Chapitre XXXVI  La chose écrite

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Où l’on découvre quel est le don d’Ombre d’Or


Aménager l’île de la Fournaise se révéla une tâche ardue. Heureusement, les aptitudes d’Ombred’Or ne cessaient de surprendre ses compagnons. Echappant à toute spécialisation elle semblait compétente en bien des domaines. Elle leur expliqua avoir, sa vie durant, copié des illustrations sur des parchemins de cuir fin. Elle n’avait jamais connu l’enfer des mines de plastique. Son talent était trop précieux. Dans une civilisation où seul le langage portait les idées, peu d’enfants développaient spontanément une aptitude à la représentation. Elle leur confia en avoir percé certain mystère et souhaita les initier.


Grua et Khala suivaient attentivement ses explications. L’une poussée par sa curiosité scientifique, l’autre par son intérêt pour tout ce qui pouvait relever de la pédagogie.

Ombred’Or se déclara leur serviteur en la matière et se munit d’un bâton fin.

— L’outil ne fait pas le pédagogue ! déclara Khala en se moquant la brindille que leur acolyte tenait en main et sur laquelle elle comptait s’appuyer pour faire sa démonstration.


Sans se laisser distraire, Ombre d’or dégagea un espace où la terre était sèche, dépourvue de cailloux et de racines. Puis, regardant attentivement le visage de Grua, elle commença à en tracer les traits saillants et à en figurer les volumes sur le sol.

Tout d’abord, Khalaba resta bouche bée. Les gestes d’Ombre d’Or évoquaient pour elle le travail de la mesure du temps où l’on trace sur le sable des signes que le soleil vient saluer au fur et à mesure de l’écoulement d’une journée. Elle récita à haute voix la leçon que l’on faisait aux enfants lorsqu’ils s’intéressaient au rituel :


« Chaque moment présent est sous l’ombre car l’on ne sait jamais ce qui peut advenir.

Le passé est terminé, on le connaît, on le transmet pour qu’il puisse encore vivre

Le futur, on l’imagine, on le craint, on l’espère.

Nous ne l’avons pas vécu mais notre imagination s’en saisit et tente de l’apprivoiser.

Si elle le traite bien elle y parviendra, si elle le traite mal elle en fera une bête sauvage qui dévore sans partage.

Comme le soleil notre esprit écrase l’ensemble du cadran à ses heures les plus chaudes.

Le présent vient à notre rencontre,

Il échappe à notre conscience car il la monopolise toute entière.

Le présent échappe à la Parole.

Nul récit ne peut se faire au présent.

Le présent est individuel, il est le faire.

Il est le dévouement

Il est l’appel aux conséquences

Il est le temps qui sépare ce qui à été de ce qui sera

Il est distance, et créateur d’espace,

Il est ce sur quoi la parole tente de construire un pont

Il est l’écueil où l’homme peut faillir,

Où l’homme est seul même tourné vers les autres

C’est pourquoi il est dans l’ombre de l’arc du temps »


— Eh bien, gromela Grua tout en essayant de comprendre ce à quoi s’appliquait Ombre d’Or, ça donne à réfléchir à tout âge cette petite ritournelle.

Elle aussi se souvenait de cette leçon sur le temps et de sa suite logique : Le temps de la parole au sein de la source, au contraire abolissait les distances. Il était antinomique au présent et réunissait, en chacun des membres du clan, un absolu passé et un absolu futur. Voilà pourquoi le lait de Sulac devait être blanc. Il devait être la lumière qui transcende l’instant et l’espace pour fonder l’Immuable. De même, dans la succession des jours, les nuits étaient éclairées par les lunes. Leur présence en garantissait la cohérence, comme la source assurait la permanence du lien.


