49 - Fusion (à réécrire)

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 Elle avait chaud, son cœur battait à tout rompre et ne semblait plus vouloir s'arrêter. Elle se réveilla en nage, dans son lit, alors que deux grands yeux noirs l'observaient.

 – Yuling, murmura Ewa. J'ai mal...

 Elle désigna sa poitrine tandis que des larmes coulaient de ses yeux embués.

 – Je me sens si seule.

 Ewa éclata en sanglots et sortit de la chambre pied nu.

 C'était l'heure.

 Yuling avait entendu l'appel silencieux, elle aussi. Si fort qu'elle avait dû mobiliser toutes les réserves de son corps afin de résister à l'envie de rejoindre le nid. Ses sens en éveil lui donnaient l'impression de redécouvrir la chambre, des ombres nouvelles, la finesse des rayons de lune qui filtraient par la fenêtre. Jamais sa vue n'avait été aussi aiguisée. Pourtant, une douleur lancinante l'empêchait d'avoir les idées claire. Elle avait l'impression d'erreur dans un nuage de coton.

 Elle quitta le lit malgré elle et s'arrêta juste avant de quitter la chambre.

Tu ne peux pas ! Les restrictions du Dragonium sont clairs : personne ne doit sortir de ses appartements !

 Mais la raison ne faisait pas le poids face à l'urgence qui guidait ses gestes. C'était plus fort qu'elle. Une douleur de plus en plus atroce brûlait ses entrailles. L'agonie. Le manque. La solitude. Les règles n'avaient que peu d'importance face à la terreur grandissante qui s'emparait d'elle.

 Les larmes aux yeux, elle traversa la Dragonnerie tel un fantôme, inconsciente mais guidée la certitude que tout ça serait bientôt terminé.


***


 Dame Calwaën s'était réveillée en sursaut en entendant les sanglots d'Ewa. Elle avait d'abord pensé que la petite avait passé une semaine trop éprouvante et qu'elle n'avait pas tenu le choc. Puis, en l'entendant quitter la chambre, elle avait compris.

 En deux secondes, la jeune femme avait enfilé un pull et s'était lancée sur les pas de ses protégées.


***


 La vision diffuse, enveloppée dans un sentiment qui la brûlait de l'intérieur, Yuling gagna le nid. Les sanglots d'Ewa résonnaient jusque dans sa tête, mais son attention était accaparée ailleurs.

 – Encore un petite peu, murmura-t-elle.

 Sa voix lui parut étrange. Elle se demanda même si c'était bien elle qui avait parlé. Mais ses interrogations cédèrent face à son obsession grandissante. Le nid. Son œuf.

 Comme une maman à la recherche de son petit, elle n'avait qu'une obsession. Le besoin déchirant de retrouver sa moitié. De sentir contre elle la chair de sa chair. Son cœur martelait frénétiquement sa poitrine. Le feu qui se répendait dans son corps la dévorait jusqu'à en perdre raison. Elle suffoquait de son absence. Du tourment que la solitude faisait avait fait naître en elle.

 – J'arrive, sanglota-t-elle.

 Elle regarda autour d'elle sans comprendre comment elle avait atterri là, les yeux embués de larmes et le cœur meurtri. Ewa s'était tue. Sa conscience l'avait éclipsée pour ne se concentrer que sur les œufs, devant elle. Et parmi eux, le sien. Son dragon. La moitié de son âme.

 Elle gémit. La séparation l'anéantissait. L'image d'un monde terrifiant s'imposait à elle. Le néant, qui l'engloutissait comme la nuit enveloppe soudain le ciel. Elle tomba à genou, et seulement alors, l'urgence la prit à la gorge. La douleur du lien était si violente que sa vue se troubla. Il était là, juste devant elle. A portée de bras. C'était la fin d'une attente interminable. La rédemption d'un passé qu'elle s'était refusée à accepter.

 Sans plus attendre, la jeune fille parcourut la coquille du bout des doigts. Elle était d'un vert émeraude entremêlé de rouge. Faite d'écailles et de pourpre, de terre et de sang. A travers la membrane brisée, elle effleura ce qu'elle devinait être le dragonneau, et comme l'eau qui se répend dans les champs, toute la douleur s'envola d'un coup. Ses larmes coulèrent. Le désespoir se mua en quelque chose de plus profond, de plus intime. Un sentiment d'amour qui parcourut son corps, ravagea son cœur, s'incrusta dans ses os, dans ses veines, dans son âme.

 Le dragon glissa son museau par le trou qu'il venait de percer. Subjuguée, Yuling le regarda faire. Puis il s'extirpa de sa coquille, s'agrippa maladroitement à son bras, et grimpa pour venir se loger dans son cou, contre sa poitrine. 

Il est blanc... Tout blanc, comme Yör, pensa-t-elle.

 Un sentiment étrange s'empara d'elle. Son contact lui était presque douloureux. Plaisamment douloureux. Elle passa son doigt sur sa tête fine, le fit glisser sur sa crête, descendre sur son dos,  continuer jusqu'au bout de sa queue, dans un ultime instant de plénitude. C'était une dragonne. Une toute petite dragonne. Blanche, comme sa mère. Minuscule, dans le revers de sa tunique. Mais l'amour qu'elle lui portait résonnait déjà à l'infini. Alors elle sut. Elle l'appellerait Fei. Fei comme l'étoile du sud, Fei comme ce morceau de soleil autour duquel commençait à graviter sa vie.

 Fei, fille de Yör.


 ***


 Dame Calwaën avait été alertée par des bruits de pas dans le couloir. L'Appel avait été fort. Très fort. Sans un bruit, elle avait suivi ses apprenties jusqu'au nid et sans un bruit, elle avait assisté à toute la scène avec émotion. Bien qu'elle fut trop loin et qu'il eût fait trop noir pour qu'elle puisse distinguer les couleurs de leurs nouveaux protégés, elle frémissait d'excitation. Une fusion aussi réussie promettait une synchronisation élevée, mais le chemin serait long encore. 

 En faisant demi-tour, elle eut un pincement au cœur en songeant à sa propre dragonne. Combien de temps qu'elle ne lui avait pas accordé d'attention ? Les événements des dernières semaines ne lui avaient laissé aucun répit. Ou peut-être avait-elle choisi de ne pas avoir un moment de libre, pour ne pas avoir à affronter la réalité...

 Alors que sa main se refermait sur la poignée de sa chambre, elle fut soudain prise d'un élan de culpabilité et se ravisa. Voir les deux filles si encline à accueillir leur dragon l'avait secouée. Et si tout n'était pas perdu ?

 Elle devait en avoir le cœur net !

 Furtivement, elle redescendit les escaliers, traversa la cours, et alors que la Dragonnerie dormait d'un sommeil profond, gagna la caverne des dragons.

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