Chapitre 24

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Joren se frotta les mains de satisfaction, il descendait les marches quatre à quatre pour se rendre vers la chapelle. Ses pas résonnèrent dans les couloirs, il salua au passage ses hommes, qui jouaient aux dés ou bien finissaient des tâches ménagères. Autour des quartiers de Lauvia, l’ambiance était calme et studieuse, l’endroit parfait pour y placer les appartements de Hubert Wilburt et de la jeune Madalberth.

Le prince frappa à la porte du scientifique, qui ne tarda pas à pointer le bout de sa moustache.

— Êtes-vous bien installé ?

— Oui, bien plus que dans cette cave et cette maudite cale de bateau ! se mit à rire l’homme en le faisant entrer.

À l’intérieur, un fouillis impressionnant s’imposait. Il y avait des instruments de mesure, des tableaux gribouillés de craies, des papiers en tout genre. Une odeur étrange, âcre, le prit à la gorge.

— J’ai tout ce qu’il me faut… mis à part quelques énerites, bien sûr… Il me reste des éclats et de la poussière… Mais pas de quoi avancer rapidement.

— Nous vous en trouverons bientôt, le rassura Joren en songeant au capharnaüm qui s’était installé en quelques heures. Avez-vous pris un bain, mon cher ? Il me semble que non, quand je respire à vos côtés.

— Ah ! fit Hubert comme s’il venait de se rappeler quelque chose d’important. Non, je n’en ai pas eu le temps. J’ai tout aménagé en premier, tout n’est pas fini, mais…

— Vous devriez.

— Savez-vous qui aurait pu engager ces assassins ? demanda le chercheur en entassant une pile de documents sur une autre.

— N’importe qui. Rowena travaille avec ceux qui paient le mieux.

— Je soupçonne mes confrères de l’Université de Burr, ou bien des spécialistes de Darovir… Peut-être des arbisiens ? Depuis que j’ai publié mes études dans cette maudite revue scientifique, tout le monde souhaite me les voler !

— Et si c’était l’Église ? questionna Joren en avisant un tabouret de libre.

— L’Église ? Et bien, je ne sais pas… Mes recherches n’ont rien d’hérétiques, étant donné que l’énerite est un don du Père. C’est l’Église qui finançait une partie de mes explorations, lorsque j’étais professeur.

— C’était il y a longtemps... Et depuis, vous avez découvert des machins étonnants sur cette pierre. Les sœurs n’ont pas apprécié votre point de vue.

— Et quoi ! Qu’y puis-je ? s’écria l’homme en se caressant le ventre, la vérité va au-delà de la religion ! Si les Saints Parents ont créé toutes choses, alors l’énerite ne peut pas être horrible ! Elles le disent partout elles-mêmes, l'énerite est un cadeau du Père ! Je suis loyal envers mes mes idées et mes découvertes, elles sont plus importantes que tout au monde.

Joren hocha la tête, réfléchissant à ce que venait de dire Hubert.

— Dans plusieurs semaines, nous pourrons faire des essais, annonça le savant en regardant autour de lui, comme s’il cherchait quelque chose.

D’entre deux boites, il extirpa un poignard au manche d’ivoire.

— Que comptez-vous faire, avec ce coupe-papier ?

— Et bien, je… Ce vendeur de Rhèbes m’avait assuré que c’était une arme pourtant… C’est au cas où ils me trouvent encore.

— Vous ne risquez rien, ici, dit Joren d’un ton ferme.

— C’est aussi ce que vous m’aviez dit, dans cette maudite villa de vacances ! rétorqua Hubert en plissant des yeux.

Joren soupira :

— Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, sinon, allez voir Lauvia.

Hubert se lissa la moustache :

— Ah oui, une demoiselle des plus charmantes ! Elle est divinement belle et ravissante, l’incarnation de la jeune Délia sur Terre.

Joren pinça des lèvres et quitta le laboratoire du scientifique, soudain calmé à l’évocation de la cardinale. Il prit la direction de sa chambre, lorsqu’il rencontra justement Lauvia à l’entrée de la chapelle :

— J’ai entendu vos pas, dans le couloir…, dit-elle en inclinant la tête.

À la lueur des torches et des bougies, les cheveux d’or de la jeune femme brillaient comme des flammes.

Depuis qu’elle est arrivée ici, jamais elle n’a porté sa coiffe, songea-t-il.

Il se rappela la phrase de Giselle, un peu plus tôt au dîner. Les yeux bleus de la cardinale rencontrèrent les siens. Il y avait là un mélange de crainte et d’admiration, le prince passa sa main dans sa barbe.

— Que souhaitez-vous, Lauvia ?

— Et bien…, la jeune femme hésita, je voudrais savoir ce que fait ce scientifique ici.

— Des recherches sur l’énerite, je vous apporterai demain l’article qu’il a publié dans une revue. Sinon, n’ayez pas peur de le questionner, il est intarissable sur le sujet.

— C’est quelque chose de dangereux, je suppose…

Il hocha la tête.

— J’ai prié pour votre retour, je continuerai, bien sûr… Même si j’ai parfaitement confiance en vous.

— Dans quelques jours, vous m’accompagnerez, nous irons faire des recherches sur l’une de vos consœurs.

— La Cardinale Garance ? Je ne l’ai pas souvent rencontrée, nous nous croisons parfois lors de nos convocations au Saint-Siège. Hildegarde la tient en grande estime. Je verrais ce que je pourrais récolter. Cela a-t-il un rapport avec l’énerite de Monsieur Wilburt ?

