Chapitre 25 : La cité de toutes les promesses (2/2)

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Des centaines de bâtiments se déployèrent tout autour d’eux. Grès et granit pavaient les routes tandis que des parements de pierre polie composaient les murs. Par-dessus les façades garnies et les assises horizontales, des pierres formaient des architraves et joignaient des piliers entre eux, lesquels soutenaient les murs. Un auvent surmontait une large portion des habitations. Ingénieux ! Les rayons du soleil s’y infiltrent, et avec elle la brise venue de la mer ! Maintes teintes chaudes luisaient sur chaque pan, pour un ensemble bariolé. Ici la lumière semblait vénérée, comme des fenêtres aux multiples formes perçaient des sols aux toits, comme elle miroitait dans toutes les directions.

Difficile de voir toutes les influences… Jizo dénotait certaines disparités par rapport à Nilaï, mais ne les détailla pas outre mesure. Si ses amis contemplaient également ces constructions, ils s’y attardèrent peu, car leur priorité se situait ailleurs.

Bien vite se retrouvèrent-ils mêlés dans l’affluence. Les affirmations de Bakaden se trouvèrent fondées, car une grande variété de citoyens peuplait Doroniak, coalisée dans un ensemble hétérogène, répartie dans une liste aussi vaste de métiers. Ce qui frappa Jizo, outre l’incalculable nombre de convois, était la manière dont toutes les classes sociales se mélangeaient. D’ordinaire les riches et les pauvres vivent dans des quartiers distincts. Ils se confondent, ici… Peut-être juste d’apparence. Peut-être que, même s’ils habitent si près les uns des autres, ils ne sont pas réellement en contact. Il s’abstint alors de réflexions supplémentaires et s’accorda à la preste démarche d’Irzine. Même avec son masque, elle n’attirait guère l’attention de la foule, trop occupée dans ses préoccupations individuelles.

Au-delà du tumulte, au-delà de cette incoercible succession de dialogues, le groupe trouva aisément ses repères. Or retentissait une voix bien plus puissante que les autres. Elle provenait de leur gauche, là où les humains s’écrasaient davantage face à l’architecture. Un véritable temple s’érigeait, fort de proportions inégalées, splendeur d’antan et du présent. Des marches en albâtre conduisaient à un immense portique, le long de laquelle s’imposaient des pylônes de nuance turquoise.

Aucune des grandes portes incurvées ne semblait accessible au public, mais se rassemblait une dizaine de fidèles. Tous étaient bercés par la bonne parole d’un homme encapuchonné, habillé d’une robe orange effilé, bras tendus et pieds fixés sur un socle de marbre. Une statue d’une grande femme ornée d’une cape et à l’épaisse chevelure à pointes bouclées dominait derrière lui.

— Louée soit l’impératrice ! prêcha-t-il. Elle est notre sauveuse à tous. Elle œuvre de tout son être pour éradiquer la guerre, la famine, la pauvreté ! Maudits soient ses opposants, trop bornés pour réaliser ses bienfaits, sa contribution à la grandeur de l’empire ! Bennenike n’est pas qu’une humaine, n’est pas qu’une dirigeante, elle s’est hissée bien au-delà ! Et pour cela, elle mérite notre reconnaissance éternelle !

Les mêmes fidèles répétèrent son nom en alternance avec le prêtre. Cependant, plusieurs citadins les foudroyèrent du regard, d’aucuns se mirent même à les bousculer. Ils résistèrent malgré tout, mus par les insistances du parolier, ancrés dans leurs convictions. Tel était l’image que le groupe garda au moment de s’engager vers la rue suivante.

— L’impératrice impopulaire ? blasonna Irzine. Peu commun dans cette contrée.

