Chapitre 2 : Assassin de l'impératrice (2/2)

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— Nos désirs sont les vôtres, ô adorée impératrice, louangea la capitaine.

— Relevez-vous, ordonna Bennenike. Vous êtes davantage que des sujets. Vous avez dépassé ce stade il y a fort longtemps.

Respect et humanité s’accordent à sa puissance. Les deux femmes se relevèrent aussitôt, non sans fixer leur impératrice avec profondeur, laquelle caressa son animal derrière les oreilles.

— Innocent d’apparence, et pourtant fourbe, jugea-t-elle. Bistet a l’allure d’un charmant animal, il s’avère d’une fidélité remarquable. Il faut cependant se méfier de ses griffes et de ses morsures.

Bennenike se leva et son chat s’éclipsa dans les miaulements. Il ne demeurait plus que trois humaines pour discours dans le vide d’une salle résonnante.

— Je vous ai amené Nafda, rapporta Badeni. Souhaitez-vous que je me retire pour que vous puissiez vous entretenir seule avec elle ?

— Pourquoi donc ? rétorqua l’impératrice. Tu mérites de connaître chacun de mes projets, Badeni. Et la formation de Nafda en fait partie.

— Une noble quête l’attend, je suppose ? Une mission solitaire à coup sûr. Sachez que j’ai jubilé devant l’exécution de Dioumekai. J’espère que ses victimes sauront se remettre de ce traumatisme.

— Je m’en assurerai. D’autres exécutions attendent. Aurais-tu l’amabilité de t’écarter ? Même si tu peux rester, bien sûr. Il est important que je me situe bien face à Nafda.

J’en frissonne d’avance. Badeni obtempéra : seule la silhouette de l’impératrice obombra alors Nafda. Elle continua d’observer Bennenike, dans l’attente de son destin, d’une volonté à réaliser.

— Te sens-tu prête, Nafda ? demanda la despote.

— Oui, maîtresse, affirma la jeune femme sans une once d’hésitation.

— Voilà six ans que je t’ai recueillie. Tu étais une enfant des rues. Une rejetée du système.

— Je ne veux pas m’appesantir sur mon passé. Il m’a construit, mais il ne me définit pas. C’est mon avenir qui importe.

— Bien dit. Aujourd’hui, tu n’es plus la même. Je t’ai entraînée. Je t’ai vue grandir. Tu es devenue mon assassin personnelle.

— C’est avec grand honneur que je porterai ce titre.

Un sourire résolu se dessina sur le visage de Bennenike. Sous sa cape se glissait l’instrument d’une justice à rétablir. Une dague en acier trempé, à la courbure inégalée, tournoya entre ses doigts. D’un geste elle le stabilisa, après quoi elle posa la pointe sur le bout de son majeur. Un autre rituel étrange. Mais celui-là m’est directement lié. Une tache vermeille germa sur la peau de l’impératrice. Elle la transmit à sa protégée par le front et esquissa un mince contour jusqu’à son nez.

— Nous sommes liées par le sang, déclara-t-elle. Lorsque les félons rencontreront leur destin, lorsqu’ils regretteront leur impureté, ils comprendront. Que tu les abats en mon nom. Que tu es une extension de ma personne.

Une lueur brilla dans les yeux de Nafda. Sa maîtresse saisit une seconde dague identique et tendit les deux à son apprentie qui s’en empara aussitôt. Des étincelles d’admiration fusèrent autant en elle que chez la capitaine. Point de jalousie autour d’objectifs dissemblables, toutefois Badeni enviait les perspectives de l’assassin. Elle s’abstint de commentaire et se limita à lorgner la scène.

— Tes armes, présenta Bennenike. Ne t’en sépare jamais. Elles étendront ton être, tes intentions, ta puissance. Elles se repaîtront du sang de tes victimes. Utilise-les en abondance, mais toujours avec sagesse.

— Je m’exécuterai selon votre souhait, promit Nafda.

— Ces dagues possèdent la même particularité que celles de la milice. Conçues par d’ingénieux esprits, elles vibrent en proximité de mages. Tu sais comment ils doivent finir chaque fois que tu en repères un.

— Entendu. Ai-je besoin d’autre chose ?

D’un pas vers l’avant Badeni s’imposa dans la conversation, sollicitant tant l’impératrice que l’assassin.

— Doit-elle utiliser la même potion que les miliciens ? demanda-t-elle.

