Poussière Incisive

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Les semaines passèrent, et l'inquiétude d'Alice s'insinua de plus en plus fréquemment dans son esprit. Ce changement d'attitude fut remarqué par ses amies, mais elle leur rassura en leur disant que c'était les examens de fin d'année qui commençait à la faire stresser. Cependant, Kassandra n'était pas dupe. Alice ne stressait pas pour les examens. Elle n'avait jamais d'ailleurs été auparavant préoccupée par le travail scolaire. C'était autre chose. Quelque chose qui l'empêchait manifestement de dormir, comme l'avait remarqué son amie en trouvant une nuit son lit vide. Mais Kassandra ne creusa pas plus loin, et assuma que c'était les récentes manifestations et autres démonstrations de force de ces terroristes, les « Héritiers de Pinkstone » qui l'angoissaient, comme bon nombre d'élèves.

En effet, les journées de la jolie rousse devenaient de plus en plus denses et épuisantes. Il y avait tout d'abord l'accélération du rythme en cours par les enseignants pour être sûr de boucler les programmes. Mais c'était sans compter sur les commentaires haineux qu'on lui adressait en permanence. Sur le chemin menant au Palais, à voix basse en la fixant hostilement aux repas, dans les couloirs bondés, ou bien encore en plein cours, gratuitement. Lorsque ceux-ci ne concernaient que sa couleur de cheveux, elle n'en tenait pas compte, mais certains étaient bien plus créatifs et savait où frapper pour la faire sortir de ses gonds. On lui rappelait par exemple chaque jour que son équipe risquait de se faire purement et simplement exclure du championnat pour cette année, et que c'était bien fait pour des tricheurs comme eux. Leur match contre les Griffes Sauvages avait été gagné de très peu, les insultes vociférées par une partie de la foule rendant chaque action difficile à effectuer. Ses amies parvenaient toujours à calmer les choses, lui chuchotant doucement de ne pas les écouter, qu'ils étaient tous jaloux de son talent sur un balai. Poussée à bout, Kassandra devenait chaque jour de plus en plus irritante.

Un soir de Février, Kassandra se retrouva seule au Pavillon. Margot et Julie étaient au Palais. L'une pour son cours de guitare, l'autre avec les amis de sa sœur, afin de travailler son coup de crayon, dans l'optique d'intégrer les Beaux-Arts de l'école. Alice s'était discrètement éclipsée elle ne savait où. Complètement désintéressée de l'exercice qu'elle devait rendre pour le lendemain, la tête appuyée sur son bras, elle observait les occupants du Salon. La plupart travaillaient en groupe, discutant entre eux. Certains rires se faisaient également entendre de temps à autre. Quelques élèves étaient isolés des autres, plongés dans leur travail, ou le nez dans un livre.

Je donnerai tout pour être comme eux, on les remarque pas, on les laisse tranquille, ils se font pas cracher dessus tout le temps... se dit-elle.

- Tic...tac..tic.tac ! C'est bientôt qu'on va savoir Kass...

Cette voix. L'adjectif insupportable ne lui correspondait plus...il n'était pas assez agressif.

Ne l'écoute pas...ne l'écoute pas...ne l'écoute pas... pensa t-elle très fort, au bord de la crise de nerfs.

Alice entendit un bruit sourd venant du bas de l'escalier, alors qu'elle s'apprêtait à poser le pied sur la première marche de ce dernier.

- Kassandra ! cria la voix de Clémentine avec colère.

Lorsque la petite blonde eut atteint le rez-de-chaussée après s'être dépêchée, elle découvrit une drôle de scène en plein milieu du Salon du Pavillon. Son amie flamboyait, la rage et les larmes luttaient sur son visage, sans que l'une des deux émotions ne parvienne à prendre le dessus. Leur Tutrice préférée la retenait par les épaules, empêchant Kassandra d'en découdre avec son adversaire. Et cette dernière ne pouvait être que cette infâme peste... Alice avait la certitude qu'en l'absence de Clémentine, représentante de l'autorité de la Direction, elle n'aurait pas cherché très longtemps dans son répertoire de sorts pour effacer le sourire sadique d'Emma Simon.

- Tu tombes bien Alice, faut que tu m'aides à calmer ta pote ! l'interpella la Tutrice lorsqu'elle l'aperçut.

- Laisse, ça va je suis calme ! s'écria Kassandra. Le ton de sa voix trahissait le fait que ce n'était pas du tout le cas.