Et c’était au nom de cette permanence qu’on l’avait arraché à Gruo ! Au nom des sources et de leur maudites plastines ! Au nom de ce dévouement à ceux qui l’avaient condamnée au voile violet ! Elle rageait et perfidement questionna Khalaba :

— Et puisque tu t’intéresses de près à la question… comment différencies-tu pédagogie et endoctrinement ?

Khalaba ouvrit de grands yeux.

— La pédagogie c’est savoir transmettre ce qu’il est utile de savoir et s’adapter répliqua-t-elle avec assurance.

Et comme pour illustrer son propos elle s’adressa avec bienveillance à Ombre d’Or:

— Peut-être que pour ton cadran, qui à l’air très complexe, tu devrais choisir un meilleur endroit. Les arbres et les fumerolles vont porter des ombres et fausser ton ouvrage.

Elle devrait se mettre sur la plage conclut-elle à l’adresse de Grua.

— C’est ça la pédagogie. Savoir à la place des autres ? répliqua Grua qui jetta un regard désespéré vers la plage déserte.

— C’est mieux quand ils s’en rendent compte par eux même, précisa Khala

Grua leva les yeux au ciel pour marquer sa désapprobation.

— Mais arrête donc de bouger ! lui intima Ombre d’Or, si tu continues à t’agiter ça ne ressemblera à rien.

— De toute façon l’endroit est mal choisi persista Khalaba nimbée de l’autorité du pédagogue accompli qui va achever sa démonstration d’un instant à l’autre.

— Voilà j’ai terminé ! s’exclama enfin Ombre d’Or. Elle ajouta encore quelques traits et s’écarta satisfaite. Alors ?

— Alors quoi ? interrogea Khala

— Eh bien, qu’en pensez-vous ?


Khalaba placée en face d’Ombred’Or, à l’angle droit du dessin voyait mal où elle voulait en venir. Elle avait toujours eu horreur de tracer le cadran des heures, se trompait régulièrement dans les signes qu’elle mémorisait mal. Par égard pour la nouvelle recrue et pour ne pas la froisser, elle répéta sa remarque :

— Eh bien, il manque de soleil par ici. C’est dommage, tu seras obligée de tout refaire sur la plage, et tu ne nous as pas non plus montré l’emplacement où planter le bâton. Elle ajouta pour adoucir son ton critique : « J’en ai jamais vu des comme ça. Ça compte aussi les jours et les lunes ? »

Ombred’Or se releva. Avait-elle tremblé à ce point que son modèle ne soit plus reconnaissable ?

— C’est elle, voyons ! répliqua Ombred’Or avec un soupçon d’agacement à l’adresse de Khalaba, en désignant Grua, puis son dessin.

Manifestement très loin d’avoir saisi le concept, Khalaba rétorqua.

— Comment ça pourrait être elle? Elle est là, dit Khala en montrant Grua.

Ombred’Or baissa les bras, elle commençait à comprendre pourquoi certains allaient dans les mines de plastique et pas d’autres… Elle changea de stratégie.


— Grua, qu’en penses-tu ? Ça te ressemble, n’est-ce pas ?

Grua était passée derrière Ombred’Or pour mieux voir. Une petite figure ridée la fixait depuis le sol, encadrée d’un rideau de traits épars qui figuraient certainement des cheveux. Une affreuse petite vieille en quelque sorte. Bien éloignée des souvenirs qu’elle portait en elle comme un talisman : le regard attendri de Gruo dont l’amoureuse flamme n’aurait pu être provoquée par cette image ridée où la forme des traits suggérait, non seulement un affaissement des chairs, mais aussi une lassitude de l’âme. Elle fit la moue, dubitative, avant de déclarer :

— Non, je ne vois pas.

Puis s’éloignant de quelques pas, elle passa plusieurs fois la main dans ses cheveux. Elle se massa légèrement les pommettes pour en aviver la teinte et brouiller la ligne bleue que creusaient deux cernes profonds, fruit des longues ruminations désespérées qui l’habitaient depuis que le voile violet avait été accroché à ses épaules. Enfin saisissant l’opportunité pédagogique qu’avait vainement tenté d’argumenté Khalaba elle déclara avec perversité :

— La vérité est que cela manque de soleil ici pour tracer ton cadran, tu devrais le faire sur la plage.


