Le voyage de deux femmes

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Comme sa jambe était blessée, les deux femmes sont restées dans la grotte durant trois nuits plus tard, avant de partir en voyage. Yvie a été étonnée de la cicatrisation rapide de cette rousse, d'ailleurs. C’est pourquoi elle demande à Gwenda d’où elle vient. Cette dernière n’a pas su répondre, car elle-même se pose cette question parfois. Gravir des montagnes est difficile pour la blessée, mais sa détermination de revoir le général de l’armée, Alessander, est sans égal. Au bout d'un moment, la rousse questionne :

- En fait, comment savez-vous sur les Ancêtres ?

- J'ai cent vingt-et-un ans et durant toute ma vie, j'ai étudié les Ancêtres. Donc, c'est normal que je connaisse beaucoup de choses sur eux !

- Et pourquoi personne ne sait tout ça à part vous ?

Yvie affiche un visage sombre.

- Parce que je vis dans l'ombre.

- Dans l'ombre ? Pourquoi ?

- Personne ne voudrait de moi dans la civilisation. Je vis dans la forêt, en sécurité.

- En sécurité ?! J'ai failli me faire trucider par un ours-épic ! Si, ça, c'est de la sécurité...

- Je préfère être tuée par un ours-épic que par un Mousquetaire Blanc.

Gwenda vient de se rappeler qu'elle était une magicienne.

- Comment ça se fait que vous veniez de parents de deux mondes différents ?

- Ma mère était enceinte de moi quand l’Empire mage a quitté la planète. Mon père voulait prendre ma mère avec lui mais les Mousquetaires Blancs sont arrivés avant leur départ. Elle m'a caché pendant mon enfance.

Après une pause, Yvie reprend :

- Parfois, j’ai l’impression que tu n'assumes pas ta nature.

- Ma nature ?

- Oui, tu es une mage. Tu devrais en être fière !

- Je n'en suis pas une ! Combien de fois devrais-je le répéter ?

- Pourtant, une louve te suivait.

- Vous m'avez espionné ?!

- Oui, tu dégages une aura tellement forte que ça se voit de loin !

- Ben, voyons ! Dîtes-moi. N'êtes-vous pas un peu schizophrène ? Parce que je vous vois parler toute seule, parfois.

- Toute seule ? Non, c'était mon double. Je la vois de temps en temps... Quand je me sens seule.

"C'est vraiment une folle !" Yvie reprend :

- Tu sais que tu es une magicienne mais tu ne veux pas l'admettre. Tu dis que tu ne sais pas qui tu es mais en réalité, tu as des doutes. Tu as grandi parmi les non-mages qui t’ont appris à haïr ceux qui sont dotés de magie. Et là, du jour au lendemain, tu découvres que tu as toi-aussi des pouvoirs. Par conséquent, tu ne sais pas si tu dois te haïr ou non.

- Bon, d'accord ! Je suis au courant de mes dons depuis quatre nuits ! Est-ce que ça fait de moi quelqu’un d’autre ? Non ! Alors ?!

- Enfin ! Maintenant, tu l'assumes !

Gwenda ne sait pas comment cette femme a fait pour savoir autant sur elle. Pourtant, à aucun moment, elle lui a parlé de son enfance ou de ses doutes.

- Comment avez-vous su sur moi ?

- C’est mon double qui me l’a dit. Elle sait tout.

Elle affiche un sourire sans raison. "C'est officiel ! Elle est folle !" Yvie questionne :

- Qui t'a offert cette épée ?

La rousse regarde son épée en répondant :

- Mon ancien maître.

- Maître ? Tu es une esclave ? dit-elle, taquine.

- Non ! Mon maître en combat ! Il s'appelait Gauvain !

- Tiens ! C'est un Franc !

- Oui, il est né ici mais il a vécu la majorité de sa vie en Britannique. Il m'a entraîné là-bas.

- Oui, j'ai bien remarqué ton accent. Tu as du mal à prononcer les "r".

- Merci... Avant de devenir maître de l'Académie, il était commandant. Normalement, il devait être dans la vie civile aujourd'hui mais il a été tué avant... Nous devions partir sur une autre planète...

- Vous étiez amis ?

- Plus que ça. Il était comme un père pour moi.

Yvie reste silencieuse, l'air ailleurs. À un moment, ses yeux fixent un point dans le paysage, comme si elle apercevait quelqu'un. Pourtant, il n'y a personne à part elles.

