Devant le Fort de Namantes qui se trouve sur les côtes, est construit un gros bûcher. Des villageois sont rassemblés autour de ceci. Les Mousquetaires se tiennent à côté des sorcières attachées. Les civils les insultent à cœur joie : "Allez toutes les deux en Enfer !" "Crevez, sorcières !" "Tu n'es qu'une grosse merde !"

Pendant que le chef des Mousquetaires fait un discours, Yvie s'approche de Gwenda pour lui chuchoter à l'oreille :

- Appelle les loups.

- Mais je ne peux pas faire ça ! Ils vont entendre mon cri...

- À Mercœur, as-tu crié ?

- Non, je l'ai souhaité... Dans ma tête.

- Eh bien, appelle-les par la pensée !

- Silence, sorcières ! aboie l'un des Mousquetaires.

Elles se taisent. Yvie lui répond simplement par le regard : "Fais-le." Alors, de toute sa volonté, elle pense : "Venez à notre aide !" Au moins dix fois. Pendant ce temps, son amie est en train de brûler les liens de Gwenda, en faisant tout doucement afin de ne pas la blesser. Tout à coup, le chef ordonne :

- Toi d'abord !

- Non ! crie Gwenda. Laissez-la tranquille !

Les soldats prennent Yvie par les bras et la traînent jusqu'au bûcher. Ils l'attachent au poteau et ils enlèvent son bandeau. Yvie montre ses dents pour exprimer son mécontentement. Ensuite, un autre Mousquetaire lui coupe ses cheveux pour découvrir ses oreilles rondes. Les villageois poussent une exclamation quand le coiffeur se dégage pour laisser voir le vrai visage d'Yvonne : une demi-vampire.

- Cette bâtarde, commence le chef, a été le résultat d'une union entre une Draculienne et un Morganien ! Elle a fui la justice pendant cent vingt-et-un ans mais aujourd'hui, elle va subir le courroux du Seigneur du Ciel ! Elle rejoindra bientôt le Seigneur du Feu !

L’assemblée hurle. Quand ils mettent le feu au bûcher, un cri strident s'élève dans la foule. Tout le monde se tourne vers la source du bruit. Un loup tire un villageois par le pied. Un autre loup saute sur une femme en plantant ses crocs dans sa nuque. Puis, d'autres loups apparaissent pour attaquer.

Les gens paniquent et courent dans tous les sens. Les soldats de la Reine-Lune sortent les mousquetons pour tuer les assaillants. Pendant ce temps, Gwenda va vers Yvie pour la libérer. Soudain, deux Mousquetaires lui barrent la route. Elle se trouve désavantagée face à eux car elle est désarmée. Alors, elle poursuit le combat principalement en privilégiant les esquives. Au bout d'un moment, elle bloque le coup de l'un d'eux en se protégeant avec son avant-bras. Le mousqueton se casse en deux et Gwenda attrape la lame brisée. Elle plante celle-ci dans la jambe de l'autre. Ensuite, elle donne un coup de poing sur le nez du restant. Elle ramasse l'autre mousqueton, intact, afin de combattre les autres adversaires.

Pendant ce temps, Yvie essaie de brûler ses liens mais difficile avec les mains attachées. Le feu se propage petit à petit. Son cœur bat à mille à l'heure. Sa pire phobie étant le feu, elle est sur le point de paniquer. Elle voit au loin Yvanna, debout en train de l'admirer, telle une spectatrice.

- Méfie-toi du feu, Yvie, murmure-t-elle.

- AAAAAHHH !!!!

Gwenda vient de battre cinq Mousquetaires avec un mousqueton quand elle sent quelque chose de bizarre. Une odeur de brûlé. Elle fait volte-face et voit soudain le bûcher s'enflammer. Le coeur battant, elle court vers le corps qui commence à brûler.

- YVIE !!!

Quand elle arrive au niveau de la montagne de bois, elle recule par réflexe. Une sensation de brûlure traverse son avant-bras droit. Le feu la défend de passer pour atteindre Yvie. Impuissante, elle marche de droite à gauche, en train de regarder Yvie souffrir et réfléchir au moyen de la sauver. Pourtant, elle ne peut rien faire, à part observer son corps se consumer, tout comme celui de Sir Gauvain le jour de ses funérailles. Pourtant, Gwenda refuse que cela ne se reproduise. Les larmes chaudes, elle crie :

- NON !!! JE VAIS TE SAUVER !!!