Portant une brassée de bambou afin d’aménager un espace cuisine à proximité d’une fumerolle qui, avec un peu d’adresse, pouvait être utilisée comme foyer, Frère Troc passa derrière les trois femmes. Khalaba, dubitative, tournait autour du portrait de Grua sans parvenir à en saisir le sens.

Grua légèrement à l’écart, souriait exagérément comme pour se dissocier de la représentation où elle arborait l’air sombre et méfiant qu’il lui connaissait d’habitude. Ombred’Or visiblement troublée faisait la moue. Peut-être est-ce l’odeur des chronks qui l’importune, supposa frère Troc, avant de leur lancer :

— Alors vous découvrez la chose écrite ? C’est formidable, n’est-ce pas ?

— J’ai du mal à comprendre, lui dit Khala qui continuait à scruter le dessin de biais et du mauvais côté.

Frère Troc abandonna son chargement de bambou, il saisit Khala par les épaules et la ramena à l’endroit du dessin. Ce fut un saisissement. Dans les lignes maladroites, le visage grave de Grua se détachait. Il était frappant de réalisme.

Khala releva les yeux et exprima sa surprise à haute voix comme s’il était impossible que deux choses contraires puissent advenir en même temps :

— Et pourtant elle sourit !

Ombred’Or, comme pour faire mentir le présent des cadrans solaires, avait le pouvoir avec un simple morceau de bois et un peu de poussière, de fixer le temps. Elle était capable de dédoubler les êtres. Grua était ici et là-bas, en deux lieux à la fois.

Comme le temps présent, l’art d’Ombred’Or séparait et créait de la distance. Un être unique pouvait devenir deux, trois… beaucoup. Elle maîtrisait là une technique bien différente de celle de la Parole qui réunit et qui, lorsqu’on la prononce, modifie et efface ce qui auparavant n’était pas elle.

La chose écrite permettait de poser le temps comme une succession d’états contradictoires et juxtaposés. Tandis que la parole était la somme des présents lorsqu’il s’agissait d’envisager le passé, et leur multiplication pour penser le futur. La chose écrite était l’empilement désordonné et irréconciliable des expériences du faire.

— C’est stupéfiant comme ça te ressemble ! Insista frère Troc à l’adresse de Grua qui lui lança un regard haineux.

— Oui ! S’extasia Khalaba puis elle tempéra son jugement : mais c’est dangereux aussi.

Elle ne pense pas si bien dire songea Grua qui se demandait qui elle devrait tuer en premier : Frère Troc qui décidément ne méritait pas sa confiance ou Grua qui maniait si mal le bâton quand il s’agissait de lui tirer le portrait. Parfois la seule pédagogie valable c’est la force, le silence ou le meurtre s’enhardit-elle à penser sans toutefois aller jusqu’à partager son intime conviction.

— Vous le pensez ? questionna Ombre d’Or.

— Je ne sais pas trop, c’est à l’opposé de la parole…

— C’est pour cela que l’île d’Ombre n’a pas de source. D’après ce que j’en sais, elle existe depuis bien plus longtemps que toutes les autres îles, intervint frère Troc.

Maelivia, fidèle à ses habitudes, espionnait la scène, perchée dans un arbre. Elle s’était rapprochée le plus possible au risque de faire céder la branche qui la soutenait et de révéler sa présence.

— Mon île existe depuis avant même les grands cataclysmes acquiesça Ombre d’Or . J’y ai été instruite. J’étais toute jeune à l’époque où j’y ai été conduite, et déjà je montrais un goût pour le dessin. Je le pratiquais spontanément en usant de mon doigt mouillé pour créer des formes sur les pierres sèches qui bordaient la source. Les nourrices appelaient ça « la manie de la petite Polax ». Tel était mon nom à l’époque. C’était un nom ordinaire pour une petite fille qui ne l’était pas.

