Chapitre 1 : L'appât ( Partie 1)

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Eté 2012 - 26 ANS.

Des lieux mythiques LGBT dont j’ai pu faire la visite, que se soient des saunas, des bars, des cafés ou des cinémas porno, c’est la discothèque Le New Cancan (plus si new que ça) que je préférais.

Depuis mes seize ans, ces limbes se trouvant en dehors de la norme hétérosexuelle furent mon refuge, ma famille. D’ailleurs, lorsque j’ai loué mon premier appartement, le critère principal était sa proximité avec mon quartier général. C’est là que chaque weekend je m’autorisais à ne pas exister comme ce simulacre de moi-même que je m’évertuais à jouer au quotidien. Je pouvais danser au rythme des verres de vodka orange à en perdre la raison. Il est fort aisé de clamer ne se souvenir de rien le lendemain, car, de un, ça à tendance à dégrossir le dérapage ; de deux, cela permet d’éviter le sujet ; demeuré plus frais dans ta mémoire que tu ne le voudrais.

Puis, j’ai été diplômé. Inutile de te dire où j’ai fêté l’événement, Michel (le patron) tenait absolument à célébrer ma réussite en grande pompe, et nul besoin d’une liste invités, la clientèle d'habitués figurerait au rendez-vous. D’ailleurs, ce soir là, alors que j’embrassais goulument Damien, clichés du Body-builder bête comme un pied, je sentis une main hésitante me tapoter l’épaule. Rien de tel pour m’énerver. C’est au ralenti que je pivotais ma nuque pour plonger mon regard assassin dans le sien. Répondant à son instinct de survie sociale l’enquiquineur recula de trois pas.

Je ne sais comment l’expliquer, mais la détresse peinte sur son visage, amoché par le souci, me fit dessouler illico. Vu le prix de sa montre, il devint digne d’intérêt. Alors j’ordonnai à Mister fitness de ne pas bouger , puis j’invitai ce cher monsieur à me suivre. Nul besoin de se frayer un passage, la marée de créature nocturne, comme poussée par mon charisme, se scinda telle la mer rouge pour Moïse. Ce respect, cette terreur et ce désir que j’inspirais m’étaient encore incompréhensibles, mais j’adorais ce sentiment de puissance.

Le seul endroit suffisamment calme pour discuter se trouvait au sous-sol, juste à côté des toilettes. Du regard, je cherchais Pascal, l’intervenant de l'association AIDES, qui racolait des volontaires pour un dépistage HIV rapide. Après les politesses d’usage, j’empruntais les clefs du cafoutche mis à sa disposition. Enfin, ma curiosité allait être satisfaite. Cette promiscuité m’étouffait, mais bon… Déjà une minute que nous étions installés, le bonhomme ne pipait mots. Son intérêt pour ma personne me faisait perdre un temps précieux d’amusement. Las de poireauter, je pris les choses en main :

— Que puis-je pour toi ?

Après avoir respiré à plein poumon, le gars débita.

— Je suis employé d’un bordel clandestin et je n’ai pas reçu de salaire depuis maintenant trois mois.

En cet instant, comme n’importe qui l'aurait fait, j'observais son physique en me disant qu'il ne pouvait sans doute pas tarifer ses prestations à un montant très élevé. Mon interrogation du se peindre sur mon faciès puisqu’il ajouta :

— Je suis le bras droit du dirigeant.

— Qu’attends-tu de moi ? Je ne suis pas certain que les prud’hommes puissent te donner réparation.

— Le procureur m’a contacté afin de témoigner contre Monsieur X, en échange d’une peine minimale. Je voudrais en faire part au boss sans risquer ma vie.

— Je ne suis avocat que depuis trois heures, je n’ai même pas les accréditations nécessaires.

— Un ami dont je ne puis révéler le nom m’a assuré que vous seriez l’homme de la situation.

— Il faut comprendre que commencer ma carrière en m’associant au banditisme ne m’apportera que des inconvénients. Seuls de confortables honoraires pourraient solutionner cela.

— Quel est votre prix ?

Pragmatique de nature, je pris le temps de réfléchir, car, durant notre conversation j’avais longuement étudié le personnage : son inquiétude et son manque de confiance n’étaient que simulacre. Sous le pli de sa veste, une arme se dessinait avec trop de précision pour que ce ne soit pas volontaire. Avec l’espoir qu’il refuse de m’engager, j’annonçai un montant faramineux.

— Deux millions d’euros compenseront aisément les désagréments.

Moi qui pensais lui faire sortir les globules oculaires des orbites, je restai estomaqué par son sourire satisfait. Sans un mot, il dégaina son téléphone ; trois secondes plus tard, le mien vibrait : une notification de la Société Générale. Le gars venait de me faire un virement immédiat de la somme exigée. Sur le coup je n’ai pas tilté, abasourdi par la nouvelle. Maintenant que la transaction se trouvait opérée, le bougre me parut plus sûr de lui, voire carrément charmant. Il me tendit sa carte de visite.

— On s’appelle demain pour les détails.

Il franchit la porte sans me donner plus d'explication . Je remontai les escaliers inquiet de ce qui allait en découler, et déjà enchanté du futur appel matinal de mon banquier, qui me tannait pour mes retards dans les mensualités de mon prêt étudiant. Un pied sur un nuage et l’autre dans les flammes de l’enfer, j’en oubliais la fiesta.

“Comment à-t-il obtenu mon RIB ?” était l'unique question me trotant dans la tête.

Une fois hors du Cancan, je descendis la Cannebiere jusqu'au Vieux-Port. Le cul posé sur la pierre froide, les godasses flottant au-dessus de la vase méditerranéenne je me perdis dans le firmament à guetter le lever du soleil.

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