64 - Le baiser du flux (à réécrire)

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 Quand elle retrouva ses esprits, elle était par terre, allongée à-même le sable de la carrière. Trois visages inquiets étaient penchés sur elle. Elle reconnut brièvement Dame Calwaën qui posait une main sur son front en remuant les lèvres, paniquée. Ainsi que Maître Sylga, les sourcils froncés, qui lui secouait la main.

 – ...ling, est-ce que tu nous entends ? Yuling !

 Les mots finirent par se frayer un chemin jusqu'à son cerveau. Elle se sentait vidée de l'intérieur. L'angoisse monta, et avec elle une soudaine envie de vomir. Elle roula brusquement sur le côté et rendit tout son déjeuner.

 – Qu'est-ce qu'elle a ?

 – Où est Fei ? s'enquit la jeune femme. Où est son dragon ?

 Elle avait la tête qui tournait et à la mention de la dragonnette, sentit ses poumons se refermer. Elle se relaissa choir dans le sable, à cours de forces. La voix de Maître Tavin cinglait à ses oreilles :

 – Il faut qu'elle voit Maître Torrish.

 Mais Dame Calwaën n'était pas de cet avis :

 – Pas maintenant.

 – On ne peut pas...

 – Si le Dragonium l'apprend...

 Une silhouette que Yuling crut reconnaître comme celle de Maya se dessina devant elle. La jeune femme fixait son confrère avec un regard lourd de sens. Ce dernier n'insista pas.

 – Solrik, essaie de trouver sa dragonne, ordonna-t-elle. Et écartez-vous, elle a besoin d'espace. Comment te sens-tu ? Yuling, tu m'entends ?

 – Qu'est-ce qui s'est passé ? m'entendis-je marmonner, la voix cassée. Il faisait tellement chaud, je n'ai pas eu le temps... Fei ?

 Elle chercha dans son esprit la petite dragonne. Le lien était ténu, sa présence semblait si lointaine qu'elle se sentit tout à coup très seule.

 La jeune femme prit sa main dans la sienne et la rassura :

 – Elle n'est probablement pas très loin, ça va aller.

 – J'ai mal partout, gémit-elle.

 – C'est le contre-coup de ce qui vient de se produire... et qui n'aurait jamais dû se produire, conclut-elle en dardant sur Maître Sylga un regard noir.

 – Est-ce que ça veut dire que je ne pourrai jamais faire de magie ? demanda Yuling, tout à coup très inquiète.

 – Bien sûr que non, au contraire. Ce qui s'est passé n'aurait jamais pu se produire si tu n'avais pas la magie en toi. C'est juste que les événements ont pris une tournure non escomptée et que ton corps ne l'a pas supporté. C'est pour ça que tu te sens si mal. C'est ce qui se passe avec la magie quand on outre-passe nos capacités physiques, mais tout devrait rentrer dans l'ordre maintenant. Et je pense que tu as besoin de repos.

 – Et Fei ?

 – Solrik est parti la chercher, il va te la ramener.

 – Elle n'acceptera jamais de se laisser toucher, rétorqua Yuling en fixant le dôme de verre, au dessus de sa tête.

 – Elle acceptera, car elle n'a qu'une peur, se retrouver séparée de sa maîtresse.

***

 – Explique-moi comment ça a pu arriver ! s'emporta la jeune femme.

 Furieuse, Dame Calwaën effectuait les cent pas dans le bureau de Maître Sylga. Derrière les carreaux, le temps maussade avait eu raison de son humeur ; une pluie diluvienne se déversait sur la vallée depuis plusieurs jours. Les champs étaient noyés, l'entrainement compliqué. Le moral de ses apprenties était au plus bas, et le sien avec elle. Yuling avait passé une sale semaine : la relation avec sa dragonne se compliquait. Cette dernière montrait une résistance surprenante au lien les unissant. Et maintenant ça ?

 – Je suis d'accord avec toi, ça n'aurait pas dû arriver, rétorqua le Maître.

 – Alors quoi ? Tu as laissé faire ?

 – Comment ça ? Tu étais là, tu as bien vu ce qui s'est passé !

 – Ne retourne pas la situation à ton avantage.

 – Ella, soit raisonnable voyons. Comment je pourrais tourner à mon avantage qu'un de nos élèves finisse dans cet état ?

 – Tu étais dans sa tête !