Les moines ont été informés de mon étrange comportement lors d’une cérémonie. Un oiseau bard a été envoyé à mes parents aux mines. J’entrais dans les ordres. Oui, frère Troc, j’ai passé les cinq niveaux initiatiques et bien d’autres encore. Oh, je n’ai pas eu le temps d’apprendre à marcher sur l’eau… Mais, j’ai travaillé tous les jours à aiguiser mon regard pour être capable de reproduire un modèle à la perfection. C’était à la fois une joie et un labeur. J’y ai trouvé mon véritable nom, Ombred’Or.

— Raconte nous demanda avec respect Frère Troc.

Ce faisant il s’assit et invita les femmes à faire de même. Ombre d’Or replia ses jambes sous elle et continua son récit :

— L’or aurait été autrefois un métal très précieux. On doute qu’il ait réellement existé. On raconte que certains le cherchaient dans les entrailles de la terre comme nous le faisons aujourd’hui pour le plastique.

Grua cessa de faire la tête et redoubla d’attention.

D’autres pensaient pouvoir le créer de toutes pièces en mélangeant divers matériaux comme aujourd’hui nous créons la parole à travers les expériences individuelles de chacun.

L’or était réputé si brillant qu’il témoignait de toute la lumière reçue par la création au cœur des mines les plus sombres et les plus profonde. On dit que son éclat redonnait la vue aux mineurs aveugles.

Je crois, moi, qu’il avait le pouvoir de rassurer même dans la nuit la plus noire. C’était peut-être un remède à l’égarement, à moins qu’il n’en soit la cause… Les plus vils personnages comme les plus futiles cherchaient à se l’accaparer, les uns pour étancher leur soif, les autres pour combler leur vide.

L’art de la chose écrite me fascinait à tel point qu’il était devenu pour moi équivalent à cet or qui rend fou. Vous connaissez tous l’histoire de la poule prodigue ?


— Moi, je la connais ! cria Maelivia en agitant les mains pour se faire remarquer. Ce faisant, lâcha la branche sur laquelle elle était juchée et chuta lourdement. Blessée autant par sa chute que par sa gaucherie, elle gémit pitoyablement avant de venir se blottir dans les bras de Khala où elle se frotta consciencieusement l’épaule pour bien signifier aux autres à quel point elle souffrait.


Sans lui prêter plus d’attention que nécessaire, Ombred’Or reprit le fil de son récit. Frère Troc cala son dos contre le tas de bambou qu’il poussa légèrement de côté. La construction des cuisines attendrait.

— Eh bien, c’est une histoire que j’adorais, continua la vieille femme. Je vais vous la résumer à ma manière. La poule apporte la richesse à celui qui la possède. Mais elle devient vite la victime de ses dons extraordinaires car tous veulent se l’accaparer. Ceux qu’elle aime périssent, ceux qui la traitent bien sont aussi nombreux que ceux qui la maltraitent. Mais tous ont en commun le fait de vouloir l’utiliser. Pour échapper à la convoitise dont elle est l’objet la poule se cache. Elle n’ose plus sortir pour manger. Mais elle pond toujours et encore car un don est un don quoi qu’on en fasse.

Me nommer Ombred’Or, c’était imaginer que l’isolement et la convoitise que suscitaient mes dons chez mes maîtres ne m’atteindraient pas. Je souhaitais me mesurer uniquement au temps qui passe, jusqu’à ma mort. Rester dans l’ombre de mon art pour continuer à évoluer. Ne pas être prisonnière de mon don.

— Comme le Chronk de son odeur ! s’exlama Maelivia pour signifier qu’elle avait bien compris.

