La guerre sur Alfheim

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- J'ai tué un enfant ! Tu imagines ?!

Nikita et Gwenda étaient assises sur un rocher, à proximité du camp militaire. Nikita était une Catis Sapiens, une femme-chatte. Elle avait la fourrure noire avec des rayures rousses et des yeux dorés. Elle regardait son amie avec compassion. La rousse avait l'air abattu. Elle la prit dans ses bras et dit :

- Ma pauvre... Tu as dû bien endurer. Il faut dire que le capitaine Asshol est un vrai connard !

- Parfois, j'ai peur de ce que je vais devenir. Est-ce que tu crois que je deviendrais un monstre ?

- Toi ?! Non ! Pas toi ! Tu as un cœur trop gros pour en devenir un. Regarde-toi : tu es en train de pleurer !

- Tu le penses mais j'ai aussi une part sombre en moi.

La femme-chatte ne répondit pas. Elle inspira et parla :

- Nous avons tous douté. C'est normal de douter de soi au début de la carrière militaire. On tue nos premiers ennemis et on s'imagine être comme eux, voire pire. Moi, par exemple, je fais des cauchemars toutes les nuits. Là-dedans, je tiens deux couteaux et je décapite des Elfes. Après, la rivière du Soleil devient rouge sang.

Elle prit une pause. Gwenda regardait les autres soldats qui étaient en train de fêter leur succès. Ils étaient assis autour d'un feu de camp, chacun avec une bouteille de bière dans la main. Comment pouvaient-ils être heureux après avoir massacré un village ?

- Nous avons tous une part sombre mais il faut aussi se pardonner. Tu ne pouvais rien faire pour ce garçon. Soit tu le tuais, soit tu allais en prison.

Gwenda se tourna vers elle. Ses yeux étaient aussi froids que de la glace.

- Si, j'avais le choix. Je pouvais couper la tête du capitaine !

Nikita rit :

- Oh oui ! Ce serait vachement drôle !

Mais Gwenda le pensait sérieusement. Elle aurait bien aimé retourner en arrière et changer. Elle serait peut-être allée en prison mais au moins, elle aurait fait le bien.

- Eh ! Sérieux, Gwen ! Tu ne le pensais pas vraiment ?

- Si.

- Gwen... Si tu n'avais pas tué ce petit garçon, ce serait lui qui l'aurait tué. Ça n'aurait rien changé. Ou alors, ce serait un autre soldat qui s’en serait chargé.

Elle n'avait pas tort.

- Gwen, ne fais pas de bêtise surtout.

***

Dans le gros cheval robotique, appelé Troie-300, des militaires étaient assis sur leurs sièges. Gwenda était à côté de Nikita et de Vlad. Elle avait d'autres amis dans cette machine mais moins proches que l'étaient ces deux-là. Comme tout le monde, elle était stressée de repartir à l’assaut. Avant chaque bataille, elle se demandait si elle mourrait cette nuit-là. Beaucoup de connaissances étaient déjà tombés au combat.

Le chef de l'unité apparût et déclara :

- C'est une nuit comme les autres ! Il n'y a rien à se soucier là-dessus ! Vous vous battez comme d'habitude et si vous mourrez, eh bien... Votre mort ne sera pas vaine. L'Empire vous sera très reconnaissants pour votre participation en guerre !

- Joli discours, se moqua Nikita. On voit qu'il a fait des études de droit.

- Soldate Asmizir ! Vous parlez !

- Oui, chef ! s'exclama-t-elle comme un robot.

Gwenda se retint de rigoler car son amie disait encore "oui, chef".

- Si vous continuez à parler, je couperais votre langue pour la donner aux chats !

Les autres soldats rirent. Ce n'était pas drôle pour le trio car, pour un Catis Sapiens, c'était raciste. La porte du sol s'ouvrit. Ils entendirent des tirs, des coups d'épées et des bombardements. Le chef restait impassible.

- Sautez !

Une fois sur le sol, les militaires s'attaquèrent aux ennemis sur la plaine bleue. Les soldats Elfes étaient très doués à l'arc. Chaque flèche touchait un soldat impérial. Gwenda, Nikita et Vlad croisèrent quelques soldats morts. Ils restaient ensemble : l'union faisait la force. Ils vainquaient chaque ennemi. Le front s'avançait, ils prenaient de plus en plus de terrain. Ils arrivèrent à la frontière du territoire des Elfes Blancs, une grande forêt.