Joren esquissa un sourire.

— Je pense que oui. Comment se porte Mademoiselle Roding ?

— Elle est partie se coucher, elle semblait épuisée. C’est une personne très intéressante, avec beaucoup de conversation.

— Je suis ravie de l’entendre. Sa compagnie vous changera de tous ces hommes incultes et des quelques rombières qui sont à ma cause. Vous, les femmes de lettres, vous avez besoin d’autres choses, et vous priez toute la journée, ce n’est pas bon pour vous non plus.

— J'ai quelques ouvrages à lui préter, si elle le souhaite. Nous irons aussi laver le linge ensemble et puis je lui proposerais de s’occuper des poules. Elle m’a dit aimer la calligraphie, je lui montrerai mes réalisations de lettrines.

— Des activités qui lui feront le plus grand bien, elle sera ravie. Bonne nuit, ma chère.

Il déposa un baiser sur le front de la religieuse, dont les joues se mirent à rougir légèrement et disparut en direction de ses appartements ; de sa démarche toujours si conquérante. La cardinale regarda le dos large du prince partir dans les escaliers, puis poussa un long soupir.

Joren poussa la porte de sa chambre d'un revers de bras. Sur la table, les restes de son dîné avec la jeune Madalberth trainaient encore. Il poussa les assiettes et les couverts sales pour faire de la place

Une femme redoutablement intelligente... Je me demande pourquoi Dusan ne l'a pas protégée. Par jalousie, peut-être ? Sa maîtresse doit être formidablement belle pour qu'il abandonne un tel atout.

Il prit place sur une chaise, qui craqua sous son poids, et récupéra en tirant le bras une liasse de lettre rangée dans un tiroir. Il alluma ensuite sa lampe et plusieurs bougies et prit ensuite connaissance des nouvelles envoyées par ses alliés.

Hum... Veerhaven semble avoir définitivement retourné sa veste. J'imagine que c'est le Premier Ministre qui a demandé le retour d'Oriana... à moins que ce soit quelqu'un de bien placé dans la famille impériale.

Il souffla en continuant à lire plusieurs missives, les sourcils froncés. À la lueur de la lampe, sa forte mâchoire carrée se détachait du reste de son visage ; par réflexe, il se gratta plusieurs fois la barbe, songeur. Il prit sa plume et rédigea quelques lignes sur un bout de papier; rédigeant l'ordre à ses hommes de surveiller plus étroitement les sœurs proches de la Papesse Hildegarde.

Une modeste lettre lui détaillait l'état de santé de l'Empereur. En parcourant les nouvelles, son cœur se serra. Qu'il aurait préféré être au chevet de son père, plutôt qu'ici, à se soucier de tout ses traîtres et ces vautours ! Après la cérémonie mortuaire de Carolina, il avait demandé à Auguste de demeurer à Lengelbronn, afin de rester auprès de lui, mais ce dernier avait refusé, prétextant que sa place était à la frontière Nord. Il avait senti le rejet de son père, vu la tristesse dans ses yeux. Pour quelles raisons le repoussait-il ? Joren en était certain, la mort de Carolina en était la cause et l'Empereur se mourrait de culpabilité. Le journal de l'Impératrice, profondément caché dans le palais, détenait toutes ses réponses.

Il prit sa tête entre ses mains tout en serrant des poings, jamais sa positioin n'avait été aussi fragile. Auguste savait pour ces fausses accusations de meurtres et souhaitait le protéger en lui ordonnant de rester ici, il demeurait persuadé que les Ministres respecteraient sa volonté, une fois parti retrouvé le sein de la Mère... Il espéra quelques minutes que ses frères prennent soin de lui et qu'il ne se sentait pas seul.

Ses pensées allèrent à la cardinale Garance, qui très probablement, profitait de la confusion pour consolider sa place au sein de la cour. Depuis toujours, il percevait chez cette femme une ambition démesurée, une soif de pouvoir dont il avait du mal à cerner l'origine... et cette haine, qui couvait dans son cœur. Son éloignement forcé de la capitale lui avait rapidement permit de de posséder un regard neuf sur les gens qu'il y rencontrait. Loin d'une société d'apparences, son regard perçait les illusions mondaines mieux que quiconque. Passer ses journées à voguer sur un océan infidèle et à traquer des contrebandiers d'énerites avait développé son instinct de survie. Lorsqu'il croisait la religieuse, ses poils se hérissait. Le sourire béat que lui adressait la cardinale lui donnait l'envie de bruler sa coiffe et d'arracher ce visage trompeur, pour découvrir ce qui se cache en-dessous.

Un petit billet glissa entre les lettres restantes et tomba sur la table, Joren reconnut l'écriture, manuscrite à la va-vite :

Je sais que c'est toi qui a loué ma maison de vacances. Je te déteste du plus profond de mon être. Damjan.

Joren ricana et nonchalamment, leva le papier au-dessus de la flamme la plus proche. Séjourner secrètement dans la résidence de son frère lui avait permit de réunir des informations utiles. En regardant le billet se consumer lentement sur la table, il pensa à Danil et à sa chance de l'avoir pour ami.

— Et bien, dit-il tout haut en se redressant. Il est encore tôt, je vais voir s'il est d'humeur à quelques petites passes d'escrimes.

Il contourna sa table, saisit son épée puis dévala les escaliers de pierre en s'enfonçant dans l'obscurité.

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