Après ces vacances revigorantes, nous retrouvons les bancs de l’école en pleine forme, prêts pour une nouvelle ligne droite qui nous mènera vers une période que je redoute plus que tout.

Je ne tarde pas à terminer de combler mon retard pris l’année passée, et mes soirées deviennent tout à coup moins chargées, je suis plus libre, au fur et à mesure que les jours raccourcissent.

J’en profite pour me replonger dans la composition de la chanson que j’avais promis à Charlène, je ne suis pas encore au bout, il me reste pas mal d’ajustements, d’arrangements à trouver, mais je dois dire que je suis plutôt content du résultat.

La fin du premier trimestre arrive, avec de très bonnes nouvelles, pour me récompenser de cette année difficile, félicitations du conseil de classe et tableau d’honneur pour mes résultats depuis la rentrée. Mais ce ne sont pas ces résultats qui sont la source de ma fierté, plutôt d’avoir prouvé à tout le monde que je suis capable d’arriver à concilier vie de couple et études, et que je suis parfaitement digne de leur confiance.

Nous passons le premier weekend des vacances d'hiver chez mes parents, impatients de quitter la ville grouillante, non sans avoir profité pleinement de l’ambiance féérique des fêtes de fin d’année, des vitrines décorées, des rues illuminées, du marché de Noël installé avec ses chalets sur les trottoirs du Cours Mirabeau, de la fontaine de la Rotonde parée de lumière chaque soir.

Ca sent bon les marrons chauds, la cannelle et les crêpes, les gens sourient et les enfants trépignent. Mais toute cette agitation commence à m’agacer sérieusement au fur et à mesure qu'approche ce jour que j’appréhende tant et nous avons décidé d’anticiper notre départ.

Je n’ai jamais passé autant d’heures dehors, dans le froid que pendant notre premier jour ici, j’erre sans but sur les chemins, à travers la forêt, tous ces endroits où, plus jeunes, nous aimions venir jouer, construire des cabanes, et inventer nos propres histoires avec les copains de l’école. Tout le monde semble inquiet de cette longue absence, mais personne n’ose vraiment aborder le sujet, connaissant la triste raison de mon état.

- Lou, ça va ?

- Pas trop… Mais je gère, ne t’inquiètes pas, j’ai juste besoin de…

- D’être seul ? Si tu me l’avais dit, je serais restée à Aix…

- Non! En fait je m’en fous, d’être seul, j’ai juste besoin de calme, de tranquillité pour faire le vide, si tu veux tu peux venir avec moi, j’aurais dû te le proposer…

- T’es sur ? C’est pas juste pour me faire plaisir ?

- Non ma puce, ça me ferait plaisir que tu m’accompagnes, même si je fais rien d’intéressant, à part trainer dans la colline…

- Merci, j’aime bien tes parents, mais je m’ennuie un peu, et j’ai l’impression de déranger… J’ai besoin d’air moi aussi…

- Ça m'étonnerait que tu les dérange… Mais je te comprends… On y va ?

- C’est parti…

J’aime partager cette ballade avec Charlène, pendant que je marche, elle fait de la cueillette, ramassant branchages, herbes, pierres, écorces, pommes de pins qu’elle entasse dans un sac en tissus, ça fera une jolie déco pour la table du réveillon. Lorsque nous rentrons, elle m’oblige à participer à son atelier création, et malgré ses encouragements, je ne fais qu’entasser les branches en bouquets difformes et vraiment très moches, mais ça a au moins pour effet de nous faire rire.

Pour le réveillon, je retrouve ma bonne humeur, pour profiter pleinement de ce moment de partage en famille, et elle n’est pas due à la joie de l’échange des cadeaux qui approche, mais bien au bonheur de pouvoir jouir de la présence de mes proches, de ceux que j’aime autour de moi, alors que pour d’autres, c’est surtout l’absence d’une fille, d’une sœur ou d’une amie qui doit prévaloir.

Je ne dis pas que Cécilia n’est pas présente dans mes pensées, mais je n’ai pas de souvenir de cette célébration en sa compagnie, et je n’ai pas oublié de prendre avec moi notre photo, qui trône sur le buffet pendant le repas. Je n’oublie pas, non plus, de m'isoler à l’extérieur quelques minutes pour lui adresser quelques douces paroles.

