Chapitre 25 : La cité de toutes les promesses (1/2)

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JIZO


— Cité en vue ! annonça Larno.

Déjà ? Le temps s’est écoulé plus vite qu’escompté. Guidé par le bringuebalant chariot, Jizo tapota son amie somnolente. Entre deux gémissements s’éveilla Nwelli, pas même sensible à la clarté de l’aube, décrochant un bâillement des plus indiscrets.

— C’est impressionnant…, s’étrangla-t-elle, pantoise.

— Doroniak est une très vaste cité, expliqua Irzine. Un joyau de la civilisation myrrhéenne. Mais son mérite n’appartient pas qu’à l’empire. Le contraire aurait été étonnant, étant donné son ouverture au reste du monde.

Peut-être eussent-ils voulu se pâmer. Ils optèrent cependant pour une simple contemplation comme ils s’approchaient progressivement des murailles. Mais… Est-ce un lieu militarisé ? De telles protections se méprenaient en effet à une forteresse, striées de multiples tours que couronnaient des créneaux, où flottaient des drapeaux écarlates. Un pylône surmontant un voile y était représenté en lieu et place de la goutte par-dessus les vagues. Trop de symboles… Je m’y perds. Par-dessous ces fondations en brique crue s’étendaient des fossés, le long desquels s’écoulait de l’eau. Rares étaient les petits ponts menant à une entrée, aussi durent-ils bifurquer vers une voie plus accessible.

— Intéressant, commenta Irzine. Ils ont creusé pour irriguer l’eau de la mer jusque-là, pour bâtir une protection supplémentaire ? D’habitude on utilise les fleuves. Ils ont sûrement mis au point un système ingénieux.

— Merci pour la visite guidée, Irzine ! ironisa Larno.

— Ne cachons pas notre enthousiasme, dit Jizo. C’est une étape de franchie, non ?

— J’ai l’impression que le plus dur n’est pas fait.

Quel pessimisme… Même aussi fortifiée, cette ville paraît plus accueillante de la maison où nous étions enfermés si longtemps. Tendant l’oreille derrière elle, Irzine lâcha une main de la bride pour ébouriffer les cheveux de son cadet. Un discret sourire embellit son visage au moment où les chevaux ralentirent. Les murailles s’érigèrent de toute leur splendeur : ainsi écrasés par cette hauteur, le groupe se référa aux proches autorités.

— Halte-là ! héla un garde.

Un homme et une femme se dressèrent face à l’attelage. Un gambison beige à boucles soulignait leur carrure trapue tandis qu’un casque à double pointes couvrait jusqu’à leur front. Ils gardaient en permanence leur main enserrée sur la poignée de leur épée en fer, enfermée dans une sangle en cuir. Voilà un bien étrange accoutrement. Cherchent-ils à se démarquer à ce point du reste de l’empire ?

La femme, plus grande que son confrère, avait le teint ébène et portait une tresse rousse. Elle toisa les nouveaux arrivants, les traits plissés.

— Zelid, capitaine de la garde de Doroniak ! Bon, désolée de vous l’annoncer aussi sèchement, mais nous avons trois problèmes. Premièrement, votre cargaison a l’air suspecte. Deuxièmement, vous êtes aussi suspects, et sans vouloir offenser personne, vous ne ressemblez pas à des marchands. Et enfin, on n’emmène pas des enfants dans le désert.

— C’est mon petit frère, rectifia Irzine. Je m’assure de sa protection.

— Cacher votre visage n’aide pas à nous mettre en confiance. Vous êtes d’où, d’abord ? D’un vieux pays isolé du monde, enfermé dans ses traditions archaïques ?

— Non ! Écoutez, nous pouvons tout expliquer.

— Pas ici, refusa l’autre garde. Cette entrée est réservée aux visiteurs. Continuez à gauche, vous tomberez sur l’entrée pour les marchands itinérants. Même si je doute que vous en soyez. Quant à nous, on va prévenir Bakaden Yanoum.