— En effet, corrobora Nwelli. Le culte de Bennenike est encouragé partout sur le territoire. Doroniak ferait-il exception ? Ça ne devrait pas trop plaire au pouvoir…

— Si jamais il y a collision, nous serons déjà partis. Qui sait, il s’agit peut-être d’une tendance récente, depuis que Bakaden a été élu. Leur nom ressemblant est-il une coïncidence ? Tandis qu’ils cheminaient en silence, désormais immergés dans cette densité, Jizo jeta un regard en arrière afin d’apercevoir la statue de l’impératrice sous un autre angle. Une fois encore, Maîtresse Vouma choisit le moment le plus inopportun pour apparaître.

— Hé, moi aussi j’aimerais une statue en mon honneur ! s’exclama-t-elle. Quelle chance a l’impératrice d’avoir autant de fidèles à ses pieds… Bah, une seule personne me suffit, surtout quand elle s’appelle Jizo.

À directives imposées, yeux orientés ailleurs et tête relevée, Jizo se préserva d’une superfétatoire intervention. Mais Vouma n’en démordit pas et marcha à ses côtés des minutes durant avant de disparaître. Le répit s’avèrera encore temporaire.

Un parfum salé s’amplifia au gré de leur avancée. Soudain les hauts bâtiments cessèrent de les cerner. Au lieu de quoi un quai les supplanta, là où se mêlaient dockers, commerçants et artisans. Jamais Jizo n’avait entrevu une telle vastitude de bateaux, amarrés à ras des digues, capables de transporter des dizaines de personnes et une quantité inimaginable de marchandises.

— On a le choix, au moins ! se réjouit Larno.

— Un peu trop…, fit Irzine. Mais combien accepteront de nous conduire jusqu’aux îles Torran ?

— Demandons, et nous saurons ! proposa Nwelli.

— Il faudra beaucoup de temps pour interpeller chaque capitaine…, envisagea Jizo.

— Trouvons-en un qui se démarque ! dit la femme masquée. Oui, mais qui ?

— Là-bas, regardez ! signala l’enfant.

Un groupe se formait, courait vers l’une des plateformes boisées, sur laquelle des marins portaient un vif intérêt à la même scène. Jizo peina d’abord à se repérer, notamment à cause d’une petite fille assise sur les épaules de son père. Il suffit d’un rien pour mettre une foule en effervescence ! Il se joignit dès que possible à la multitude, là où acclamations et tollés s’opposaient.

Le premier concerné s’enrichissait du soutien dédié. Sa peau ivoirine surprenait peu dans une telle ville, tout comme la rousseur de ses cheveux et de sa barbe tressée. Deux tatouages en forme de pics s’incrustaient sur ses avant-bras : il les exposait sans aucune gêne. De puissants muscles saillaient de sa chemisette azur, pareil à ses épaisses cuisses enfermées dans un pantalon bouffant à rayures, soutenu par des bottes massives. Même sa ceinture n’était pas entièrement bouclée.

En face de lui se dressait une jeune femme, poing contre les hanches. De teint basané, d’yeux marrons, ses mèches de jais étaient nouées par un foulard smaragdin, et oscillaient à périodicité similaire que ses boucles d’oreille argentées. Une blouse pourpre à manches courtes lui seyait autant que son pantalon écru à laçages, replié à hauteur de ses chevilles qu’atteignaient ses bottines en cuir. Toujours gardait-elle un doigt sur le pommeau de son poignard courbé.

— Tu ne serais pas un peu intruse ? apostropha l’homme.

— Et à qui ai-je l’honneur ? répliqua la femme.

— Geigder E’Lorth lui-même ! Capitaine du Vaillant Transporteur, ce magnifique navire à trois voiles qui embellit la côte juste derrière moi !

— Je suis censée être honorée de m’adresser à toi ? Puis, admettons que tu sois le meilleur marin des environs, en quoi aurais-tu l’autorité de m’arrêter ? Puis le nom de ton bateau est quand même sacrément banal…

— Ta réputation te précède, Nidroska la dompteuse de marées ! Tu n’as pas inventé ce surnom, par contre tu as appelé ton équipage Les maîtres de la mer, preuve de ton orgueil démesuré. Mais le problème, Nidroska, c’est que tu es une pirate.