- Écoutez moi bien les filles, je vais être claire : je veux pas savoir qui a commencé cette fois, je veux bien être sympa, mais si ça se reproduit je vous colle une retenue à toutes les deux ! Donc vous partez chacune de votre côté, et je veux plus entendre parler de vous ce soir ! Et dépêchez vous, faut vraiment que j'aille réviser mon Arithmancie ! tonna Clémentine qui n'avait manifestement pas apprécié d'être dérangée en pleine séance de révisions.

Elle lâcha Kassandra en direction d'Alice, sans la lâcher du regard. La rousse se jeta dans les bras de son amie avec une telle force, que celle-ci faillit bien tomber en arrière.

- J'en peux plus...sanglota t-elle, la tête dans la chevelure dorée.

Alice vit avec satisfaction l'air suffisant disparaître du visage de la tortionnaire de son amie. La Tutrice semblait la réprimander à voix basse, ne voulant probablement pas montrer ouvertement à Kassandra qu'elle prenait sa défense.

- Viens on s'en va forte tête, chuchota t-elle doucement.

Elle prit la main de son amie et sortit avec elle du Salon en empruntant une volée de marches que personne ne remarquait d'ordinaire. Elles débouchèrent dans un couloir aux murs peu décorés, fait assez rare pour être remarqué au sein de l'Académie.

Des chandeliers accrochés à intervalle régulier l'éclairaient vivement, tandis qu'un petit nombre de cadres lui donnait quelques touches de couleur. Kassandra ne s'étonna pas de les voir inoccupés, après tout les personnages de ces oeuvres d'art avaient eux aussi le droit de s'échapper. Alice n'empruntait pas ce passage pour la première fois, c'était évident au vu de sa démarche assurée. Elle savait parfaitement où aller. Cependant, le couloir n'était pas bien long, et elles furent bientôt stoppées par un mur. Le plus grand des tableaux de l'endroit y était accroché. Il dépeignait un environnement à la végétation abondante, touffue, et incroyablement colorée. Une silhouette juste esquissée, si bien qu'il était compliqué de déterminer son genre, se trouvait au centre de la toile, lovée sur ce qui paraissait être un champignon géant. Alice rejeta subitement ses cheveux en arrière, dévoilant ses sublimes boucles d'oreilles qu'elle ne quittait jamais. Puis elle leva sa main gauche, paume ouverte, orientée vers la peinture, et la plaça contre sa tempe. Elle effectua ensuite un petit mouvement en la décalant vers la gauche, coupant le contact avec sa tête, comme si elle indiquait une direction avec. Kassandra fronça les sourcils, mais ne dit rien, encore secouée par sa récente altercation. La silhouette du tableau sembla s'éveiller. Alice répéta le mouvement. Le personnage lui répondit par un geste similaire. Kassandra sentit la chaleur de la peau de son amie s'évanouir lorsque cette dernière la lâcha pour joindre ses deux pouces levés au niveau de sa poitrine. Le signe qu'elle effectua était aussi précis qu'incompréhensible pour la jolie rousse : Alice bougea simplement l'une de ses mains d'avant en arrière, sans rompre le contact avec l'autre, tout en gardant son pouce levé. À partir de ce moment, le rythme de la conversation entre la petite blonde et la silhouette du tableau s'intensifia, les signes s'enchaînant fluidement des deux côtés. Kassandra remarqua que son amie accentuait volontairement les expressions de son visage durant cette discussion silencieuse.

Au bout d'un moment, Alice fit un dernier geste en effectuant avec sa main un mouvement partant de son menton et allant vers l'avant, puis le couloir fut d'un seul coup plongé dans le noir. Elle eut tout juste le temps de reprendre la main de son amie dans la sienne, lorsque la lumière revint. Il s'agissait du même endroit, à quelques exceptions près : les escaliers derrière elles avaient disparu, remplacés par un mur uni. Celui qui leur barrait encore la route quelques instants plus tôt s'était également transformé : une grande porte en bois remplaçait le tableau muet. De nouveau, Alice n'hésita pas. Elle tourna la poignée et tira.

La température changea. Les cheveux des deux élèves se mirent à onduler doucement. La silhouette massive des hautes tours du Palais était parfaitement visible dans le ciel dégagé. Alice entraîna son amie au bord du toit. Le point de vue sur le tracé parfait des Jardins était magnifique, étant donné que le Pavillon s'élançait bien au dessus des arbres. Mais de nuit, il était nécessaire de lever la tête pour apprécier le plus beau spectacle éternel et naturel qui pouvait exister. Une multitude d'étoiles, appartenant à un nombre astronomique de galaxies, rivalisaient d'éclat.

- C'est trop beau... souffla Kassandra.

- C'est une nuit sans lune... commenta Alice.

