Chapitre 26 : Délivrance et rétribution (1/2)

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NAFDA


Mon existence va s’achever ainsi ? J’aspirais à mieux…

Suspendue par des cordes usées, penchée au dépérissement de ses fiertés, baignée dans la plus pure obscurité. Un remugle persistait dans cette exiguïté et s’évertuait à contaminer ses narines. Je m’y étais pourtant accoutumée ! Des brûlures affectaient ses membres engourdis même si elles ne s’insinuaient pas en profondeur. Parfois des gargouillements nouaient son estomac : cette sensation s’intensifiait quand elle se rappelait la proximité des provisions. Au moins sa gorge n’était pas sèche.

Nafda, tu vaux mieux que ça ! Tu as occis des célébrités dans le milieu des mages, seulement armée d’une paire de dagues ! Agile, rapide, vigilante. Bien sûr, je m’attendais à me heurter à des ennemis de taille, à m’engager dans des combats difficiles. Mais je n’étais pas censée perdre, pas une fois de plus, pas de façon humiliante !

Forcer sur ses poignets engendra une autre pointe de douleur. Son sang était tant monté qu’elle avait réalisé la vacuité de sa tentative, aussi relâcha-t-elle, aussi inspira-t-elle dans l’espoir d’une fraîcheur envolée. Alors ses nerfs se serrèrent davantage.

Me serais-je surestimée ? C’est bien possible… Bennenike m’a appris à toujours être sûre de moi, car l’hésitation menait souvent à l’échec. J’ai été formée pour tuer. Je suis une arme vivante. Mais une arme se rouille, s’affaiblit si mal entretenue. L’entraînement est différent de la pratique. Peut-être qu’au fond, je n’étais pas prête. Cet emprisonnement me sert donc de leçon.

Elle ne bougeait plus. Elle n’observait plus. Nafda se cantonnait à subir son existence, dans l’attente d’une prochaine visite. Chacune d’elle pouvait être la dernière. Consciente de cette réalité, la prisonnière se préparait, énumérait l’ensemble de ses victimes dans sa tête. Même cela s’avérait insuffisant à l’apaiser.

Je suis condamnée. Même si, par miracle, je parvenais à m’échapper, l’entrée est verrouillée par un dispositif magique. La seule solution serait de prendre un mage en otage et de l’obliger à m’ouvrir… Mais comment ? Ils sont tous regroupés !

Nafda cessa de gamberger. Penser de trop devient un autre supplice. Elle s’enfonça dans la monotonie de la captivité. À telle condition subie s’éternisait le temps perçu. Des heures à patienter, immobile, esseulée, à l’inverse même de la liberté. Qu’on m’achève. Qu’on me renvoie à la lumière.

Soudain brilla par chiches filets cette lueur si désirée. Chouette, un autre interrogatoire, une autre séance de torture. Au moment où l’on éclaira la pièce d’une sphère incandescente, Nafda écarquilla les yeux. C’était la première fois que Bérédine se présentait sans Khanir. Dans ses mains était enroulées une cape et une capuche.

— Tu viens me torturer sans l’aval de ton maître ? soupçonna l’assassin.

— Non, réfuta la mage. Je ne regrette rien, ce n’était que justice après tes meurtres. Mais ta place est ailleurs.

— Attends un peu… Qu’est-ce que cela signifie ?

— Que je vais te libérer.

Nafda faillit s’étouffer. A-t-elle trop ingurgité d’eau-de-vie ? Cela ressemble à un piège. Néanmoins, elle s’efforça de ne pas le montrer, au risque de se décrédibiliser.

— J’avoue avoir du mal à comprendre…, douta-t-elle. Mes brûlures témoignent de ton allégeance, mage. Pourquoi ce revirement ?

— J’obéissais à Khanir, expliqua Bérédine. Une mauvaise idée.

— Je ne te trouve pas très claire. Il y aurait donc des conflits même au sein des mages. Seriez-vous déloyaux à ce point ?

— Je respecte Khanir, je l’aime de tout mon cœur ! Mais je dois aussi arrêter de me mentir à moi-même. Mes sentiments ne sont plus réciproques. Il est content d’avoir deux femmes dans son lit, jumelles de surcroit. Avec le temps, il m’a juste prouvé qu’on ne peut pas aimer deux personnes avec la même intensité. Il n’ose pas avouer qu’il préfère Médis, et se sert de mon amour pour m’exploiter. Te faire souffrir n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

— Donc tu me libères par jalousie ? Mon indépendance contre une simple querelle de cœur ? Je crois rêver.

— C’est plus complexe que ça. Un changement doit être opéré au sein de notre groupe.

— Il y a certains intérêts dans cette histoire. Je me disais bien…

— Nous en sortons tous vainqueurs.

— Justement, c’est un problème. Je suis prête à me sacrifier pour empêcher les mages de triompher.

— Ne meurs pas trop vite. T’achever ici serait contre-productif. Pour sûr, tu as assassiné plusieurs des nôtres, mais notre colère mis à part, tu n’es pas plus dangereuse qu’un milicien ordinaire.

Là encore Nafda se retint de jurer. Elle essaie de m’humilier ? Comment puis-je être aussi rabaissée, comparée à des partisans moyens ? Cette Bérédine ne me place pas en haute estime. Elle foudroya la mage du regard au moment où celle-ci dénoua les cordes.