Geigder bomba le torse avant de dresser le poing, sans doute pour s’attirer davantage les faveurs du public.

— Et on n’apprécie pas trop les pirates, reprit-il.

— Parle pour toi ! rétorqua Nidroska, arquant un sourcil. Toi qui es bien renseigné, tu devrais savoir que Bakaden m’a autorisé à accoster à Doroniak de temps en temps, tant que je laisse de la place pour les navires officiels, et que je ne pille rien, bien entendu. Notre réputation peut être trompeuse : tous les pirates ne sont pas des hommes et femmes sanguinaires, assoiffés d’argent, tuant et violant dans les villes portuaires. Certains aspirent à la vraie liberté maritime. C’est ce que mon équipage propose.

— Les marins ne sont pas libres, selon toi ? Que tu foules cette digue, passe encore, mais je n’apprécie pas trop que tu croises mon chemin.

— Je suis là et je ne blesse personne.

— Tu dois être digne ! Pour ça, je te propose de passer l’épreuve de la boisson.

— Connais pas. Encore une invention saugrenue de marins ?

— Et ça prétend connaître la vie maritime… Le principe est simple : on s’assit autour d’un tonneau, on se sert deux chopines de bon alcool, on avale cul sec. Si on s’écroule ou on vomit, c’est perdu, on est couvert de honte. Sinon, c’est la victoire, et on est auréolé de gloire ! Tu es partante ?

— Et comment ! Ça ne m’a pas l’air bien difficile.

Tous deux hochèrent la tête. Pas qu’une politique différente, c’est tout un mode de vie différent, ici ! Je ne reconnais pas leurs accents… C’est sûrement dû à mon manque de perspective sur le monde dans son ensemble. Bon gré mal gré, Jizo se fondit comme tout un chacun dans cette atmosphère. Parmi cette affluence enthousiaste germèrent de nouveaux applaudissements couplés de sifflements. Pendant ce temps, Geigder héla une matelote qui apporta aussitôt un tonneau, quatre chopines argentées et une vétuste bouteille poussiéreuse, qu’elle posa sur le support adéquat. Geigder se chargea lui-même de servir la boisson.

— Un rhum ambré, ma foi fort alcoolisé ! présenta-t-il avec un soupçon d’admiration. Toujours prête ?

— Inutile de demander ! fit Nidroska.

Ils s’enfilèrent le breuvage exquis. À peine les ovations s’étaient intensifiées, à peine s’était écoulé une fraction de secondes, que déjà les contenants étaient vides. Nidroska éructa tandis que Geigder se frappa le buste, mais aucun des deux ne dégobilla. Comment font-ils ? Ce doit être écoeurant de boire ça ! C’est à se rendre malade…

Dans leur lancée, les capitaines se relevèrent et rirent aux éclats, l’un comme l’autre massivement salués par la foule.

— Je t’ai mal jugée, Nidroska ! s’excusa Geigder. Comme quoi, tu mérites de fouler la même digue que nous !

— Tu as bon goût en matière d’alcool, Geigder, complimenta Nidroska. Ne te tracasse pas, je m’enfile une chope tous les soirs avant de pieuter. Ça m’aide à me maintenir en forme. On refait cette épreuve quand tu veux ! Je me suis juste peut-être assez donnée en spectacle aujourd’hui.

Un sourire malicieux embellit les traits de la capitaine, pour qui divertissement avait été octroyé. Elle s’en alla d’une démarche chaloupée, embarquant avec elle un homme et une femme d’équipage, enroulant ses bras autour de leur taille. Geigder, pour sa part, rapporta les chopines vides vers les autres matelots. Au ravissement de chacun succéda naturellement la sérénité ambiante, aussi les citoyens reprirent leur activité quotidienne.