— Qui est-ce ?

— Vous le saurez bien assez tôt. Contentez-vous d’aller où vous devez être.

Larno grimaça, tenté de tirer la langue, toutefois il se rétracta au dernier moment. Tous acquiescèrent alors et se conformèrent aux instructions. Les roues du chariot crissèrent de nouveau au contact du sol rêche, dans cette transition entre les sables du désert et les routes lisses de la cité. Une fois éloignés, Jizo perçut le grommèlement d’Irzine, presque effacé en comparaison des renâclements des chevaux.

— Quel accueil ! persiffla-t-elle. Tes craintes étaient peut-être fondées, petit frère !

— Je savais qu’ils se méfieraient de nous, dit Larno. Bérol nous aurait bien aidés…

— Tu n’y es pour rien. C’est juste une sempiternelle répercussion de ces salopards d’esclavagistes.

— Tout n’est pas fini, espéra Nwelli. Nous aurons le temps de nous expliquer !

— Pourvu que cette cité aux milles promesses se montre hospitalière.

Jizo acquiesça nonobstant son grincement de dents. Il lui fallait résister aux ricanements de Maîtresse Vouma, ignorer son mal de tête, se fondre dans les paroles salvatrices de son amie. Vouma essaie la subtilité, maintenant ? Elle parviendra toujours à s’immiscer aux pires moments. Troubles de l’esprit, insinuations de l’infamie, débordements de mépris, le jeune homme ne savait plus où donner de la tête. Tout mutisme s’éteignit soudain face à la deuxième entrée : en-deçà des grilles, par-dessous les courtines, un trio de gardes d’accoutrement identique braqua leur épée vers eux.

— Déclinez votre identité ! exigea l’un d’eux.

— Attendez, contesta un homologue. On a reçu un message des gardes à côté. Il faut les envoyer à la tour nord-est, où il sera décidé ce qu’il sera fait d’eux.

— Et leur cargaison, alors ?

— Réquisitionnée. Comme ce ne sont pas des vrais marchands, on va inspecter son contenu et décider ce qu’il en sera fait. Vous, là ! Suivez-moi.

Ça continue, en plus ! Je suppose que nous n’avons pas le choix. Pareilles appréhensions furent confirmées quand Irzine abandonna les montures sous la tutelle des gardes. Suivirent Larno et Nwelli, et Jizo descendit en dernier. Après quoi un homme rengaina son épée et monta à son tour sur le chariot, pendant que son confrère les emmena au dit lieu.

— Les autres gardes ont dû vous tenir au courant, dit-il. Bakaden Yanoum dirige Doroniak avec modération depuis plus d’un an, maintenant. Et de vous à moi, je trouve qu’il fait un meilleur travail que le précédent chef.

— Que vous soyez d’accord ou non, répliqua Irzine, il gardera ce poste à vie, si j’ai bien compris.

— Comme quoi, vous êtes déjà renseignés ! Mais la différence avec l’impératrice, c’est qu’il n’a pas atteint une telle place parce qu’il est né dans la bonne famille. Il n’a pas obtenu non plus son titre dans un bain de sang. Il a été élu par le peuple.

Le garde redressa la tête tout en pénétrant dans la tour. Il se mit même à fredonner en dépit des protestations du groupe. Avec un tel système, Doroniak n’est même pas indépendant de l’empire ? Ils ont l’air totalement différents, alors que Nilaï semblait être caractéristique. Ou alors je m’y connais mal. D’autres doutes effleurèrent son esprit alors qu’il gravissait les marches à bonne allure. Des escaliers en colimaçon grimpaient autour d’une structure principale percée d’embrasures triangulaires.