À l'horizon, trônait une ville sur une montagne. Au coeur de la cité, il y avait un château en marbre. La demeure du roi. Si elle gagnait ce combat, l'armée pourrait prendre la forêt et ainsi atteindre la capitale pour l'entourer et installer un blocus. Faire capituler le roi pour qu'enfin, tous les soldats impériaux prissent les citoyens Elfes et en fissent des prisonniers de guerre... Ou des cobayes.

Tout à coup, Vlad se prit une flèche dans le torse. Il tomba à genoux. Gwenda s'arrêta et se tourna vers lui. Du sang coulait de sa poitrine. Il la regarda et dit :

- Partez sans moi.

- Non ! Hors de question qu'on te laisse i...

- Attention ! s'écria Nikita en la saisissant, le bouclier à la main.

Soudain, une bombe n’atterrit pas loin d'eux. Elles furent propulsées en arrière. Puis, le choc.

Après un moment de ténèbres, Gwenda reprit connaissance. Ses oreilles sifflaient. Elle n'entendait rien. Tout autour d'elle, des ombres couraient. De la fumée, de la poussière et du sang. Des corps étaient éparpillés un peu partout... Elle reconnût Nikita. La bombe était assez loin pour ne pas les avoir brûlé mais assez proche pour les avoir fait chuter d'une bonne dizaine de mètres au moins ! Elle se leva sur ses coudes. Sa tête tournait. Elle s'avança vers elle en rampant, trop faible pour se lever. En plus, sa jambe brûlait... Et était bloquée.

Elle arriva près de son amie. Elle fût surprise de voir du sang derrière sa tête, qui avait atterri sur un petit rocher. Elle pleura.

- Non... Niki...

Des cris de guerre s'élevèrent derrière elle mais elle n'y prêta pas attention. Elle était focalisée sur le corps de Nikita. Elle la prit dans ses bras pour la serrer.

- Nikita, ne meurs pas maintenant !

Mais c'était déjà trop tard. Ses membres étaient flasques comme des guimauves. Elle jeta un coup d’œil sur Vlad : il était allongé par terre, immobile. Gwenda se sentit seule maintenant.

***

C'était une nuit comme les autres. Les Elfes Blancs vaguaient leurs occupations. Puis, de nouveau le massacre. Gwenda faisait son boulot comme d'habitude, même si cette tâche était terriblement ingrate. Mais cette nuit-là, quelque chose la fit arrêter quand elle s'introduisait dans la chambre d'une petite fille. Elle était entrelacée par les bras de sa mère, qui lui chantait une petite chanson dans sa langue. La petite enfant pleurait. Quand elles l'entendaient entrer, elles prirent peur.

Elle s'approcha d'elles, pour faire son travail qui lui avait été demandé. Sauf qu'en regardant les yeux terrifiés de la mère et de la fille, elle ressentait une profonde pitié. On lui disait "Les Elfes sont dangereux. Il faut les tuer tous !" mais elles avaient l'air si inoffensives sur le lit...

"C'est la goutte de trop !" pensa-t-elle, à bout de nerfs. Elle jeta son épée et partit en courant, sous les yeux ébahis des filles. Elle avait besoin de prendre l'air. Elle sortit du village pour respirer et penser à autre chose. Quand elle se retrouvait dans les bois, elle inspira à fond la senteur forestière. Des fleurs nocturnes brillaient comme des astres. C'était un joli paysage. Maître Gauvain lui disait : "La Nature offre des merveilles, même la nuit." C'était tellement vrai en plus !

Cette bonne ambiance fût coupée par la voix arrogante du capitaine Asshol :

- Qu'est-ce que tu fais là ? Tu ne devrais pas être au boulot ?

- Je l'ai terminé, répondit-elle, les yeux fuyants.

- Ah non ! Mes soldats, eux, sont encore en train de nettoyer la ville de ces vermines ; ça veut dire qu'il en reste encore et que ton boulot n'est pas terminé. Alors, retourne au combat, soldate !

- Non.

- Pardon ?

- J'ai dit "non" !

Son capitaine s'approcha d'elle, menaçant. Gwenda restait impassible.

- Tu oublies qui je suis.

- Non, je n'ai pas oublié qui vous êtes : vous êtes un gros con.

Il empoigna son cou et l’adossa à un tronc d'arbre. Elle retenait sa respiration.

