui se déchirait. Kassandra rangea aussitôt sa baguette, et fit de son mieux pour adopter une expression de surprise. Les livres et fournitures diverses du beau luxembourgeois dévalèrent les escaliers. Elle se précipita sur celles qui dégringolèrent jusqu'au palier, alors qu'Eliot Klein et ses amis s'étaient rendus compte de la situation.

- Merci ! lui dit-il lorsque la jeune fille lui tendit en baissant les yeux les affaires qu'elle avait ramassées.

- Elle est pas bien celle-là ! commenta l'instant d'après l'un des deux autres, tandis que Kassandra redescendait quatre à quatre les escaliers, le visage cramoisi caché par ses cheveux.

Ce qu'ils ne virent pas non plus furent son sourire. Elle avait réussi. Son enveloppe était désormais nichée au cœur d'un des livres d'Eliot Klein.

Alice vit Kassandra débouler dans le dortoir. Essoufflée, elle se précipita sur son lit.

- Je l'ai fait... murmura t-elle.

La petite blonde détourna la tête de la lettre qu'elle avait relu plusieurs fois. Tellement de fois qu'elle la connaissait presque par cœur.

- T'as fait quoi encore ? demanda t-elle d'un ton peu assuré, qui ne parvenait toujours pas à cacher son trouble.

- Eliot...il va savoir...Margot se va a poner muy celosa... répondit son amie en regardant avec un sourire béat le plafond du dortoir.

Il ne fallu pas plus d'explications pour qu'Alice comprenne que Kassandra avait fait parvenir, d'une manière ou d'un autre, son petit message mignon à son amoureux. Et même si elle ne connaissait pas l'espagnol, elle comprit logiquement que la nouvelle ne plairait pas du tout à Margot.

- Pourquoi tu fais cette tête Kass ? demanda Julie qui revenait manifestement de la salle d'eau, comme l'attestaient ses cheveux détachés et mouillés.

- Haha... sourit l'intéressée d'un air espiègle.

Ce n'était pas la réponse qu'escomptait Julie. Sans se faire prier, cette dernière monta sur le lit de son amie et s'assit en tailleur devant elle en faisait la grimace.

- Tu sais bien que je vais pas te laisser dormir avant que tu m'aies tout raconté ! pouffa la jeune brune en pointant un doigt accusateur en direction de Kassandra.

Les deux filles commencèrent à chuchoter avec de grands sourires, un gloussement s'échappant quelquefois de leur conversation confidentielle. Alice écouta d'une oreille distraite, pendant qu'elle mettait un peu d'ordre dans les tiroirs de sa table de nuit. Elle y rangea précieusement la lettre qu'elle venait de recevoir avec les autres de l'historien, puis nota à la volée quelques lignes dans son petit carnet bleu. Elle en profita également pour renforcer le sortilège qui bloquait l'ouverture des deux premiers tiroirs. Personne ne devait y accéder.

Comme ces derniers temps, Alice attendit que Clémentine, leur Tutrice, vienne leur dire d'éteindre les lumières avant de se glisser sous la douche, prétextant qu'elle n'avait pas eu le temps avant. C'était un moyen pour elle de se détacher de l'agitation du dortoir, sans pour autant devoir s'éclipser dans les Jardins. L'eau chaude avait la faculté d'apaiser ses peurs, afin d'avoir la possibilité de réfléchir calmement. Elle pensa à tous ces signes de la surveillance exacerbée du Ministère. Il était clair qu'elle ne pouvait pas continuer à correspondre ainsi. Et s'ils venaient à découvrir qu'elle avait reçu quelque chose qui ne lui était pas destiné ? Et s'il la prenait pour une terroriste à cause du contenu de sa correspondance avec l'historien ? C'est exactement au moment où une idée germa dans sa tête que la porte s'ouvrit.

Margot la rejoignit devant le lavabo.

- Qu'est-ce qui s'est passé tout à l'heure ? s'inquiéta t-elle.

- Oh rien, j'ai...je devais vérifier un truc... hésita Alice en détournant la tête.

- D'accord, répondit son amie en détachant chaque syllabe, peu convaincue.

- Sinon j'ai essayé de lire les trucs pas en français, mais ya vraiment pas beaucoup de trucs avec des images, donc j'ai rien compris ! Ça serait sympa qu'il t'envoie plus de livres en français le « Sir je-sais-pas-quoi » ! continua Margot.

- Sir Bragnam , corrigea Alice.

