Avant d'arriver sur Morgana

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Pendant que Christophe et Hana dorment dans leurs chambres respectives, Rourik, le ventre gargouillant, se dirige vers le frigo pour se prendre une boîte de conserve pas très appétissante. Pour avoir le plus de prévisions possibles (car la nourriture normale prend beaucoup de place), les voyageurs de l'espace mangent à la place des pâtés froids en tube. Cela a un goût immonde mais remplit bien le ventre. Qu'est-ce que le Nain aurait aimé manger un poulet rôti à la place d'une boîte de purée de carottes, de pois, de patates et de bœuf ! Et combien sa vie dans l'armée draculienne lui manque de ce côté-là ! Au moins, chez eux, les plats dans l'espace sont plus succulents !

Quand il a fini de manger sa boîte de conserve, elle le jette dans la poubelle bien isolée. En sortant de la cuisine, il aperçoit la rousse assise devant la fenêtre, en train de contempler l’espace. Le Nain s’approche de Gwenda en disant :

- Les étoiles paraissent plus jolies quand on n’est pas sur terre.

La fille sursaute. Elle voit le petit homme, jovial et humble, contrairement aux autres qui ne pensent qu'à l'argent.

- Même après cinquante ans de voyage dans l’espace, je les contemple comme si c’était la première fois, car c'est le paysage le plus magnifique de tout l'univers.

Gwenda sourit en guise de réponse. Il reprend :

- Si tu as bien suivi la conversation, tu as remarqué qu'il y a une guerre sur Morgana.

- Oui, c'est ce que j'ai entendu. Mais pour quelle raison y en a-t-il ?

- Pour expliquer, les citoyens en ont marre des colons d'Odin. Ils ne veulent plus payer les taxes et suivre les lois qui privilégient les sylphes. Ils prônent l'économie indépendante. Le roi, lui, n'est pas de cet avis. Il est corrompu jusqu'à la moelle et le retirement de l'Empire lui apporterait des inconvénients.

- De toute façon, tous les politiciens sont avides de pouvoir, dit Gwenda, pessimiste.

- Malheureusement... J'ai beau me faire des illusions que pas tous les politiciens sont comme Mordred, mais au fur et à mesure que la guerre civile se poursuit, je commence à croire qu''ils sont tous pareils.

- Vous avez peut-être raison : peut-être qu'un ou deux ne sont pas corrompus et se soucient du bien-être de leur peuple. Personnellement, je n'ai rencontré que des supérieurs avides de pouvoir, comme mon commandant d'autrefois. Lui, c'était vraiment un soldat arrogant et avide de sang. Puis, il y a le général... Un arriviste !

- En tout cas, tu as bien fait : ce chien méritait la mort.

Gwenda, encore honteuse de ce meurtre, change de conversation :

- Qu'arrivera-t-il si Morgana devient indépendante ?

- Déjà, plus d'armée impériale et de colons. Merlin promet que toutes personnes de toutes origines vivront en harmonie, sur un pied d'égalité, mais moi, je n'y crois pas trop. Le peuple aura trop de haine envers l'Empire d'Odin pour accueillir chaleureusement les sylphes : un grand nombre d'entre partira sûrement.

- Mais c'est génial, tout de même. Prôner la tolérance, il n'y en a nulle part dans la Voie Lactée.

- Oui, c'est vrai mais Morgana a perdu une bonne partie de sa puissance depuis l'arrivée d'Odin. Comment se défendront-ils contre l'Empire de Dracula ? Qui dit que l'Empire d'Odin ne se vengera pas après la guerre mondiale ? Et celui qui remplacera le roi Mordred sera-t-il meilleur que lui ?

- Parlez-vous de Merlin ?

- Non, lui, c'est le leader du groupe des résistants. Il dit qu'une personne non héritière prendra le trône du roi. Il n'a jamais donné son nom.

L'esprit de Gwenda part ailleurs, tourné vers l'au-delà.

- À quoi penses-tu, jeune fille ? questionne Rourik.

- À ce que je ferai en arrivant sur Morgana. Dans le passé, j’ai toujours fait à quoi on m’a destiné : faire la guerre. Maintenant, je me retrouve à devoir tracer ma route toute seule.

- C’est ça, être autonome : c’est savoir prendre ses décisions tout seul. Maintenant, tu peux devenir ce que tu veux être et pas ce que tu étais.

Gwenda repose son regard sur la Voie Lactée, avec son propre reflet sur la fenêtre. Par rapport à la dernière fois qu’elle a regardé son reflet, elle paraît plus mature. Après quelques réflexions, elle dit :

- J’ai l’intention de réunir des gens prêts à se battre pour l’égalité de tous. Une sorte de groupe de guerrier-justiciers.

- Je n’ai pas tout saisi.

- Dans les deux côtés, des gens souffrent pour ce qu’ils sont. Les deux empires prônent un idéalisme eugéniste. Je sais bien que chez vous, vous accueillez tout le monde mais les gens sans magie n’ont pas autant de droit que ceux qui ont des dons surnaturels.

- Je ne te contredirai pas là-dessus ; mon fils aurait pu devenir ingénieur en artillerie s’il avait la possibilité d’accéder aux études. Chez nous, fonder un groupe indépendant et puissant est facile. Si tu veux fonder une confrérie ou je ne sais pas quoi, il faut d’abord que tu attires l’attention des gens, pour avoir de nouvelles recrues.

- Comment puis-je attirer leur attention ?

- Déjà, en commençant par faire des exploits. Tu es une guerrière donc il n’y aura pas trop de problèmes là-dessus, mais il y a autre chose.

- Quoi ?

- Si tu veux mener des guerrier-justiciers, il faut que tu sois convaincante.

- Comment ça “convaincante” ?

- Regarde-toi ; tu es trop jeune. Tu as à peine l’âge adulte. Des guerriers préfèrent encore suivre un meneur qui marche à l’aide d’une longue épée que de suivre un bleu. Ils ont besoin d'un meneur ayant de l'expérience.

- Je ne suis pas une bleue ! J’ai tué une centaine d’Elfes durant la guerre d’Alfheim, quatre groupes de Mousquetaires et le général de l’armée impériale de Dracula ! Ai-je l’air d’une bleue ?

- D’extérieur oui, mais je ne doute pas que tu aies les capacités d’une grande guerrière. Il faudra que tu convainques les autres de te suivre parce que c’est déjà mal parti avec ton passé.

- Mon passé ? J’ai tué un général ennemi, je ne vois pas en quoi c’est mal pour l'Empire d'Odin !

- Non, pas ça ; ce que tu as fait sur Alfheim.

Gwenda ne réplique pas et jette un dernier coup d'œil sur le paysage céleste. Une étoile rouge feu brille de mille éclats. Il est vrai que le meurtre de plus de cent Elfes contre quatre groupes de Mousquetaires et un général, c’est beaucoup. En première position, ce seront les Elfes qui la haïront, puis d’autres magiciens en deuxième position. Alors, elle peut compter en priorité sur les non magiciens, à condition que ceux-ci la fassent confiance et ne la prennent pas pour une psychopathe. L'étoile rouge cesse de briller et devient aussi faible qu'une planète dans la pénombre. Après un long soupir, elle se retourne vers Rourik et dit :

- Alors, j’attendrai quelques années avant d’être prête.

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