Les yeux écarquillés, la jolie rousse scrutait le ciel avec émerveillement. Quelque chose de particulier attira son attention.

- T'as vu celle-là ? On dirait qu'elle bouge ! Et puis elle clignote en rouge...tu crois que c'est le moment de faire un vœu ?

Alice pouffa.

- Fais en un si tu veux, mais je pense que c'est plus un truc de Moldu qui vole...

- Ils sont marrants les Moldus, même sans balais et sans magie ils peuvent faire les mêmes trucs que nous !

- Ouais, enfin pas vraiment tout...

Alice murmura quelque chose. Il y eut un crépitement. Puis l'obscurité fut dispersée par l'apparition de flammes bleues dans sa main gauche ouverte. Bien que les flammes ne consumaient aucun combustible, l'énergie dégagée était assez importante pour réchauffer les deux élèves. La lueur vacillante du sortilège éclairait le petit sourire de Kassandra. La tristesse subsistait sur son visage, mais celle-ci ne pouvait lutter contre la nature radieuse de la jeune fille.

- Il faudra que tu m'apprennes à faire ça, c'est trop pratique ! s'enthousiasma t-elle.

- Mouais je verrais, c'est pas drôle si je peux plus t'impressionner avec ce que je sais faire, répondit Alice d'un ton espiègle.

- Pfff, comme si j'avais besoin d'un petit tour de magie pour être impressionnée par ma blondinette préférée, chuchota t-elle en posant sa tête sur l'épaule de son amie.

Alice ne répondit pas. Les paroles de Kassandra la touchèrent beaucoup. C'était une personne formidable, il n'était même pas imaginable qu'elle puisse la perdre. Et pourtant...Son obsession grandissante l'éloignait de ses amies. L'éloignait de la jolie rousse qui avait posé sa tête sur son épaule. Elle le sentait. Ce n'est pas la température qui la fit imperceptiblement frissonner.

Les deux filles continuèrent d'observer la voûte étoilée. L'une d'entre elles y cherchait quelque chose de précis. L'autre était complètement absorbée pour remarquer la petite forme qui sortit de l'ombre et vint se poser sur le garde-corps en pierre du toit. Alice s'approcha brusquement en lâchant pour la deuxième fois la main de son amie.

- Hé fais attention ! se plaignit cette dernière qui avait soudainement vu disparaître le support de sa tête.

- Désolé, s'excusa Alice en se penchant sur le petit animal chétif éclairé par les flammes.

Des oreilles pointues, de minuscules yeux noirs, le tout encadré de larges ailes de la même couleur. Avec une infime précaution, la jeune fille détacha d'un coup de baguette exact un minuscule carré de papier solidement accroché à l'une des pattes de la chauve-souris. Un autre coup de baguette plus tard, et le message s'était transformé en une enveloppe de bonne taille. L'historien s'était parfaitement adapté à cette nouvelle méthode de communication. Alice avait prétexté que ce changement était dû au fait que l'école avait refusé qu'elle fasse un exposé sur les pirates sorciers, mais qu'elle voulait tout de même continuer à explorer ce sujet qui lui plaisait tant. Sir Bragnam lui avait répondu qu'il en avait été de même pour sa thèse il y a quelques années, et qu'il ne laisserait pas une nouvelle fois le Ministère censurer cette époque trouble.

- C'est marrant comment tu reçois ton courrier... remarqua Kassandra, qui regardait par dessus l'épaule de son amie.

Fébrile, Alice utilisa une dernière fois la magie pour éteindre les flammes bleues qui dansaient sur sa paume. Les ténèbres les engloutirent de nouveau.

- Je suis pas stupide, tu reçois une lettre sans utiliser de hibou, la nuit, c'est louche. Et quand c'est louche moi je veux savoir. continua la jeune fille d'un ton accusateur.

Son amie ne répondit pas. Elle réfléchissait. Limiter le nombre de mensonges était capital pour garantir leur crédibilité.

- Vraiment ça me soûle, tu dois me dire ce que tu fabriques. T'as pas le choix. Plus de secrets. Je veux comprendre Alice. Tous ces trucs bizarres que tu fais. J'ai peur pour toi ! s'emporta Kassandra.

Elle était vraiment insistante. Et il était compliqué d'éviter la question. Elle ne lâcherait pas le morceau. Alice ne la connaissait que trop bien pour penser le contraire. Fort heureusement pour elle, son esprit était parfaitement taillé pour répondre à ce genre de problématiques.

- C'est ma sœur... commença t-elle.

- Ta sœur ? Ta sœur qui travaille au Ministère ? Celle qui t'as envoyé tes boucles d'oreilles ? la coupa vivement Kassandra.