- Oui, bref dans les autres livres en français c'est comme d'habitude, ça parle pas d'un terrifiant navire de pirates magique ou de son équipage !

Alice fit la moue.

- C'est quand même incroyable ça, comment ça se fait qu'on entend jamais parler d'eux ? Qu'est-ce qui leur est arrivé ?

- Peut-être que ceux qui l'ont vu sont pas restés vivants assez longtemps pour le raconter... songea Alice.

Le Samedi suivant, Alice n'accompagna pas ses amies au stade de Quidditch comme d'ordinaire. À la place, elle se mit à errer dans les couloirs du Palais, prêtant l'oreille avec attention. Elle se posta également devant l'immense tableau noir du Hall, où diverses annonces s'inscrivaient d'elles-mêmes dessus, puis disparaissaient pour laisser la place à d'autres inscriptions. C'était le troisième jour qu'elle effectuait ce petit rituel. Mais c'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin, l'école était si grande. À l'heure du déjeuner, la jeune fille n'avait toujours rien trouvé. Pourtant ils ne pouvaient pas avoir disparu ! Son estomac la démangeait, mais elle ne s'arrêta pas de chercher. Les couloirs se vidèrent petit à petit, alors que tous les élèves se précipitaient dans la Salle à Manger.

- Putain je comprend rien à leurs indications...ils peuvent pas mettre un plan comme tout le monde ?

Alice ne se retourna pas. Elle se trouvait dans un couloir de marbre étroit. La voix venait de derrière elle.

- On aurait dû suivre Julien, je te jure...

- Si t'avais écouté lorsqu'il nous a dit que c'était « exprès au moment où tout le monde mange, comme ça ça reste discret », aussi !

- Mouais, en tous cas j'espère qu'ils vont être moins discrets demain, genre ils foutent le bordel, comme ça pas d'interro d'Histoire haha !

- Ça serait trop bien, comme ça je vais aller au Duel plus tôt !

- Te battre ? T'as pas mieux à faire ? Moi je vais bien profiter de ce moment crois moi !

- Non j'ai pas mieux à faire, qu'est-ce que tu v...

Les voix s'évanouirent lorsque les deux filles disparurent à l'angle d'un escalier. Elles étaient passées devant la petite blonde sans la voir. Mais cette dernière avait au contraire été très attentive à leur conversation. Elles semblaient être conviées à quelque chose. Une réunion secrète par exemple. C'était exactement ce que recherchait Alice. Et même s'il ne s'agissait pas des Héritiers de Pinkstone, la curiosité maladive de la jeune fille la poussa à accélérer le pas pour garder dans son champ de vision les deux élèves qui l'avait dépassée. De toute façon, la moindre solution pour échapper aux yeux omniscients du Ministère était la bienvenue. Elle se déplaçait sans bruit, guettant chaque mouvement, analysant la plus infime intention de celles qu'elle suivait. Les deux filles s'avéraient bien trop absorbées par leurs commérages pour se douter de quoi que ce soit.

Cette filature ne dura pas plus de quelques minutes. Une porte fut ouverte. Le bruit qui s'en échappa attestait du nombre de personnes rassemblées derrière celle-ci. Une porte. Alice ne pouvait pas simplement suivre le mouvement. On la repérerait bien trop facilement. À sa droite se trouvait une autre de ces barrières si simples à franchir. Parfaitement identique à la première. Que ferait-elle donc sans magie ? Après s'être assurée qu'aucun son ne provenait du couloir qui l'avait menée jusqu'ici, elle se tourna vers la porte de droite et effectua de rapides mouvements circulaires au dessus de sa tête avec sa baguette, comme si elle s'entourait elle-même d'une corde invisible. Ses lèvres bougèrent à peine lorsqu'elle prononça la formule du Sortilège de Désillusion. Ses membres, ses cheveux, sa peau, avaient tous pris la texture du mur du couloir. Un blanc reluisant, parsemé de petites fioritures de marbre. Alice regarda derrière-elle. Chaque petit détail caractéristique du pan de mur s'était imprimé sur son corps, si bien que quelqu'un qui se trouverait à plusieurs mètres en avant ne la verrait pas. Elle se confondrait totalement avec l'arrière-plan. La jeune-fille-caméléon avança jusqu'à la porte de droite, puis se plaqua à côté, contre son encadrement. Le camouflage se modifia immédiatement pour correspondre désormais au morceau de marbre caché par son corps. Concentrée, elle attendit.

Un autre groupe d'élèves arriva. Alice retint sa respiration et ne bougea pas.