- Et vous ? questionne-t-elle. D'où avez-vous appris les soins ?

- Par ma mère, bien sûr.

- Elle était nonne ?! s'étonne-t-elle, incrédule.

- Oui, mais elle ne l'était plus au moment où elle a fui avec... Bref, elle ne l'était plus au moment où je suis venue au monde !

"Sujet un peu gênant..." pense Gwenda.

- Si j’étais une elfe, j’aurais mieux soigné ta jambe ! blague Yvie. À ce qu’il paraît, ils n’ont besoin d’aucun médicament pour soigner ! Heureusement que ton corps se cicatrise vite parce que sinon, nous serions encore dans la grotte.

La fille rousse regarde la trace de brûlure d'Yvie.

- D'où vient votre cicatrice ?

- Ça ? dit-elle en le désignant du doigt.

- Oui.

- Ça date de la mort de ma mère.

Cette phrase frappe Gwenda de plein fouet.

- Les Mousquetaires Blancs ont appris mon existence et ont brûlé notre maison. J'ai dû fuir. Ils croient que je suis morte dans l'incendie. Ma mère est brûlée vive.

- Désolée...

- Tu n'as pas à être désolée : c'est à eux de l'être.

- Non, désolée de vous l'avoir fait rappeler.

- Tu ne pouvais pas le savoir. Je pense tous les jours à ma mère, tu sais ? Chaque fois que je touche ou vois mon cou, les flammes reviennent me hanter. Je vois les arbres se faire consumer par elles, je vois le ciel rouge et je vois ma mère carbonisée.

Elle approche tout doucement sa tête de celle de Gwenda. Ses yeux cachent une folie meurtrière.

- Tu sais pourquoi ils nous font ça ? "Pour purifier nos âmes de nos démons" Mais ils mentent. En vérité, ils ont peur de nos pouvoirs. Alors, ils nous humilient, nous maltraitent et nous brûlent. Nous sommes leurs boucs émissaires. Nous sommes leurs monstres. Et ceux qui souffrent le plus, ce sont ceux qu'on nomme "les bâtards". Tu comprends ?

La jeune fille tremble de tout son corps. Les lèvres crispées d'Yvie montrent ses canines pointues. Cette femme cache tellement une haine énorme qu'elle n'imagine même pas la folie qui l'infecte !

- Oui, je comprends, répond-elle, la voix fluette.

La femme blonde recule en se calmant. Elle dit :

- Ne te laisse jamais marcher sur les pieds.

***

Elles quittent la région de la Gabalie mais pas la zone rurale. Le ciel commence à se couvrir. Le vent estival se lève. Une petite ferme se voit à l'horizon, avec des champs et des vaches tout autour. À part ces petits détails, c'est un grand désert noir qui se dresse devant elles sous le ciel noir. Des chauve-souris brisent le silence nocturne, occupés à chasser.

Yvie observe Gwenda. Quelques fois, elle paraît une jeune fille rousse dotée d'une grande beauté et d'assurance mais d'autres fois, elle paraît une magnifique louve rousse. Des gens l'ont pris pour une malade mentale à cause des choses qu'elle voit, mais elle ne croit pas que ce soient des illusions.
Quand elle avait quinze ans, elle a commencé à ne plus suivre les conversations avec sa mère et à vivre dans son coin. Quelques fois, elle oubliait les tâches que cette dernière lui donnait quotidiennement. Cela inquiétait beaucoup sa mère.

Deux ans plus tard, de drôles de voix sont apparues. Sa mère a appelé un psychologue qui a diagnostiqué schizophrénie et a recommandé l'hôpital psychiatrique. Sa mère a refusé bien sûr car les salariés de l'hôpital psychiatrique verraient qu'Yvie était une hybride et n'hésiteraient pas à faire venir des Mousquetaires Blancs pour la tuer.

Alors, Yvie est restée à la maison. Plus les années passaient, plus son trouble mental se renforçait en même temps que ses pouvoirs. Elle a commencé à voir des choses invisibles vers l'âge de dix-neuf ans. Elle a rencontré son double peu après la mort de sa mère.
Gwenda la réveille de ses pensées :

- Dîtes. Connaissez-vous des mages qui parlent avec les loups ?

Yvie se tourne vers elle.

- Non, je ne connais aucun mage... À part nous deux.

