58 - Enquête (2/2)

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 Perchée sur son dragon, au sommet du monde, la température chutait drastiquement. Transie de froid, la jeune femme coupa ses réseaux sensoriels et amorça mentalement sa descente. Des pierriers se dessinèrent bientôt en contrebas, et sous eux, la frontière avec la végétation suivie des premiers conifères. Même à cette altitude, on distinguait très nettement la partie de la forêt qui avait brûlé. La jeune femme sentit l'appréhension la gagner : ce n'était pas sa première mission, mais bien la première d'Elsthyr. Sa dragonne était jeune, la situation, inhabituelle, et l'horreur se dessinait sous leurs pieds ; des pans entiers de paysage calciné, dévoré par des flammes voraces, s'étendaient à perte de vue. L'odeur semblait s'être imprégnée jusque dans le ciel où des effluves de cendres s'élevaient au gré du vent. Combien de candidats avaient péris ? Quel sacrifice ? Et par le sang, pourquoi ? Ella avait pourtant l'habitude des champs de batailles, mais il fallait croire que toutes ces années n'avaient pas suffit à l'y habituer car il rôdait comme un parfum de mort, un parfum de guerre, celle du Sud, qui s'était invité au sein des Huit, elle en était persuadée.

 Préoccupée, elle délimita le périmètre au cours d'un premier vol de reconnaissance, puis, en remontant le sens des flammes inscrites dans la terre, parvint à déterminer le départ de feu. La première gerbe était venue de l'est et s'étalait sur deux dizaines de mètres ; le dragon n'en était pas à son coup d'essai, on ne développait pas une telle puissance du jour au lendemain. Le désastre était à l'image même du lien qui l'unissait à son Maître : exceptionnel. Pour déployer une telle force, leur synchronisation avait dû être quasi parfaite, ce qui la confortait dans l'idée que le couple n'était pas né du dernier solstice. Restait à déterminer comment un dragon de cette ampleur avait pu passer inaperçu ? Il était forcément arrivé par la voie des airs, alors pourquoi aucune patrouille ne l'avait signalé ?

 Un malaise s'immisça peu à peu en elle tandis qu'elle faisait défiler les théories dans son esprit : Comment avait-il pu passer outre la surveillance ? C'était ce point, qui la mettait mal à l'aise. Même de nuit, les Héros d'Anyor étaient suffisamment expérimentés pour repérer un congénère de cette taille. Auquel cas, cela signifiait que certains parmi eux étaient nécessairement impliqués... L'idée même d'une trahison lui faisait froid dans le dos.

 C'était exactement pour ça qu'elle avait redouté la mission de Maître Torrish. Tant qu'elle était à la Dragonnerie, elle parvenait à se détacher de tout ça. Mais confrontée à l'évidence, le doute s'installait. La peur, aussi, de se voir confrontée à une situation qui la dépassait. Comment un dragon de cette taille pouvait-il passer outre la surveillance sans que quiconque n'en fasse mention ? Le constat était effrayant, et ce n'était pas pour la rassurer, surtout avec un dragon blanc qui venait d'éclore.

 Elles survolèrent la zone un moment, puis Ella ordonna à sa dragonne une descente en arc-de-cercle afin de se prémunir du danger si celui-ci devait survenir. Un peu maladroitement, la dragonne s'exécuta. Elles n'avaient que peu volés ensemble, et bien que l'expérience de la jeune femme leur servait, elles manquaient de coordination. Cela se faisait notamment ressentir à chaque changement de direction, ou lorsqu'il s'agissait de se laisser porter par certains courants, comme c'était le cas ici.

 Elsthyr finit tout de même par se poser, sur une colline, loin des terres brûlées, mais suffisamment près de la forêt qui longeait les murs d'Anyor pour qu'Ella puisse aller y jeter un œil. La jeune femme posa prudemment pied à terre. Il aurait fallu être fou pour qu'on l'attaquât ainsi, à découvert, au beau milieu de la journée, surtout en présence de son dragon. Mais n'était-ce pas l'œuvre d'un fou que ces pans entiers de montagne calcinés ? Par ailleurs, l'expérience lui avait appris que la pire des folies était bien de se croire en sécurité lorsque l'on ne l'était pas, et elle se refusait à périr de manière tragique. Elle comptait bien rester en vie, pour elle et pour ses apprenties !

Reste-là. Si le moindre détail te parait suspect, fais-m'en part, prévint-elle sa dragonne.

 Elsthyr gronda profondément et suivit la jeune femme du regard alors que celle-ci parcourait la distance qui la séparait du couvert des arbres.

 La forêt était épaisse et une douce odeur de bois et de végétation embaumait l'air. Si un dragon avait dû se dissimuler, c'était forcément par ici. L'endroit était suffisamment proche de la ville pour que son Héros puisse y pénétrer sans attirer l'attention, et donnait directement sur les versants qui avaient essuyé l'attaque. Elle parcouru du regard les fourrés, chercha au sol, autour d'elle, des indices qui viendraient appuyer sa théorie. Bon sang ! Il devait forcément y avoir quelque chose.

 Elle s'enfonça un peu plus dans la forêt et finit par faire demi-tour en repensant à sa dragonne qui l'attendait sur la colline. Elle ne voulait pas la laisser seule.

 Un grondement sourd retentit dans son esprit, Elsthyr lui répondant qu'elle n'avait pas à s'inquiéter.

 La jeune femme entreprit alors de longer la forêt jusqu'à ce qu'une brèche dans les fourrés n'attire son attention. Les bosquets, ou du moins une partie, avait été arrachés par endroit, probablement pour permettre le passage d'une créature imposante. Sur ses gardes, la jeune femme s'engouffra entre les arbres. Maître Torrish voudrait forcément en savoir plus. C'était une occasion en or : si elle avait vu juste, ils en sauraient peut-être davantage.

 Les traces la guidèrent au fond des bois, jusqu'à l'un des nombreux ruisseaux qui serpentaient aux abords d'Anyor. Elle avait un moment pensé s'être trompé lorsque les indices s'étaient estompés, mais avait fini par retrouver leur trace et soupçonnait ces derniers d'avoir été volontairement effacées.

En même temps, il ne fallait pas être expert pour les trouver, pensa-t-elle en remarquant un crottin de dragon.

 Ce qui l'intrigua, c'était tout de même cette proximité avec la ville. Sans s'en rendre compte, elle s'était aventurée bien plus près des murs de la cité qu'elle ne l'avait imaginé. Elle entendait même les cris des marchands, derrière leurs étals, et des échos de conversations éparses. Tout ça ne pouvait pas être une coïncidence...

 Poussée par la curiosité, elle se laissa guider par les bruits du quotidien, jusqu'à voir se dresser devant elle des remparts de pierre grise, les murs d'Anyor. Ils s'élevaient si haut qu'il lui fut difficile d'en distinguer les gardes, à moitié cachés par les feuillages. Elle chercha tout de même quel intérêt il y avait, à avoir choisi un repère à cet endroit-là, précisément. Car il y en avait un, elle en était certaine. Personne n'aurait pris le risque de se faire repérer sans avoir une bonne raison. Et elle finit par la trouver ! Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine ; dissimulé derrière un monticule rocheux, à l'abris des regards, un passage. Un passage si discret qu'elle ne l'aurait jamais découvert si elle n'avait pas eu une bonne raison de chercher.

 – Il est en ville, murmura-t-elle.

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