— Je n’ai pas le choix, alors ? fit Nafda.

— Tu rejettes ta liberté ? ironisa Bérédine.

— Tu pourrais me tuer quand j’aurai le dos tourné. Déguiser ma mort en accident.

— Ce qui n’aurait aucun intérêt. Tu vas expliquer encore que tu n’as aucune confiance aux mages, tellement nous sommes fourbes, tellement nous souhaitons plonger l’empire dans le chaos. Je vais te prouver le contraire. Tu as besoin de moi, même si tu ne veux pas l’admettre. Sinon comment sortirais-tu de ce repère ?

M’imposer ma liberté. Quelle ironie. Dès lors accrochée aux paroles de la mage, Nafda ressentit des frissons tout le long de son corps. Elle manqua de chuter à terre mais se rattrapa à temps, époussetant ses vêtements une fois debout. Sans doute le sang circulait avec fluidité sur son corps, et bientôt cette torpeur constituerait une mauvaise réminiscence. En attendant, des fourmillements envahissaient encore ses jambes, ce pourquoi elle se déplaça avec lenteur.

— Enfile cette tenue, exigea Bérédine. Il est tard, mais des mages rôdent à toute heure dans cette base. Mieux vaut donc être cachée, sinon tout ceci n’aurait rimé à rien.

Nafda acquiesça et se vêtit afin de cheminer en tapinois. Un froncement de sourcils précéda le geste sans qu’elle émît une remarque. Au lieu de quoi elle suivit Bérédine dans ses allées teintées d’obscurité, dans ce domaine où le flux tourbillonnait de pleine aise.

M’encapuchonner était-elle la meilleure des idées ? Nafda et Bérédine croisèrent peu de mages dans cet enchevêtrement de couloirs. À chaque occurrence, elles optèrent pour accélérer la cadence, de quoi détourner toute curiosité mal placée. Les mages sont à découvert. Je serais même intruse dans n’importe quelle foule. Le contexte est particulier, autant ne pas gagner la confiance.

Alors atteignirent-elles un lieu connu. Là où Nafda avait répandu le sang. Là où, dans sa tentative d’infiltration, la purification de mages s’était poursuivie. Depuis lors, les pans de murs avaient été réparés, le liquide vermeil séchait, le souvenir demeurait.

Une opportunité s’ouvrit au dévoilement de la porte. Surveillée des jours durant, traversée en un éclair, Nafda espérait une sortie tout aussi véloce. Elle comme Bérédine lancèrent un ultime regard derrière elles.

— Nos chemins se séparent ici, affirma la mage.

— Mais quand la porte s’ouvrira…, envisagea Nafda. Ça ne fera pas du bruit ?

— J’essaierai de le réduire à son maximum. Ce n’est plus ton problème, Nafda.

— Je peine toujours à comprendre la pertinence de ta démarche…

— Nous avons chacun nos problèmes à affronter. Fonce sans regarder derrière toi et tu seras tranquille.

Alors que Nafda s’apprêtait à partir, Bérédine lui tendit ses deux dagues dont elle se saisit aussitôt, les admirant comme des précieux trésors.

— Tu me rends même mes dagues ? s’étonna-t-elle. Sais-tu que c’est grâce à ces armes que je vous ai trouvés ? Je pourrais même te transpercer la poitrine à l’instant.

— Si je ne te les avais pas rendues, expliqua Bérédine, tu te serais réfugiée auprès de ton impératrice pour qu’elle t’en fabrique d’autres. À quoi bon ? Nous ne saurons jamais tous vous combattre… Que nos chemins ne se croisent plus jamais, auquel cas nous regretterons toutes les deux ta libération. Adieu, Nafda.

En un instant, le repaire s’apparenta à une souffrance du passé. Un voile se généra derrière l’assassin, et au rythme effréné de ses pas disparurent les voies souterraines.

Nafda goûtait de nouveau à l’air libre. Jamais n’avait-elle autant apprécié le vent frottant sa peau, mêlée à ce doux parfum boisé, sous cette voûte nocturne piquetée d’étoiles. Si fluide dans ses mouvements que brûlures et meurtrissures lui parurent secondaires.

Quand une pointe lancina sa poitrine, Nafda sut que répit était réclamé. S’appuyer sur un tronc strié de mousse lui chatouilla les bras, le long desquels s’écoulèrent alors de la rosée. Elle put pleinement tendre s’immerger dans les environs : tant les bruissements que les sifflements s’amalgamèrent en mélodie. Même en dominant l’étroitesse d’allées internes, même en se glissant dans l’opacité, l’assassin savourait davantage les foulées nocturnes au sein des terres sauvages.

Tes intentions étaient sibyllines, Bérédine. Quoi qu’il en soit, peu importe ta bonté d’âme, tu restes une mage, et ta seule possible de rétribution est de mourir par ma lame, comme tous tes homologues. Ce ne sera peut-être pas aussi simple, cela dit. L’entrée de votre repaire est bien gardée, et l’opportunité qui s’est présentée à moi ne se représentera peut-être pas une seconde fois. Je trouverai une solution. Je saurai être patiente.

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