— C’est le moment, décida Irzine. Geigder semble être un bon bougre. Peut-être qu’il acceptera de nous aider.

Sans attendre l’accord des trois autres, Irzine appela le capitaine. L’interpellé fit donc volte-face et examina chacun des membres du groupe. Lui ne s’attarda pas sur la femme masquée, au contraire de beaucoup, plutôt sur Larno avec forte insistance.

— J’ai comme l’impression que vous voulez quelque chose de moi, devina-t-il.

— Pouvez-vous nous conduire aux îles Torran ? demanda Larno.

— Euh… Là, tout de suite ? J’ai des obligations. Il m’arrive de transporter des cargaisons jusque là-bas, mais c’est assez rare. La loi de l’offre et de la demande, vous voyez.

— On est prêt à attendre !

— Ce n’est pas l’unique souci, petit. Tu viens sans doute de ces îles, et tu aimerais retrouver ton foyer. Mais voilà, je suis un marin, pas un sauveteur, et je ne travaille pas gratuitement. Si j’accepte de vous embarquer, il faudra y mettre de l’argent…

— Nous saurons vous en avancer, garantit Irzine.

— Vous êtes sûrs ? Je ne veux pas être méchant, mais les voyageurs paumés sont rarement riches. Ou alors votre but est de gagner de l’argent ici… Doroniak aide à réaliser les rêves, mais celui-là ne serait-il pas un peu fou ?

— Nous nous débrouillerons…

— Si vous le dites… En tout cas, notre navire est en permission pour un moment. Bonne chance.

Irzine salua le marin avant d’entraîner ses compagnons dans un autre côté de la digue. Ils ont réquisitionné les pierres précieuses… Quelle malchance ! Ils s’adossèrent contre un mur, à l’écart de la population, où ils pourraient converser en paix. Un endroit propice où Irzine se mit à pester.

— Pas d’impolitesse ! corrigea Nwelli. Tout espoir n’est pas perdu.

— C’aurait été trop simple, dit Irzine. Aucun capitaine n’acceptera de nous prendre par altruisme.

— Et Nidroska ? proposa Larno. Elle n’est pas dans les règles, elle !

— Sympathique ne veut pas dire généreuse. Puis ça reste une pirate… Pourquoi elle accepterait ?

— Je ne sais pas, mais ça ne coûte rien de demander !

— Peut-être… La priorité, c’est de se reposer, la journée a été rude. Espérons qu’on ait assez d’argent pour payer l’auberge !

La pointe d’ironie ne suscita sinon des regards évaporés au lointain. En particulier, Jizo se crispa, sentant Maîtresse Vouma lui malaxer les épaules.

— Je connais un lieu idéal pour bien gagner sa vie…, suggéra-t-elle. Jizo, ton corps est à moi, mais j’accepte de le partager avec d’autres femmes si c’est pour la bonne cause. Si leur bourse est bien remplie. Ce serait loin d’être déshonorant pour toi. C’est dans ta nature !

— Assez ! hurla Jizo.

Larno bondit d’un coup tandis que Nwelli et Irzine manquèrent de sursauter. Contre un cœur au rythme accéléré s’inscrivait la perplexité de ses amis. Je ne peux plus endurer ça tout seul… Je ne peux plus…

— Tu as besoin de repos ? fit Irzine. Je crains le pire…

— Ça ira…, mentit Jizo. Je vous raconterai mais pas maintenant. Il y a d’autres priorités.

— Jizo…, murmura Nwelli, lèvres et yeux plissés. Tu peux tout me dire, tu le sais ?

— Oui… Quand les circonstances seront meilleures. Et j’ignore quand ce sera le cas.

Confus, les voyageurs partirent en quête de repos, après un long voyage qui les avait exténués. Une auberge apparaîtrait comme une aubaine.

Le séjour à Doroniak se révèle déjà plus long que prévu…

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