- Oui, c'est ma sœur qui m'a envoyé cette lettre, expliqua Alice.

L'absence de lumière ne permettait pas à son amie de déceler ce tic précis du visage d'Alice, presque insignifiant, mais connu de son proche entourage. Celui-ci révélait le mensonge. Elle n'avait bien entendu pas la moindre idée de l'identité de l' « admirateur » secret qui lui avait offert les bijoux, ou qui s'était tout simplement trompé en écrivant l'adresse. Pour le moment, personne n'était venu les réclamer.

- Et pourquoi elle n'utilise pas les hiboux pour transporter ses lettres comme tout le monde ?

- Justement...c'est compliqué...on la surveille...elle ne travaille plus pour le Ministère.

- Comment ça ? Elle est en danger ? s'inquiéta de nouveau Kassandra.

- Écoute, je vais tout te dire, mais c'est très dangereux, c'est pour ça que ça doit rester secret !

- Je sais garder les secrets, ne t'inquiète pas, raconte moi tout, ça t'aidera ! l'encouragea son amie, dont la curiosité ne demandait qu'à être assouvie.

- OK, alors ma sœur est...une Héritière de Pinkstone.

Tout s'imbriquait impeccablement. Kassandra ne répondit pas. Alice pouvait presque sentir sa surprise. Elle eut un mouvement précipité, et l'instant d'après la petite blonde se sentit étreindre intensément.

- Je suis tellement désolée...je savais pas...et moi qui t'embête avec mes histoires... murmura Kassandra.

- C'est normal, t'en fais pas pour moi...

- Dis pas ça ! T'es obligée de parler à ta sœur en secret, ta sœur la terroriste ! Tout est clair maintenant, et je suis contente que tu m'aies tout dit. Je ne vais pas te lâcher.

Kassandra promit de veiller aux côtés d'Alice pendant toute la nuit. Quelques minutes après ce serment, elle s'endormit sur son lit, les émotions ayant eut raison d'elle. Margot et Julie rentrèrent assez tard du Palais. L'une semblait anormalement ravie, tandis que l'autre était d'une humeur bougonne.

- D'après les profs, j'ai encore pleeein de boulot, les portraits ça suffit pas, ils veulent voir plus ! râla Julie.

- J'ai fait une superbe rencontre ! se réjouit Margot en faisant un clin d'œil complice à Alice.

Cette dernière leur raconta la scène qui s'était déroulée plus tôt dans le Salon.

- Pauvre Kass, faut plus la quitter, elle n'est jamais tranquille ! fulmina Julie.

- C'est quand même fou, dès qu'on la laisse toute seule il se passe des trucs, elle pourrait faire un peu attention ! s'exclama Margot.

Bien qu'elle s'était un petit peu calmée depuis que Kassandra avait fait sa déclaration à Eliot Klein, Margot gardait toujours un très fort ressentiment envers cette dernière.

- Tu sais bien ce que raconte Emma, cette fille est une saloperie de Sang-Mêlé ! À la place de Kass t'aurais fait pareil ! rétorqua Julie.

- Eh bah peut être pas justement, moi je sais me contrôler...

- Mais n'importe quoi, toi on t'insulte pas tout le temps, tu peux pas imaginer !

- Donc moi on s'en fiche de ce qui m'arrive ? Il y en a que pour Kass encore une fois ?

Voyant que les choses s'envenimaient, Alice se désintéressa de la conversation et glissa une main sous son oreiller. L'enveloppe que la chauve-souris lui avait apportée y était toujours. Elle mourrait d'envie de l'ouvrir tout de suite. Et l'attente aurait été bien plus insupportable si elle avait su à l'avance que ce message l'enverrai à l'autre bout du monde.

Les bottes serties d'or balayaient la terre à chacun de ses pas, dessinant de fines empreintes dans son sillage. Elle avait l'impression d'avoir marché pendant des heures. Des petites gouttes de sang perlaient de ses genoux meurtris. La fatigue l'envahissait petit à petit. Tous les muscles de son corps étaient courbaturés.

L'horizon n'était plus qu'une vague tâche floue.

Elle trébucha puis tomba à genoux sur le sol desséché. Le contact soudain de la plaie ouverte avec la terre brûlante lui arracha un cri. Ses yeux se fermèrent. Elle resta ainsi quelques secondes, ou bien quelques minutes, elle n'avait plus la notion du temps. Mais elle ne pouvait pas s'arrêter. Elle ne pouvait pas abandonner.

Pas maintenant.