- A ta place, je ferais moins la maligne ! Moi, je suis un Draculien bien gradé alors que toi... Tu es juste un déchet.

- Alors, tuez-moi, si je ne vous suis pas utile.

Il se tût. Tout à coup, ses yeux se dirigèrent vers un autre endroit. Il la lâcha. Elle reprit son souffle. Elle ne savait pas pourquoi il l'avait lâché jusqu'à ce qu'il s'exclamât :

- Tiens ! Des fuyards ! Je vais m'occuper d'eux !

Il courut à une vitesse fulgurante. Elle reconnut les deux fuyards : la mère et la fille. Son cerveau se mit vite au travail. Son cœur accéléra son rythme.

Que faire ?

***

Samedi 30 Battiblé 5011

Cela fait trois semaines que je suis en guerre. Avant, je m'imaginais marcher sur le chemin de la gloire, l'épée levée vers le ciel, comme dans les livres de chevalerie. Avant, j'avais encore l'âme d'une enfant : je ne connaissais ni la souffrance, ni la haine, ni la mort. Avant, je croyais devenir une héroïne de guerre après Alfheim.

Sauf que ce n'est pas le cas. Pour l'armée, nous ne sommes pas des héros de guerre. Nous sommes juste des pions qu'on pose sur un échiquier. Juste un nombre. "Combien as-tu perdu de pion ?" "Six. Et toi ?" "Cinq." "Échec et mat !" Le gros souci des généraux, ce n'est pas la vie de leurs soldats : c'est celle du roi adverse. S'ils n'ont pas assez d'hommes pour aller jusqu'au bout, ils se replient, mais autrement, ils continuent. Quitte à sacrifier un million de soldats s'il le faut !

La première nuit, j'étais toute excitée en montant dans le vaisseau qui avait une forme d'un ballon dirigeable... Jusqu'à ce que j’aie remarqué la mine sombre des autres soldats. Ils priaient pour une raison que j'ignorais. Leur anxiété a fini par m'infecter. Je me demandais ce qui se passait dehors. Il y avait des bruits d’avions et de bombardements. Puis, notre chef nous a ordonné de sauter.

Après avoir atterri sur le sol, je voyais la guerre sous un œil nouveau. Ce que j'ai vu était horrible ! J'ai vu des hommes se battre, se faire massacrer et tomber comme des mouches. Il y avait plein de corps par terre : certains avaient perdu des membres ou étaient brûlés ! En regardant tout ça, je me suis dite : "Dans quoi je me suis embarquée ?"

Juste après, j'ai eu ma réponse ! Un soldat elfe a foncé sur moi en criant de rage. Avant qu'il n'ait pu lever son épée, par réflexe, j'ai planté mon arme dans son ventre. J'ai regardé ses yeux bridés. J'ai vu dans le regard de ce mage une once d'humanité. J'ai retiré l'épée impériale de son corps. Une nausée m'a saisi. Autour de moi, le monde continuait de bouger pendant que je restais plantée là, à observer le corps inerte de cet homme. Ma première victoire... Pas aussi glorieuse que celle décrite dans les livres. Bien sûr, j'ai déjà tué avant cet Elfe : Maître Gauvain m'a appris à chasser des animaux. Mais là, ce n'est pas pareil... En tuant cet Elfe, j'avais l'impression de tuer mon propre frère !

Je n'ai pas eu le temps de m'agenouiller pour pleurer que d'autres soldats Elfes arrivaient pour m'attaquer. Je me suis alors défendue. Mon cerveau est passé en "Mode Warrior". Seul mon instinct de survie me guidait. Je ne cherchais pas à comprendre si je devais tuer ou épargner. Je ne réfléchissais pas : j'agissais. Plus je tuais, plus c'était facile. À la fin, tuer est devenu une habitude. Le sang était juste du sang.

Aujourd'hui, j'ai l'impression que mes épaules sont lourdes. J'ai l'impression d'avoir du sang collé sur ma peau, que je ne peux pas l’enlever même après une douche. J'ai perdu mon côté d'enfant. Mon innocence. Je n'arrive plus à m'identifier aux héros de mes livres : ils me paraissent maintenant trop gentils. Trop parfaits. Je ne serai jamais comme eux. Le monde me paraît bien plus complexe que je l'imaginais...

Extrait du journal de Gwenda

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