- C'est à droite ou devant déjà ? demanda l'un d'eux en regardant successivement les deux portes, comme s'il s'attendait à y trouver un écriteau du type : « réunion super méga secrète par ici, sonnez avant d'entrer svp » .

- Tu te rappelles pas ? Le couloir qu'on choisit n'a pas d'importance... répondit Camille, une amie de Sara, la grande sœur de Julie.

- Ouais mais je veux pas me retrouver avec les tarés, ils sont dangereux ceux-là...

- Tsss quelle chiffe molle...

- Vous savez quoi ? On va faire au pif ! déclara un autre aux cheveux roux.

- Mais c'est débile...

Le garçon roux sortit sa baguette, puis la pointa sur la première porte.

- Ca...

Il pivota ensuite pour viser la deuxième porte.

- ...sus

Puis il revint sur la première.

- Po...

Et se tourna une nouvelle fois vers la deuxième.

- ...cus

Il continua à dire sa formule en répétant ce cycle pour chaque mot :

- Hocus Malus, Magus Bo...

Mais Camille devança la fin de sa formulette d'élimination :

- Bon on va pas attendre trois heures, moi je prends celle de droite !

- ...nus

Une fois la dernière syllabe énoncée, la baguette du garçon pointa d'elle-même la première porte.

Camille s'était déjà précipitée sur l'autre porte pour l'ouvrir. Un bruit de foule s'en échappa. Le groupe s'engouffra dans l'ouverture. Alice attendit que le dernier d'entre eux, le garçon roux, soit passé en grognant :

- Mais ça indiquait l'autre porte !

La jeune fille bloqua brièvement le panneau qui se refermait avec son pied, puis se glissa à l'intérieur. Le couloir derrière était identique au précédent. Cependant, il était ici beaucoup plus compliqué d'admirer les décorations des murs, en raison du nombre important d'élèves qui le remplissait. Chacun bavardait gaiement dans un joyeux vacarme. Pour une étrange raison, la foule semblait principalement tournée vers le côté gauche du couloir, les places contre le mur étant les plus prisées. Alice longea avec précaution la paroi droite. Les garçons et les filles rassemblées ici faisaient tous plusieurs têtes de plus qu'elle. Elle n'avait en principe rien à faire ici. Et c'est justement ce qui la poussait à assouvir sa curiosité. La porte se referma. Elle repéra un groupe aux membres particulièrement grands, probablement des Dernières-Années . La position accroupie lui permettait de voir le mur gauche entre leurs jambes. Alice se demandait ce qu'il avait de si incroyable ce mur. C'est alors qu'il disparut.

Le couloir ouvrait désormais sur un grand espace à ciel ouvert, de forme carrée. Alice cligna plusieurs fois des yeux, n'y croyant pas. Il y eut de nombreuses exclamations. Au centre de la cour intérieure, plusieurs élèves se tenaient sur un espèce de monticule, composé principalement de bancs et de chaises. Le garçon qui se trouvait au sommet de celui-ci, grand, les cheveux blonds noués en catogan, effectua un rapide geste vers sa gorge avec sa baguette, puis prit la parole, sa voix amplifiée résonnant dans toute la cour :

- Bonjour à tous ! J'espère que le lieu vous plaît, pour cette fois nous avons décidé de voir grand ! (il tourna sur lui-même en observant chaque côté de la cour, ce qui fit réaliser à Alice que ces derniers comportaient tous un couloir ouvert comme celui dans lequel elle se trouvait) Et au vu de l'engouement qui a mené à un tel rassemblement, je constate que nous avons bien fait ! Si vous êtes venus ici, c'est que vous vous posez de légitimes questions sur l'action du Ministère, sur cette séparation désormais datée de notre monde avec celui des Moldus. Et laissez moi vous rassurer : vous n'êtes pas les seuls, comme vous pouvez le constater ici, mais également en lisant la presse. Partout en Europe, le peuple s'indigne de cette emprise que possède le Ministère sur nos vies. Tandis que le Ministère, lui, est de plus en plus présent, observant tous nos faits et gestes, arrêtant d'honnêtes gens ! La préservation du Secret de notre monde à tout prix, les politiques n'ont pas d'autres motivations. Imaginez. Imaginez quelques instants, une société ou vous pouvez librement aller faire vos courses sur votre Phoenix Delta, ou votre Nimbus 2X, cela dépend de vos goûts, sans vous soucier d'autre chose que la méthode employée pour ramener tous vos achats sur votre balai ! Imaginez-vous promener votre Hippogriffe sans avoir à jeter un sort de Désillusion pour le dissimuler aux yeux des Moldus... Ça vous plairait un monde comme cela ?

