La dispute

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- Comment as-tu pu faire ça ? C'est la reine ! Tu n'as pas le droit de jeter une médaille d'honneur sur elle !

Gwenda était chez Maître Gauvain. Elle était revenue du Royaume des Francs depuis hier. Quand il avait su ce qu'il s'était passé, il était très en colère. Dans le salon, les murs étaient roses. Les rideaux étaient en soie rouge. Les meubles étaient fabriqués en bois et les canapés en velours rouges. Des tasses étaient posées sur la table, au fond de la pièce. Six chaises étaient rangées autour de cette table.

La cheminée n'était plus utilisée depuis au moins cent cinquante ans, à cause de la venue de l'électricité et des sylphes. Deux épées et un bouclier sont fixés au-dessus de la cheminée. Des livres étaient rangés dans une bibliothèque. Maître Gauvain lisait des romans d'aventure mais aussi de philosophie. Quatre mappemondes étaient posées sur une commode : les quatre planètes de l'Empire. Le dernier n'affichait pas de villes inscrites mais seulement le contour des continents, puisque la planète était en cours d'exploration. La personne qui habitait cette maison grande et chic était un conquérant dans l'âme.

Maître Gauvain était assis sur le canapé, les mains crispées. Son bras droit était posé sur l'accoudoir. Gwenda, elle, se tenait debout, en face de la cheminée.

- Et alors ?! s'énerva-t-elle. Elle l'avait bien mérité !

- Pas vraiment, non ! Maintenant, tu auras de gras ennuis avec le directeur !

Elle ne répondit pas car il avait raison. Ce dernier questionna :

- Et ta main ?

- Quoi, ma main ?

- Tu n'arrêtes pas de la gratter depuis tout à l'heure. Tu as eu une allergie ?

- Mais c'est quoi le rapport ?! Nous sommes en train de parler de la petite peste et vous, vous parlez de ma main ?! C'est juste une main ! Il n'y a pas de quoi s'inquiéter !

- C'est normal que je m'inquiète pour toi !

- Trop parfois ! Souvent, je me demande si vous savez mieux que moi sur...

- Changeons de sujet !

- Voilà ! C'est ce que je disais ! Toujours à éviter le sujet dès qu'il s'agit de moi ! Vous n'êtes pas sincère avec moi !

- Si, je le suis ! Je...

- Non, vous ne l'êtes pas ! Vous n'arrêtez pas de tapoter le canapé avec vos doigts depuis tout à l'heure !

En effet, ses doigts tapotaient nerveusement, comme s'il faisait du piano. Il arrêta de les bouger et dit :

- Gwenda...

- Vous savez quoi ? Vous n'auriez pas dû me prendre sur Nidaheim !

- Ah oui ? Pourquoi ?

- Parce que j'étais mieux là-bas !

- Ah oui ? Tu préfères qu'on t'enferme dans la cave ?

- Ah non ! Ne me faîtes pas rappeler cette expérience !

- Pourtant, tu as l'air de dire que tu préférais vivre là-bas. Donc, je t'en pris. Pars, si tu veux !

Elle ne répondit pas. Elle se tourna vers les mappemondes. Elle s'approcha d'eux d'un air menaçant.

- Vous, avec les mappemondes... Quand je croise le regard de ceci, (elle désigna le globe représentant Nidaheim), je revois mes souvenirs. Je me souviens du noir, des pleurs des enfants et des insultes... Je me souviens aussi de ces yeux rouges qui me fixent avec méchanceté. Quand je pense à l'orphelinat, je ressens de la peur, de la tristesse... Et de la colère aussi !

Sur ce, elle prit la mappemonde et le jeta vers le mur en face. Le craquement fit sursauter Sir Gauvain. Le globe roulait sur le sol en bois pendant que l'autre morceau fit un quart de tour. Il s'arrêta sous la table. Gauvain regardait le globe, sous le choc. Il était immobile, comme une statue. L'adolescente avait les poings serrés. Il leva les yeux sur elle. Lui aussi, il était furieux.

- Va dans ta chambre !

"C'est tout ce qu'il peut me dire ?!" s'étonna-t-elle. Mais au lieu de le dire, elle cria, frustrée. Elle courût vers sa chambre, où elle dormait quand elle n'était pas à l'Académie. Il entendit la porte claquer. Après, des objets lancés... Un moyen d'exprimer sa colère sans frapper les gens.

Pendant ce temps, il réfléchissait. Il était dépassé par tout cet évènement. Il observait toujours le globe. Il s'approcha tout doucement vers cet objet. Il entendait toujours l’adolescente lancer des objets. Vers la porte principalement. Elle était très furieuse contre lui ! Vu l'intensité du choc contre le bois, il ne s'imaginait pas à quel point la reine avait eu mal au front ! Il n'aimerait sûrement pas être à sa place ! Il ramassa le globe.