Enfin parvinrent-ils à une salle peu meublée, seulement composée de râteliers et de vétustes étagères. Entre la lueur extérieure, prolongement des murailles, parurent deux silhouettes. Ils nous attendaient ? Ils ont été prévenus si rapidement ? De chevelure bouclée et d’une peau lisse, tous deux ébènes. Ils étaient chaussés de sandales en cuir tressés, les poignets lestés de bracelets en cornaline, leurs yeux d’un brun piquant. L’homme, d’âge moyen et à la barbe épaisse, était attifé d’une tunique chatoyante en lin, séparé de son pantalon en toile par une ceinture noir à anneaux. La femme, d’âge similaire et au faciès oblong, était vêtue quant à elle une ample robe drapée, pourvue de bretelles, lui octroyant néanmoins une excellente liberté de mouvement. Ce fut même elle qui se rapprocha du groupe : d’un œil circonspect, elle dévisagea chacun d’eux et s’attarda davantage sur Irzine.

— Voilà des visiteurs peu ordinaires, jugea-t-elle. Il y a cependant moyen de démarrer sur de bonnes bases. Je m’appelle Jounabie Neit, et voici mon mari, Bakaden Yanoum. Il est le dirigeant de Doroniak. Moi, je me contente de le superviser.

— Enchanté ! salua Bakaden. Pardonnez-nous si les gardes se sont montrés un peu brusques. Nous ne voudrions pas que des visiteurs indésirables perturbent la sérénité de cette cité. Asseyez-vous donc.

Bakaden plaça lui-même les chaises afin que chacun trouvât ses aises. Fort de cette invitation, tous s’installèrent face à lui. Jounabie les accompagna après un temps de réflexion0 Même le garde, quoiqu’en retrait, continua de les surveiller. La confiance ne va-t-elle que dans un sens ?

— Bienvenue à Doroniak ! souhaita Bakaden. Nous nous efforçons de rendre l’accueil le plus chaleureux possible, si vous êtes dignes de rester.

— Dignes ? fit Nwelli. C’est-à-dire ?

— Telle est la règle de Doroniak : nous évaluons les entrants, jugeons s’ils peuvent intégrer notre communauté. En revanche, cette ville n’est pas une prison, aussi chaque citoyen peut sortir quand il le souhaite.

— Impossible de contester cette loi, je présume ? ironisa Irzine.

— Si, mais en dehors des murailles, répliqua Jounabie. La sécurité est la première des libertés. Mais nous ne sommes en aucun cas soumis aux préjugés. Des femmes et des hommes issus de nombreux pays peuplent cette cité, parfois même venus du plus lointain ouest du continent ! Tout comme il nous arrive régulièrement d’écarter des myrrhéens de souche, alors estimés inaptes.

— Voilà pourquoi nous sommes dévisagés sans cesse ?

— Avec un peu de bonne volonté, et surtout de l’honnêteté, vous vous fondrez dans le décor. Expliquez juste qui vous êtes et les raisons de votre venue.

S’épancher sur un passé d’esclave ? Ce serait trop honteux. Jizo coula un regard en direction de Nwelli, laquelle se rembrunit alors, bras relâchés et tête inclinée. Seule Irzine s’éclaircit assez la gorge pour prendre l’initiative.

— Je suis Irzine et je suis originaire des îles Torran, se présenta-t-elle. Mon petit frère, Larno, avait été enlevé par des mercenaires, et j’ai dû me rendre dans cet empire pour le récupérer. Nous avons rencontré Nwelli et Jizo sur le chemin du retour, après avoir visité quelques autres pays. Ils étaient égarés, ont perdu leur demeure, et ont accepté de nous aider à retrouver la nôtre.

— Une histoire touchante à n’en pas douter, dit Bakaden. Nul doute que Nwelli est de notre pays, et quant à Jizo, hum… Originaire des îles Kondraï ? Du Diméria ? Voire de l’empire lui-même, à Kishdun ?

— Du Diméria, clarifia Jizo. Par ma mère, en tout cas. Mon père est skelurnien.