 – Tu crois que j'ai volontairement laissé cet incident se produire ?

 – Tu ne peux pas me dire que tu n'as rien senti !

 L'air s'était soudain chargé d'électricité. Un frétillement si caractéristique qui ne laissait indifférent aucun adepte de la magie. Tout son corps avait frémi dans un mélange de curiosité et d'envie. Ses sens l'avaient accueilli dans un profond soulagement, érigeant entre elle et sa dragonne une barrière invisible : le flux, douce poussière étoilée, poison d'extase et de l'âme.

 Maître Sylga se laissa tomber sur le lit, complètement dépassé par la situation.

 – Oui je l'ai senti, et peut-être qu'on devrait en parler à Torrish...

 – Surtout pas.

 – Tu le reconnais toi-même, la situation nous dépasse !

 La jeune femme posa brusquement les deux mains sur le bureau :

 – Torrish ne peut rien pour nous et Maya a raison. Le Dragonium ne doit pas être au courant...

 – Mais peut-être qu'il...

 – Non, Orian. Une fois qu'ils sauront, le Souffle des Ames sera le cadet de nos soucis. Aujourd'hui la seule chose qui les retient c'est la présence d'Argy. Il a indéniablement plus d'influence au sain du cercle des Héros que le Dragonium. Mais si la balance penche en notre défaveur, ils en profiteront pour ternir sa réputation et pour récupérer par la même occasion l'élite des apprentis. Ces jeunes ont encore l'espoir de connaître une vie de paix et de prospérité et ne méritent en rien de se faire massacrer ! Nous devons éviter la guerre à tout prix.

 – Ca n'explique pas comment un utilisateur du flux a pu s'introduire au sain des murs ! Tu es sûr que Maya...

 Le visage de la jeune femme blêmit.

 – Tu étais au courant ?

 – Je m'en suis toujours plus ou moins douté, expliqua-t-il. Et disons que j'ai quelques connaissances qui l'ont croisée après qu'elle ait quitté la Dragonnerie.

 – Et tu ne m'en as jamais parlé ?

 – Pour quoi faire ? Te rendre encore plus malheureuse ?

 Une lueur de tristesse traversa le regard de la jeune femme.

 – Ce n'est pas Maya. Elle était à côté de moi, je l'aurais su...

 – Tu en es certaine ?

 – Elle n'aurait pas osé. Avec trois Maîtres à proximité...

 – Ce qui n'a pas empêché l'incident d'arriver.

 Maître Sylga soutint le regard d'Ella, qui finit par baisser les yeux. Elle refusait l'idée que Maya soit responsable de l'incident qui venait de se produire. Elle voulait la croire sincère. Et d'un autre côté, avec Yuling qui venait de frôler la mort, une part d'elle-même lui en voulait terriblement d'avoir refait surface dans sa vie. Pourquoi maintenant ? Était-ce le dragon blanc ? Elle n'était pas sans ignorer l'attrait que la jeune femme avait pour la dragonne, mais aurait-elle risqué sa mort aux yeux de tous ? Et en même temps, depuis qu'elle avait refait surface, les problèmes ne cessaient de s'enchaîner. C'en était troublant...

 – Est-ce que tout ça a un lien avec ce qui s'est produit ? se demanda-t-elle à haute voix.

 – Tu veux parler de l'incident de l'épreuve ?

 – Maya n'était pas là, continua-t-elle de réfléchir. D'ailleurs flux et dragons ne sont pas compatibles...

 – Mais peut-être que l'utilisateur du flux est là pour elle, en revanche...

 La jeune femme redressa la tête en fronçant les yeux.

 – Tu penses que tout ça est lié ?

 – Je pense surtout que ça fait trop d'incidents pour que ce soit une coïncidence... soupira Sylga. Même si je n'ai aucune idée de ce qui se passe.

 – Il faut que je contacte Irwan, s'enquit la jeune femme. Et vite. Lui saura. En attendant... Yuling a besoin de moi. Tu m'excuseras, mais il faut que j'y aille.

 Le jeune homme se releva et accompagna Ella jusqu'à la porte.

 – Fait attention tout de même. Si ton élève était visée, il y a des chances pour que l'assaillant recommence.

 Le visage de la jeune femme se ferma. Il avait raison : il venait de confirmer ses doutes, et ce n'était pas une bonne nouvelle.

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