Il laissa son public exprimer son approbation à grand renfort de cris et autres sifflements. Alice était partagée. À quoi pouvait ressembler un monde comme ça ? C'était impensable. Puis le Leader enchaîna sur un ton différent :

- Et qui est-ce qui nous empêche de faire de ce monde rêvé une réalité ?

- Le Ministère ! s'empressèrent de répondre les autres élèves qui se trouvaient avec lui sur le tas de bancs et de chaises, tout en levant leurs baguettes vers le ciel couvert.

Alice en vit certains à côté d'elle faire de même. Le Ministère. Toujours lui. Partout. Alice se rappela à temps qu'elle n'était pas censée être ici avant de se lever avec les autres. Un petit cri sortit cependant de sa bouche, directement enveloppé par le vacarme ambiant.

- Tout à fait ! reprit le Leader. C'est cet ensemble de lois obsolètes, le Code International du Secret Magique, appliqué à la lettre par le Ministère, qui nous entrave ! Mais désormais, la communauté magique se rend compte de sa vétusté et souhaite une réforme de ce-dernier ! C'est ainsi que nous héritons du combat de Carlotta Pinkstone, qui a passé sa vie à militer contre le Gouvernement, sans obtenir de résultats probants. Mais les temps ont changé. Les Héritiers de Pinkstone sont présents partout en Europe. Dans nos écoles, des clubs comme le notre se forment.

- Plus on sera nombreux, plus notre cri d'aspirants à la liberté sera entendu ! C'est pourquoi, depuis que nous sommes officiellement entrés en contact avec les Héritiers d'Europe, notre mission est de convaincre le plus d'étudiants que notre monde n'a plus besoin de se cacher ! clama une fille située un peu en dessous du Leader.

- D'ailleurs, augmenter notre nombre de partisans nous permet d'être remarqués par les Héritiers. Et je peux déjà vous annoncer que nous sommes désormais parvenus à dépasser les rosbifs d'Hogwarts en nombre de membres !

La foule se réjouit à l'annonce de cette victoire. Alice pris conscience pour la première fois de l'ampleur que prenait le mouvement des Héritiers de Pinkstone. Il n'y avait pas qu'en France que le peuple grondait. Même à Hogwarts, l'école de magie en Angleterre, des élèves se regroupaient pour recruter de nouveaux Héritiers.

- Grâce à cette expansion, nous avons maintenant accès à l'Inexorable, le journal des Héritiers !

Sur ces mots, des centaines d'exemplaires de cette publication s'engouffrèrent dans le couloir. Chacun tenta d'en obtenir un, par tous les moyens possibles. Quelqu'un trébucha sur les jambes allongées d'Alice. Elle ne put retenir une exclamation de douleur. Il se retourna, surpris de voir le sol se plaindre. Une autre personne le bouscula à son tour pour s'emparer d'un exemplaire de l'Inexorable . Cela fit réagir la petite blonde. Elle devait partir, ses amies devaient se demander où elle était. Et puis cette « réunion secrète » ne lui apprendrait rien de plus. Lentement, elle se releva, puis glissa le long du mur jusqu'à la porte du couloir. De nouveaux objets de convoitise l'avaient envahi. Des badges. Abandonnant toutes précautions au vu de cette mêlée humaine, Alice ouvrit la porte et sortit. Elle prit au passage une copie du journal des Héritiers qui traînait part terre.

Une fois de retour dans l'environnement calme qu'était le Palais au moment du repas, Alice se sentit enfin respirer. Elle n'aimait pas la foule. D'autant plus qu'une foule d'élèves âgés dégageait une odeur bien à elle...

- Reducio, murmura t-elle en pointant la publication subversive avec sa baguette.

Le journal diminua de taille et devint à peine plus grand qu'un timbre poste. La jeune fille le mit dans sa poche et entreprit de revenir vers la Salle à Manger.

Kassandra jouait tristement avec l'une des pommes de terre qui traînait dans son assiette. Elle poussa un long soupir.

- Je ne serais jamais prête !

- N'importe quoi, tes passes sont super rapides ! rassura Julie.

- Hé Kass ! Alors ça avance pas trop avec Eliot hein !

- Regardez-là, ridicule !

- Pfff...hihi...

La grimace de Kassandra s'accentua. Les rires moqueurs résonnaient dans sa tête.