— Heu oui, si on veut … accorda Ombre d’Or en se demandant si finalement elle n’avait pas manqué d’humilité dans sa démarche. Hélas, j’ai vite été dépassée par mes talents. Les œuvres toujours plus précieuses, qu’on me donnait à copier, ne cessaient de me fasciner. J’en perdais le boire et le manger. Il m’arrivait de ne plus parler d’un retournement de lune à l’autre. Mon exécution fine et rapide, ma capacité à préparer des peaux à la fois résistantes et délicates poussèrent l’Ordre de la Parole à me confier de très anciens parchemins. Ils présentaient des schémas beaucoup plus simples que les précédents, par contre une grande partie de l’espace était couverte de petits traits épars. J’en demandai l’explication. Je ne comprenais pas. Les autres documents possédaient tous un caractère d’utilité : coupes représentant l’intérieur des plantes, paysages figuratifs de chacune des îles, outils…

Elle tourna la tête vers Grua : j’ai même vu, je crois, des planches détaillées illustrant vos recherches sur le bois de ktur. Y figuraient les espèces utilisées et une description de leur séquençage génétique. Mais ces traits…

Il me fut répondu qu’il s’agissait très probablement d’anciennes ornementations. Je ne comprenais plus l’intérêt du travail qui m’était demandé. Pour gagner du temps je les schématisai grossièrement

L’Ordre me fit part de son mécontentement. La honte aux joues, je me demandai quelle attention particulière ils y avaient prêtée pour saisir de si subtiles modifications. Je fis amende honorable et, flattée par mes supérieurs, je me remis religieusement au travail copiant minutieusement chaque trait, chaque encoche, sans plus en omettre aucune. Les espaces eux-mêmes semblaient avoir leur importance, aussi les respectais-je scrupuleusement.

Je remarquai certaines occurrences. Je notai sur un parchemin que je conservais par devers moi, une dizaine de traits qui formaient, en fonction de leur ordonnancement, une soixantaine de figures récurrentes, elles-mêmes réutilisées en format réduit dans la formation de caractères composites. Je les notai également sur un second parchemin.

Mon travail, aussi répétitif qu’il fut donna satisfaction. On m’apporta d’autres feuilles, encore et encore.

Je travaillais tant que je crus plusieurs fois y perdre la vue. Chercher une logique dans ces amas de traits me permit de ne pas perdre la raison. Certains caractères plus fréquents se retrouvaient toujours après d’autres. J’allais plus vite, j’étais plus efficace. Pour autant l’ensemble restait pour moi un mystère, jusqu’au jour où…

Grua, Troc, Khala et Maelivia buvaient les paroles d’Ombred’Or. Elle s’arrêta un instant passa sa langue sur ses lèvres sèches et s’empara d’une coque vide dans laquelle elle versa un peu d’eau. Elle avala une gorgée savourant le liquide dont la pureté tranchait avec la puanteur ambiante.

Maelivia n’y tenait plus.

— Jusqu’au jour où quoi ? !

Ombred’Or reposa la coque vide sur le sol à côté du dessin.

— Jusqu’au jour où l’on m’a donné un lourd paquet. C’étaient des planches illustrées représentant des scènes de la vie quotidienne datant d’un autre âge. D’avant les âges plastiques, je dirais. Chaque image comportait une ligne de petits traits en deçà d’elle. Je remarquai que leur assemblage pouvait correspondre aux choses représentés par l’image. Et, en effet, lorsqu’un détail se répétait sur une seconde illustration, je retrouvais en regard leur alignement familier.

Sur un autre parchemin, je retraçais chaque alignement et une copie simplifiée de l’élément qui semblait y correspondre. Mon excitation était à son comble, j’avais découvert un nouveau mode figuratif qui exprimait en très peu de place ce qu’une image pouvait donner à voir en occupant une planche entière !


Ombre d’or traça sur le sol quelques-uns de ces caractères à titre d’exemple.