- Oh... C'est quoi, vos dons ? questionne-t-elle, déçue.

- Je vois ce que tu ne vois pas, j'entends ce que tu n'entends pas et je sens ce que tu ne sens pas.

- Jolis, vos vers, dit-elle, sarcastique.

- Je fais apparaître de la lumière, du feu et je fais bouger le vent. Aussi, je fais bouger des objets grâce au magnétisme. Mon double, elle, voit le passé, le présent et le futur. Elle me transmet son savoir par des rêves prémonitoires. Elle sait tout, je sais tout

Gwenda ne répond pas. Quelques fois, elle a envie d'abandonner cette folle et continuer son chemin pour mener sa vengeance mais par compassion pour cette femme seule, elle l'accompagne. Avant que le soleil ne se lève, les femmes cherchent un endroit où dormir : elles trouvent une grotte. Pendant que Gwenda dort, Yvie l'observe, couchée. Elle tient son épée dans ses bras. La femme se demande si les soldats dorment comme ça, au cas où des ennemis viendraient. Elle aurait aimé avoir une fille, aussi belle et courageuse qu'elle.

- Elle paraît si fragile.

Yvie se retourne. Une silhouette menaçante se tient debout, dans l'ombre. Elle est chauve et nue. Cette femme s'avance tout doucement vers elle, comme un esprit démoniaque. D'une voix similaire à la sienne, elle chuchote :

- Pourtant, elle cache une grande force en elle. Regarde sa jambe.

En effet, Gwenda a enlevé le bandage car la blessure s'est déjà cicatrisée. On croirait que la blessure date de trois semaines. Yvie l'ignore.

- Oui, et alors ?

- Toi, tu as cette cicatrice depuis cent ans et elle est encore moche.

Yvie pose sa main sur sa cicatrice. Contrairement au reste de son corps, son cou n'est pas doux.

- Oui, mais mon petit cœur d'argent ne connaîtra jamais mon sort.

- Tu l'appelles "mon petit coeur d'argent" ?

La femme mystérieuse se trouve désormais à côté d'elle. Elle est le portrait craché d'Yvie sauf à quelques détails près. Son corps entier est carbonisé. Elle n'a ni poil ni d'oreilles. Ses côtes sont visibles à travers la mince peau qui lui reste. Son visage aux joues creuses s'approche tout doucement vers celui d'Yvie. Elle lui chuchote à l'oreille :

- Tu crois vraiment pouvoir faire revivre ta chère petite fille à travers elle ? Aucune goutte de ton sang ne coule dans ses veines. En plus, elle ne vient ni de Morgana ni de Dracula. Tu perds ton temps avec elle. Tu te fais du mal pour rien.

En montrant ses dents, Yvie murmure :

- Et toi, Yvanna, je te pose la même question. Pourquoi perds-tu ton temps avec moi ? Nous n'avons rien à partager.

- Si, toi et moi partageons beaucoup de choses. La peur, la tristesse, la haine et par-dessus tout, la souffrance. Cette fille ne connaîtra jamais ce que toi, tu as vécu. Elle n'est pas hybride. Elle vient d'un autre monde que toi, tu ne connais pas.

- Pas pour longtemps.

- Pardon ?

- Je compte bien étudier l'artéfact des Ancêtres à fond ! Je saurai d'où elle vient. Elle a besoin de cette vérité.

- Et après ?

- Quoi après ?

- Quand tu lui auras révélé ses origines, elle retournera là-bas et te laissera toute seule. Tu n'y as pas pensé ?

Yvie reste silencieuse. Yvanna a raison : si elle lui révèle ses origines, Gwenda cherchera à tout prix son peuple. Elle capitule :

- Oui, tu as raison. Je serais seule après.

- Nous serons seules, la corrige-t-elle. Tu n'es pas seule, Yvie : tu as moi.

- Justement, je préfère être avec mon petit coeur d'argent qu'avec toi !

Sur le coup, le feu du camp bouge. Yvie sursaute, contrairement à Yvanna qui elle, semble impassible.

- Fais attention au feu, Yvie.

Sur ce, elle disparaît. Yvie observe le feu menaçant. Elle entend le cri de sa mère en train de souffrir. Elle ressent la brûlure sur son cou. Pour ne plus entendre sa voix, elle détourne le regard. Le silence tombe. Elle se sent enfin seule avec Gwenda, son petit coeur d'argent.

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