- Les écoute pas ok, mmmh...ch'suis chûre qu'il a bien aimé ! lui dit Julie en engloutissant une pomme de terre.

- C'est pas vrai...

Julie posa ses couverts et saisit les épaules de son amie.

- Regarde moi dans les yeux, intima t-elle.

Kassandra leva timidement la tête.

- Bon on va résumer : t'es super jolie, t'es trop forte au Quidditch, et t'es toujours là quand on va pas bien avec les filles ! Alors moi je vais te dire le problème qu'elles ont avec toi ces débiles : t'es bien meilleure qu'elles, regarde, toi t'as osé écrire ce petit mot, et pas les autres, elles sont toutes jalouses je te dis ! Aucune n'est à la hauteur ! T'as un niveau tellement fou qu'Eliot Klein sait même pas comment te répondre !

- Tu crois ?

- Bah oui je te dis ! Ce qui est important c'est de rester comme tu es, les autres jalouses on s'en fiche ! Et moi je t'aime comme tu es ok ?

Ces mots touchèrent la jeune fille. Julie lui offrait une véritable preuve d'amitié, pendant que...

- Mais Margot... commença t-elle.

- Margot on s'en fout ! Elle boude dans son coin, pfff elle vaut pas mieux que les autres ! s'énerva Julie.

C'était vrai. Lorsque la nouvelle comme quoi Kassandra avait écrit sa déclaration d'amour à Eliot Klein s'était propagée parmi les Secondes-Années, Margot était devenue toute rouge et était partie en courant. Lorsqu'elles l'avaient retrouvée, cette dernière avait pris un air hautain et s'était mise à accuser son amie car elle ne lui avait rien dit, qu'elle ne la considérait pas comme une véritable copine. Julie et Alice avaient tenté de lui parler, mais elle n'avait rien voulu entendre. Depuis lors, Margot faisait tout pour éviter Kassandra. En cours, elle se mettait à l'extrémité opposée de la table et ne décrochait pas un mot. Au moment du repas, elle préférait la compagnie des sœurs Rosier, deux jumelles identiques qui mettaient du rouge à lèvres criard en Seconde, ce que Kassandra trouvait parfaitement immonde. Lorsque celle-ci entrait dans une pièce, Margot trouvait un prétexte pour la quitter. Julie semblait ne pas savoir sur quel pied danser : tantôt elle prenait la défense de Kassandra, tantôt elle tentait de les réconcilier en parlant avec Margot. Mais il y avait quelqu'un d'autre, quelqu'un qui comptait beaucoup trop...

- Ha t'es là toi ! s'exclama Julie, son regard ayant repéré quelque chose derrière le dos de son amie.

Kassandra n'eut même pas besoin de se retourner. La chevelure dorée qui apparut à droite de son champ de vision était suffisante.

- Pourquoi t'es essoufflée ? T'as couru ? continua Julie.

- Oui, j'ai vraiment faim ! répondit Alice en empoignant ses couverts avec un petit sourire de soulagement.

Elle ne prit qu'une bouchée avant de se tourner vers Kassandra.

- Qu'est-ce qui va pas ? s'inquiéta t-elle, sa fourchette toujours levée.

Les jours passèrent. La neige tombait sporadiquement sur les Jardins. Les montagnes environnantes se drapaient de blanc. Emmitouflée dans sa cape, Alice étudiait pour la énième fois son exemplaire corné de l'Inexorable, qu'elle avait récupéré à la réunion des Héritiers. Le journal était constitué de textes incitant les lecteurs à « se soulever », et détaillait les actions entreprises par le mouvement des Héritiers de Pinkstone. Alice ne comprenait pas la majorité des arguments énoncés, qui nécessitaient un bagage politique et critique minimal.

Bien que cette publication ne s'adressait pas à elle, quelque chose s'en dégageait. Cela était peut être dû à l'encre, ou aux couleurs utilisées, mais Alice ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine empathie pour ces « terroristes » comme le Ministère les décrivait. Dans un sens, ils avaient le même ennemi.

Alice tressaillit. Elle avait la constante impression d'être observée, même ici, à l'intérieur de la Symphonie Féerique. La douce musique qui baignait la pièce ne parvenait pas à apaiser la jeune fille. Elle s'apprêtait ce soir là à faire quelque chose de très risqué. Et c'était probablement son goût du risque et de l'aventure, ainsi que les salutaires enseignements qu'elle espérait en tirer, qui la poussait à s'embarquer dans une pareille aventure.