La soirée se poursuit, avec la distribution des cadeaux, et je dois dire que je suis particulièrement gâté, mon frère a l’extraordinaire idée de nous offrir un weekend pour deux à Chamonix avec traversée de la Mer de Glace accompagnés d’un guide, Charlène est ravie de pouvoir réaliser un de ses rêves et moi heureux de pouvoir découvrir cette nouvelle pratique.

Charlène a réussi, je me demande encore comment, à nous avoir deux place pour aller fêter la musique le 22 juin suivant, au stade de France, avec Offsprings et ACDC, un rêve qui se réalise pour moi, deux groupes que j’adore, le premier découvert deux ans auparavant, et le second depuis une dizaine d’années, à l’époque où mes cousins, plus âgés, m’avaient fait découvrir le hard-rock avec The Clash, Guns and Roses, Nirvana, Metallica, ACDC, Kiss…

Je crois que ce sont mes parents qui gagnent la palme du plus beau cadeau, en m’offrant carrément mon permis de conduire, pour me féliciter de tous mes efforts, tant personnels que scolaires.

Je suis aux anges, planifiant déjà toutes ces activités dans ma tête, le concert étant programmé juste après la fin des épreuves de fin d’année, pourquoi ne pas prendre quelques jours pour visiter la capitale, je vais profiter de mes fins de journée pour bosser mon code et programmer mes heures de conduite et cet été on ira à Chamonix pour profiter de la fraicheur du glacier.

Plus les minutes passent, plus ma bonne humeur essaie de se faire la malle, plus je lutte pour garder le sourire. Je sais que je me rapproche un peu plus à chaque instant de l’heure qui lui a été fatale, pour moi, elle nous a bien quittés le 25 décembre de l’année dernière, même si son cœur a continué de battre encore quelques heures, jusqu’au lendemain.

Après toutes ces émotions, nous nous glissons tendrement sous les draps, et même après une étreinte passionnée, et notre voyage au pays des plaisirs, le sommeil me fuit, comme à chaque fois que quelque chose me trouble, la seule chose qu’on n’ait pas encore réussi à soigner. En cette saison, hors de question de m’installer sur la terrasse, à l’extérieur, je me rabat donc sur le canapé du salon et la télévision, une tasse d’infusion, et je zappe jusqu’au bout de la nuit.

Je me repasse en boucle les événements de l’année passée, en inventant toutes sortes de réalités alternatives pour éviter le terrible accident, imaginant ce qu’aurait été ma vie si rien de tout ça n’était arrivé. J’essaye de me convaincre que je n’aurais jamais rien pu changer à tout ça, même si j’avais été présent à ses côtés à ce moment-là, au pire, ou au mieux, il y aurait eu deux morts ce jour-là, deux familles en deuil, deux fois plus de chagrins et de pleurs.

J’en suis là de mes réflexions lorsque Charlène vient me rejoindre.

- Hey mister Lou…

- Coucou ma puce… T’es déjà debout ?

- J’avais froid, je t’ai cherché pour me réchauffer, mais t’étais pas là…

- Désolé… J’arrivais pas à dormir… Encore…

- T’inquiètes, je comprends… Surtout aujourd’hui… T’as envie d’en parler ?

- J’ai plus grand-chose à t’apprendre là-dessus, on a fait le tour ensemble…

- C’est pas grave… Tu peux encore me la raconter, cette histoire, elle fait partie de ta vie…

- Ouais… Je viens de passer des heures à refaire l’histoire, dans ma tête, si j’avais été avec elle à ce moment-là, si elle était partie de chez elle dix minutes plutôt, ou même deux, est-ce que je serais là ici et maintenant ? Je me refais le scénario dans tous les sens pour trouver une fin heureuse. Pourtant, j’arrive pas à l’imaginer ici à ta place… Quoi qu’il se passe dans mes histoires, c’est toujours toi qui est à mes côtés aujourd’hui…

- Merci… C’est un bon signe, ça veut dire que ton inconscient accepte sa disparition, son absence et que tu commences à t’y habituer, vraiment.

- T’es obligée d’analyser ce que je dis, à chaque fois ? Tu peux pas simplement me remercier, me rassurer…

- Pardon... Ne m’en veux pas…

- Je t’en veux pas, je te taquine…

- Je m’en rends même pas compte en fait… Déformation professionnelle…

Finalement nous nous sommes rendormis sur le canapé, avachis l’un sur l’autre, et c’est ma mère qui nous a réveillés deux heures plus tard.