— Mais ce n’était pas tout. D’autres caractères pouvaient être associés à des mots et pas seulement à des choses. En outre, si un dessin était unique, singulier, un caractère pouvait désigner toutes les choses relevant de près ou de loin de la chose dessinée. Comme les mots, les caractères étaient génériques, plus proches finalement de l’idée de la chose que de la chose elle-même. Joignant le dessin à la parole elle traça une nouvelle forme sur le sol. Par exemple, celui-là, il désigne l’idée d’eau, si j’ajoute ce simple trait devant, l’ensemble devient la négation de l’idée d’eau.

— Il n’y a plus d’eau donc ? interrogea Maelivia.

— C’est cela même ! lui répondit Ombred’Or avant de reprendre son récit.

J’avais trouvé un moyen de figer la parole ! Et pas seulement elle! Certains signes correspondaient à des nombres. D’ailleurs les choses ne s’arrêtaient pas au simple dénombrement. Reprenant mes parchemins et mes brouillons, je m’étais aperçue que parmi les premiers documents qu’il m’avait été donné de copier, certains correspondaient à des suites de nombres. Certains signes les transformaient. Celui-ci les ajoutait. Celui-là les soustrayait.

— Montre-les-moi, dit Grua folle d’impatience car elle voyait sa vie prendre un nouveau tournant. Les sciences interdites ne l’avaient pas sagement attendue, elles étaient venues à elle ! Elle remercia le sort qui l’avait conduite sur cette île en compagnie de cette si savante petite vieille qui la portraiturait si mal.

Elle se demanda aussi qui ou quoi avait laissé la porte ouverte au hasard, et salua mentalement un créateur si semblable à son bien aimé Gruo qu’il lui sembla bienveillant.

Néanmoins, Ombred’Or partit dans des explications complexes qui laissèrent perplexes Khala et frère Troc. Ils se regardaient l’un l’autre comme pour se rassurer. Ils n’y comprenaient goutte, était-ce normal ?

Quand Ombred’Or et Grua eurent terminé leur conversation, le sol, entre elles, était couvert de signes maintes fois effacés, retracés, modifiés. Oublié le portrait qui avait initié les confidences d’Ombred’Or et mis en péril leur amitié naissante.


Les écervelés s’étaient rapprochés, ils avaient faim sans doute. Frère Troc appela Nicophène : si celui-ci pouvait comme il s’y était engagé leur attraper quelque chronks, ce serait épatant.


Un peu plus tard, alors qu’ils ramassaient du bois pour nourrir le feu, Maelivia aborda d’Ombred’Or.

— Dis, tu m’apprendras à tracer les signes… ? Je ne sais pas trop à quoi cela pourra me servir, mais … elle leva les yeux vers le ciel où pointait la première lune. Elle avait toujours les trois perles offertes par frère Troc dans la poche de sa robe de bure. Elle en tendit une à Ombred’Or. Je te donnerai ça en échange, lui dit-elle.

Ombred’Or fronça les sourcils. Elle reconnaissait cet objet. Le Grand maître de l’ordre en portait une à son cou. Elle repoussa la perle sans oser y toucher.

— Non, garde ça, je n’en ai pas besoin pour t’enseigner ce que je sais. Il faudra juste que tu sois très patiente.

Maelivia retroussa le nez.

— Patiente … Voilà une chose qu’elle n’était pas certaine de vouloir être. Est-ce qu’apprendre vous change ? Est-ce le prix à payer ? Elle se demanda si elle n’avait pas fait une énorme bourde en voulant maîtriser la chose écrite. Avant que le remords ne la saisisse elle s’élança en direction de la forêt.

— Nicophène ! Attends-moi, je vais t’aider à chasser le chronk.

Ombred’Or récupéra machinalement le bâtonnet de bois laissé par ce petit diable roux. Quelle étrange enfant, pensa-t-elle.

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