Puisant dans ses dernières réserves de volonté, elle sentit à nouveau le sang couler dans ses veines. Sa respiration reprenait un rythme normal et son cœur pulsait aussi vite qu'il le pouvait, irriguant ses membres, lui insufflant une énergie nouvelle. La jeune fille se releva lentement, inspira profondément et ouvrit les yeux.

Elle vit le rouge éclatant tapissant les alentours. Elle vit le ciel bleu. Elle sentit la chaleur écrasante du soleil sur sa peau. Elle examina une nouvelle fois sa montre, sans grand espoir. Les aiguilles de cette dernière tournaient à vive allure, comme perturbées par une force invisible. Elle savait cependant que le temps viendrait à lui manquer. Elle se remit en route, pressant le pas, ses longs cheveux blonds ondulant au gré du vent.

Après une courte ascension parmi les pierres chaudes du désert, les bras écorchés par les arbustes secs entre lesquels elle s'était glissée, le manoir se dévoila enfin devant ses yeux.

Niché en contrebas, au milieu d'une plaine aussi rouge qu'aride, la solide bâtisse se tenait là depuis de nombreuses années, battue par la poussière du désert, qui avait coloré sa façade de bois d'un pourpre sombre. En cette heure avancée de la matinée, les habitants n'étaient visibles nul part. Et pour cause, cet édifice était en réalité la retraite fortifiée d'un puissant sorcier, probablement mort depuis longtemps. Cependant, les murailles invisibles mises en place par celui-ci s'étendaient toujours du sable du désert aux cieux, conservant son savoir d'une cloche mortelle impénétrable. En théorie du moins.

Cela s'apparente à la mécanique complexe d'une serrure de coffre-fort : il suffit d'un rien, d'une pression à un endroit précis, d'un engrenage faible qui se brise, et toute cette belle horlogerie s'effondre sur elle-même, meurtrie en son sein par une technique experte qui la surpasse. Par une chaleur écrasante, sous un soleil de plomb, d'un mouvement bref, il se passa exactement la même chose. Un cercle de poussière d'un diamètre colossal apparu autour du manoir, révélant les défenses de l'endroit. Désormais visible, haute dans le ciel, la cloche transparente sembla vibrer très fortement, avant de s'évanouir sans un bruit. Deux jets de lumière vinrent frapper la façade, traversant le bâtiment de part en part, illuminant chaque porte dérobée, chaque couloir secret, chaque pièce dissimulée.

Tandis que la poussière retombait sur le sol, elle boita jusqu'à la porte d'entrée. Celle-ci s'ouvrit brusquement d'elle-même, déversant une impressionnante tornade composée de pierres tranchantes, de sable décapant et mue par une énergie inhumaine. La petite fille se protégea presque instantanément, un bouclier lumineux déviant la cascade de projectiles sauvages. Le soleil, la roche rouge, la façade de la bâtisse : plus rien n'était visible. La tempête emplissait tout l'espace disponible, à l'exception d'une petite zone où l'intrus résistait. Un formidable combat entre l'humain et les forces de la nature s'engagea alors : la tornade magique tentait d'écraser le seul moyen de défense de son ennemie, manquant à plusieurs reprises de définitivement le supprimer, labourant les bras de la jeune fille qui hurla de douleur. En comparant la taille et la puissance percevable des deux adversaires, il aurait été stupide de parier sur l'humain, qui allait de toute façon, c'était presque sûr, rapidement céder sous la force incommensurable de l'anomalie météorologique. Cependant, cette étroitesse d'esprit aurait occasionné de lourdes pertes au parieur. En effet, l'Homme a toujours évolué en anéantissant la nature pour faire perdurer son règne. Mais plus encore, le Sorcier lui, la domine, la dompte et la domestique. Alors ce qui devait arriver arriva : la petite fille continuait de résister, et sa barrière magique fut bientôt beaucoup plus importante, enfin de taille à rivaliser avec la tornade. Le bras entier qui tenait la baguette de pin tremblait, encaissant toute l'énergie provoquée par le choc de la tempête sur le bouclier. Des gouttes de sueur se mêlaient aux cheveux dorés, avant de disparaître dans le vent. Son sort de protection était désormais tellement puissant qu'il pouvait être vu à des kilomètres à la ronde. Tel un filet démesuré, ce dernier finit par engloutir totalement la tempête, disparaissant en même temps que cette dernière, laissant seule la jeune fille meurtrie, alors que la poussière retombait pour de bon tout autour.

Elle leva les yeux vers la porte grande ouverte. L'odeur du vieux papier, si caractéristique de ces temples de la connaissance, lui emplit les narines. Un sourire difficile s'étira alors sur ses lèvres, alors qu'elle passait enfin la porte de l'une des plus légendaires bibliothèques du monde.

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