— Intéressant ! Le nombre de skelurniens à Doroniak doit se compter sur les doigts des deux mains. Les individus à la peau pâle proviennent plutôt des îles Torran, de Belurdie et de l’Enthelian, et parfois de contrées plus à l’ouest. Une autre information m’a interpellé : aucun de vous n’a un nom de famille. J’ignore de quel milieu vous provenez mais il ne doit pas être très aisé…

— Quoi qu’il en soit, coupa Jounabie, ceci n’explique pas pourquoi vous vous faisiez passer pour des marchands. Qu’est-ce que vous transportiez ?

— Des pierres précieuses, avoua Larno à mi-voix.

D’emblée les yeux de Jounabie se plissèrent. Elle frappa du poing sur la table avant de les désigner d’un doigt contempteur, ce malgré l’effervescence moins prononcé de son mari.

— Voilà qui est suspect ! s’écria-t-elle. Bakaden, qu’en penses-tu ?

— Je suis certain qu’ils ont une bonne explication, nuança-t-il.

— En effet, assura Irzine, placide malgré l’accusation. Notre périple nous a menés dans un village, où nous avons rencontré un homme du nom de Bérol. C’était un marchand qui devait livrer une cargaison de pierres précieuses à Doroniak, et il nous a proposés de l’accompagner. Seulement, en chemin, alors que nous faisions halte à un oasis, des mercenaires dimériens nous ont attaqués. Nous nous sommes défendus mais… Bérol n’a pas survécu. Nous avons achevé ce voyage sans lui, après l’avoir enterré.

— Et qui pourrait colporter cette version de l’histoire ? Je ne doute pas de la générosité des myrrhéens des terres profondes, mais par exemple, à qui était destinée cette marchandise ?

— Je… Nous l’ignorons. Il ne nous l’a jamais dit.

— Aucune preuve. Il est donc possible que vous ayez vous-mêmes tués ce Bérol, avant de voler sa cargaison !

— Vous avez dit vous-même qu’on ne passait pas inaperçu ! Si nous étions des voleurs et des meurtriers, pourquoi on serait arrivé dans un attelage pareil ?

Moult sillons ternirent les traits de Jounabie. Face à de tels tressaillements, Jizo surveilla chacun de ses gestes en l’attente de la décision. À ce moment résonna l’éternel, le redondant, l’inachevable.

— Elle ne manque pas de mordant ! complimenta Vouma. Gemout avait plus d’autorité que Bakaden, en revanche. Je crois bien que sa parole est davantage importante, quand bien même son mari endosse le titre de chef. Si jamais elle refuse, peut-être que tu peux vendre des faveurs aptes à la faire changer d’avis.

Cesse… Cesse ! Va-t’en ! Jizo plaqua sa main sur son front, à l’instar de Jounabie, et se détourna maladroitement d’une quelconque attention orientée vers lui. Il ne gagna qu’à être toisé par le garde. Aussi n’aperçut-il pas la main posée de Bakaden, en quête de conciliation.

— Ma chérie, tu exagères ! calma-t-il. Je vois juste des égarés, qui souhaitent juste naviguer vers une terre meilleure. Au pire, ils ne sont que quatre, et leur passage à Doroniak est temporaire.

— Tu as sans doute raison, admit Jounabie. À force d’entendre des histoires de violence de partout, je crains pour la sûreté de notre chère cité. Eh bien, si vous êtes inoffensifs, vous êtes libres d’explorer Doroniak ! Puissiez-vous y trouver la prospérité que vous recherchez.

Tous se levèrent en même temps, et entreprirent de s’engager sur les marches en sens inverse. Néanmoins Jounabie n’en avait pas fini, puisqu’elle interpella Irzine d’un dernier geste.

— Je ne me méfie ni d’un enfant, ni de deux voyageurs égarés, dit-elle. Par contre, j’émets plus de doutes sur vous. Votre masque m’inspire peu de confiance…

Dans ce suspens, dans ce dédain bien orienté, Irzine se garda de toute riposte, et fut la dernière du groupe à quitter cette tour en direction de la cité.

Ils s’immiscèrent alors dans les profondeurs de Doroniak.

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