Le seul passage de l'Inexorable qui l'intéressait était très bref, et placé parmi les dernières pages. :

Pour les plus engagés d'entre nous,

les Héritiers d'Europe se retrouveront pour un sommet de la plus grande Importance.

Une suite incompréhensible de symboles et runes en tous genres suivait ces lignes dénuées d'indications. Alice avait compris qu'il s'agissait d'un message codé, qui révélerait tout ce qu'elle avait besoin de savoir à propos de ce rassemblement des Héritiers. En cherchant à la Bibliothèque, assistée de Margot, elle était parvenue à comprendre que ce genre de code nécessitait une clé pour déchiffrer les informations qu'il protégeait. À partir de là, une petite enquête de sa part et une visite du dortoir de Francesco Vexamio - le meneur du club des Héritiers à Beauxbâtons - lui avaient permis d'obtenir la clé. Noter quelque chose d'aussi sensible sur un simple bout de parchemin, lui-même enfermé par un sortilège bénin dans un tiroir, n'était pas très malin.

Elle regarda sa montre : il était temps. En quelques secondes, elle fut debout sur la vieille souche moussue. L'instant d'après, elle disparaissait dans un craquement.

Alice tomba à genoux sur le sol gelé. Ses poumons s'étaient brutalement vidés. Elle étouffait. La panique s'empara d'elle. Elle avait raté son transplanage, la méthode utilisée par les sorciers majeurs pour voyager très rapidement. Cela ne lui arrivait jamais. Levant les yeux, elle ne reconnut pas sa destination. De nombreux troncs dépouillés s'élevaient tout autour de la jeune fille. Les rayons de Lune éclairaient faiblement l'endroit. Le bruit du vent qui s'immisçait entre les arbres lui glaça le sang. Elle se leva péniblement. Sa tête lui faisait mal. Elle identifia de nouveaux sons : de multiples craquements, plus ou moins forts, des voix...des cris. Alice se concentra pour transplaner. Rien. Elle avait beau visualiser parfaitement cette falaise en bord de mer, ses pieds ne voulaient pas quitter ce sol boueux.

- Sécurisez le périmètre ! tonna une voix dans la nuit, sur sa droite.

Elle comprit. Son pire cauchemar s'était réalisé : Ils l'avaient piégée. Des pas. Ils se rapprochaient. Ils venaient de toutes les directions. D'autres cris. Des jets de lumière. Paniquée, Alice se mit à courir dans une direction au hasard. Des exclamations se firent entendre. C'était tout proche. Une lueur se manifesta. Une vague de chaleur la transperça. Des flammes. Partout. Elle entrevit des silhouettes portant de longs manteaux qui braillaient des ordres, combattant l'incendie. Les Aurors du Ministère. Leurs agents d'élite. Une gerbe mauve passa à quelques centimètres de son visage. L'adrénaline restreignait sa peur. Elle dévia à peine le tir suivant d'un large mouvement désespéré de baguette. Le sol vibra. Puis il y eut un craquement, parfaitement audible. Quelqu'un venait de réussir à transplaner. Elle devait y arriver à son tour.

- Ne les laissez pas s'échapper !

Alice pensa très fort à l'herbe battue par le vent...aux détails de la roche...aux remous de l'océan.

L'odeur inaltérable des embruns, du sel. Le vent puissant qui repoussait ses cheveux en arrière. Le bruit des vagues qui se brisaient sur les rochers en contrebas. Elle y était parvenue. Cette fois, c'était le bon endroit. Elle reprit doucement son souffle avant d'ouvrir les yeux. Au loin, au milieu d'un champ de buissons épineux, se dressait une curieuse construction que connaissait bien Alice. L'astre nocturne éclairait pâlement la structure longiligne. Mais la lampe de celle-ci, située en principe en son sommet, ne balayait pas les flots. En réalité, aucune lumière, aucune vie n'émanait du phare abandonné. Un léger craquement retentit à côté d'elle. La jeune fille ne bougea pas d'un millimètre. Quelqu'un s'avança sur la pierre, ses pas se dirigeant vers la sinistre tour. Alice jeta un bref coup d'œil à sa montre. D'autres silhouettes apparurent. Elle ne s'était pas trompée. L'assemblée des Héritiers de Pinkstone allait se dérouler ici. Et elle était plus que jamais décidée à trouver un moyen pour échapper à la vigilance suffocante du Ministère.

Bien plus tard, elle s'écroula sur son lit, sans se donner la peine de se déshabiller. Sa motivation venait de se renforcer. Elle disposait désormais de solutions pour déjouer la surveillance constante du Gouvernement.

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