Des sillons se creusèrent sur la figure de Bennenike comme elle se pinça les lèvres. Elle saisit une dizaine de flacons de sa ceinture dans laquelle flottait un liquide d’un bleu profond. Ha oui, cette potion ! Je la reconnais. Elle me l’avait faite goûter afin de voir quels effets elle avait sur moi.

— Mes alchimistes ne me déçoivent jamais, déclara l’impératrice. Leur science surpasse mes attentes et prouve l’inutilité de la magie.

— Aurai-je assez en réserve ? fit Nafda.

— Au besoin, les ingrédients pour la concocter sont aisés à trouver. Sinon nous n’aurions jamais réussi à en produire massivement pour nos miliciens. Et puis, ma chère Nafda, tu es une assassin, pas une guerrière. Peut-être te confronteras-tu à certains mages en combat singulier, mais j’escompte que tu les égorges discrètement, auquel cas cette potion ne te sera pas requise.

— Il est vrai.

Une vague de satisfaction emplit l’assassin pendant que sa maîtresse plaçait les flacons dans son sac déjà rempli de provisions. Après quoi Bennenike se tourna de nouveau vers sa protégée, et elles se fixèrent avec résolution.

— Par où dois-je commencer ? demanda Nafda.

— Impatiente, je constate ! s’exclama Bennenike. Je te comprends, tu as longtemps attendu cette consécration. En effet, je n’ai jamais douté de ta capacité à assassiner, ni de tes talents de pistage. Les premiers mois d’application de la loi ont éradiqué ces impurs mages de l’empire. Cependant, même si beaucoup trop se sont exilés mes réseaux d’espions ont révélé qu’un certain nombre a l’audace de toujours résider à l’intérieur de ces terres, et davantage dans les régions ouest. Or le moindre survivant échappant à notre contrôle représente toujours une menace.

— Attendez ! interpella Badeni. Si je puis me permettre, cela signifie que notre rôle dans la chasse aux mages est devenu caduque ?

— Pas exactement. Disons plutôt qu’après toutes ces années, votre tâche doit se diversifier. Vous êtes efficaces pour éliminer les grands groupes, mais Nafda a pour but de traquer les cibles isolées.

Le sourire de l’assassin s’élargit à cette mention. Il me tarde de dégainer. De les égorger un à un.

— Ta première cible sera Panehy Saitomon, révéla-t-elle. Il s’est réfugié sous un faux nom dans les faubourgs de la cité de Nilaï, au sud des chaînes montagneuses d’Ordubie. Un espion viendra à toi quand tu auras pénétré dans la ville et te confiera toutes les informations nécessaires.

— Tout ceci me paraît aisé, se permit Nafda.

— Ce ne sera qu’un début. Et puis, si Panehy a échappé longtemps à notre vigilance, c’est parce qu’il est un survivant chevronné. Le tuer te mènera aux autres mages cachés, d’une manière ou d’une autre. Après tout, il n’est que la surface d’émergée d’une population encore plus dissimulée, que mes espion peinent à détecter. Toi, en revanche, j’ai confiance en tes talents. Tu les trouveras. Tu les élimineras jusqu’au dernier.

— Je m’y efforcerai, maîtresse.

— Je n’en doute pas. Une dernière suggestion : n’hésite pas à le faire souffrir. Toujours avec propreté, bien sûr.

— Je décèle d’ici votre rancœur à son égard.

— Comme chacun des mages. Celui-là, en particulier, était un ami de mon père. Derrière ses sourires de façade et sa prétendue générosité se cache un homme aux intentions malfaisantes. Si mon prédécesseur n’a jamais osé m’avoué quel rôle précis il exerçait dans la société, c’est qu’il dissimulait bien d’inavouables secrets. Libre à toi de lui soutirer quelques aveux… Je t’accorde ce plaisir.

Nafda hocha encore de la tête, plus assurée que jamais dans sa noble quête.

— Des provisions pour ton voyage sont installées dans ta chambre, dit Bennenike. Profite d’une bonne nuit de sommeil avant de t’engager sur la voie. Ne me déçois pas, Nafda. Tu représentes l’avenir de l’empire.

— Bien, maîtresse.

Dagues à ses ceintures, convictions ancrées en elle, Nafda salua une dernière fois sa maîtresse avant de faire volte-face. Devant elle s’érigeait la vastitude d’un territoire à explorer. Devant elle des proies qu’elle trépignait à l’idée de les pourfendre.

Ainsi débute ma traque. Je serai l’assassin de l’impératrice.

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