Rouskie. Le pays dans lequel Gwenda avait grandi durant ses sept premières années. Il regretta aussitôt de l'avoir mis là-bas quand elle était bébé. Et surtout dans une région peu urbanisée... "Chez nous, les Nains, nous sommes très ouverts d'esprit !" lui avait raconté son plus vieil ami. Par contre, il avait oublié de dire qu'ils étaient aussi intelligents pour remarquer qu'une personne était différente.

Soudain, il l'entendit pleurer. La pauvre devait sûrement être perdue. Plus elle grandissait, plus elle se rendait compte de sa différence, plus elle voyait qu'il lui cachait quelque chose. Mais il ne pouvait pas la lui révéler maintenant : elle n'était pas encore prête. S'il lui disait la vérité, elle se mettrait dans une colère noire ! Il valait mieux qu'elle devînt adulte pour qu'il la lui dît.

Tout à coup, un choc le surprit. Elle s’était remise en colère... Alors qu'il y avait un instant, elle pleurait ! Il murmura :

- Ah ! La crise d'adolescence ! Vivement que ça finisse !

***

Dans la rivière, Gwenda lave tout son corps. Ses vêtements ensanglantés sont posés sur un rocher, à côté de la lanterne. Des tas de cailloux longent la source d'eau. Elle frotte ses bras le plus fort possible, pour faire partir tout le sang. Ensuite, c'est son ventre qui passe. Puis, ses jambes. Elle grelotte. Sans compter que l'eau glacée vient des montagnes enneigées du pays ! Elle ne peut pas s'empêcher de s'imaginer sous une douche chaude, chez elle, en sécurité. Sans que personne ne puisse la voir sans ses habits. Aussi fragile qu'une fleur. C'est stupide de penser ça : elle est aussi piquante qu'une rose. En plus, il n'y a personne dans la forêt !

Pendant son lavage, ses souvenirs reviennent à la surface. Alfheim. Les soldats Elfes. Les civils. Tous ces corps éparpillés dans un lac de sang. Il n'y avait pas de lacs rouges sur cette planète mais c'était l'impression qu'elle avait quand elle marchait sur les cadavres, à la fin du combat. Les Draculiens étaient si puissants face aux habitants d'Alfheim : rapides, agiles,... Bien sûr, les Elfes Blancs avaient en leur possession des arcs et de la magie mais ils ne pouvaient rien faire contre les bombardements draculiens.

Pour chasser ces souvenirs, Gwenda frotte encore plus fort son corps au point de se griffer. Elle se sent sale malgré l'eau de rivière qui coule sur sa peau nue. Elle veut être aussi propre que de l'eau de roche. Mais elle ne peut pas revenir en arrière car c'est déjà fait. Elle a tué trop d'innocents.

À bout de nerfs, elle frappe sur la surface d’eau et elle sort, chaude comme une bouilloire. Elle saisit son manteau rouge et elle les lave dans l'eau de la rivière. Tout ne partira pas malheureusement mais il faut au moins enlever la surface. Reste l'odeur du sang qui pourrait attirer l'attention des prédateurs, car ce qu'elle a peur par-dessus tout est l'ours-épic. C'est un animal hybride, croisé entre l'ours et le porc-épic. Armé de longues griffes, il peut tuer un homme d'un seul coup ! En plus d'être grand et fort, il est doté d'épines sur son dos. Par conséquent, le combat rapproché est à éviter !

Elle regarde son reflet. Elle a l'impression de ne pas être sortie d'une bataille. Après son retour d'Alfheim, personne ne la croyait. Ils s'attendaient à voir un soldat avec des cicatrices, qu’elle n'avait malheureusement pas. En plus, elle était une femme, alors... Elle repense au Mousquetaire Gérard Boucher, qui l'a interrogé : "N'es-tu pas aussi une meurtrière ?" C'est vrai : elle est une meurtrière. Elle a tué les Elfes lâchement. "Tu aurais dû mourir toi aussi, et... Et brûlée par les flammes infernales". Sur ces mots, elle s'emporte. Elle saisit un caillou et le jette sur son propre reflet. Le miroir se brouille, avant de retrouver sa netteté petit à petit.

Soudain, un reflet attire son attention. Il se tient sur un rocher en hauteur. Elle ne voit pas très bien dans le noir mais elle peut discerner un quadrupède. Ses yeux dorés l'observent avec curiosité. Gwenda a bien ressenti sa présence tout à l’heure mais elle n'y a pas prêté attention jusque-là. Elle reconnaît son énergie : c'est celui qui l'a guidé jusqu'à la boîte. Sentant son intimité atteinte, elle prend un caillou dans l'eau et elle le lance vers l'ombre. Quand le caillou atterrit sur le rocher, l'ombre se replie en poussant un gémissement. Elle s’exclame :

- Bien ! Barre-toi !

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