Les cris d'Yvie la tourmentent. Elle essaie de trouver un chemin où les flammes sont absentes mais rien à faire : elles sont omniprésentes. Elles sont plus puissantes qu’elle. Ça recommence. Déjà qu’elle a perdu l’homme qui était comme son père, elle est en train de perdre la femme qui est comme sa mère. “Pourquoi ?!” se demande l’orpheline. Les visions des funérailles de Maître Gauvain la bouillonnent tellement qu’elle s’agenouille en hurlant de rage.

Tout à coup, un vent violent se lève. Il est tellement agressif que Gwenda faille de manquer l'équilibre. Le feu s'éteint. Quand tout cesse et que le silence s’installe aussi brusquement qu’une chute, Gwenda ouvre les yeux.

Au lieu de voir Yvie, elle a sous son regard une femme avec une tenue abîmée. Elle descend les marches en boîtant et en respirant comme une morte-vivante. Elle tombe. Gwenda se précipite sur elle. Quand la tête chauve se lève vers elle, une vision d'horreur la fait sursauter. La personne qu'elle voit ressemble à un cadavre. Elle a vu des corps brûlés durant la guerre mais pas vivants. Pour elle, c'est encore pire de vivre dans un corps abîmé que de mourir dans le feu. Elle prend Yvie dans ses bras.

La peau d'Yvie est rougeâtre, presque noir. En fait, elle n'a presque plus de peau : certaines parties du corps ont été consumées par les flammes : elle n'a ni d'œil et de joue gauches, ni de lèvres et ni d'oreilles. Les doigts des mains et des pieds sont aussi fins que des bâtons. La poitrine est petite. On voit ses côtes à travers la chair mince. Yvie souffre à cause des sensations de brûlure dans le corps. Gwenda se demande encore comment elle a fait pour survivre jusque-là, mais elle ne se doute pas qu'elle ne vivra pas longtemps.

- Prends mon arc, , dit-elle d’une voix rauque et faible. Il doit être encore... Dans le fort.

- Non ! Pas ça ! C'est à toi !

- Plus maintenant. Il faut bien que quelqu'un prenne soin de mon arc... Pendant mon absence.

Tout à coup, elle se met à rire. "Ce n'est pas le moment de rire !" pense Gwenda, paniquée.

- Yvie ! Ne pars pas !

- Je ne pars pas... Je serais toujours avec toi... Même si tu ne me vois pas.

Son oeil droit, très sérieux, se pose sur elle.

- Il faut que tu me promettes une chose.

- Oui, je t'écoutes.

- Il faut que tu me promettes de rassembler des gens qui... Qui seront prêts à se battre pour ta cause. Promets-moi de rendre le monde meilleur, de... Pour qu'il n'y ait plus de guerre entre les mages et les non-mages.

- Je... Oui, je te le promets.

Elle ment. Elle n'est pas sûre de pouvoir diriger un groupe de résistants et encore moins sûre de rendre le monde meilleur. L'être humain est si doué pour détruire : elle l'a vu durant la guerre sur Alfheim... Et en voyant Yvie carbonisée.

- J'avais une fille... Elle est morte née. J'aurais bien aimé qu'elle grandisse et... Et voir à quoi elle ressemblerait. J'aurais aimé être une mère.

Les yeux de Gwenda s’humidifient encore plus, tandis que ceux d’Yvie fixent sur un point précis :

- Oh ! Regarde ! Le soleil ! Je n'en ai jamais vu de toute ma vie !

Gwenda se retourne. Il n'y a pas de soleil à l'horizon. Juste un ciel noir, des étoiles, des lunes et des nuages formés par la fumée de l'incendie. Comme elle va mourir, elle dit :

- Oui, je le vois. Il est très joli.

- Oui, comme toi, mon petit coeur d'argent.

Une larme glisse lentement sur la joue d'Yvie. L'œil droit se révulse. Son corps se détend. Sa tête part en arrière. Elle rend doucement son dernier souffle, l'air apaisé. Puis, elle part.

Des larmes chaudes coulent sur les joues duveteuses de Gwenda. Elle n'arrive pas à croire... Elle est morte... Elles voulaient partir ensemble et s'installer dans une chaumière. Elles avaient tout prévu. Sauf que des hommes mauvais les ont empêchés de réaliser leurs rêves ! Tout en pleurant, elle arrache un bout de sa manche blanche. Elle l'enroule autour de son orbite gauche pour cacher son œil manquant. Après, elle ferme la paupière droite, afin de donner l’impression qu’elle dorme.

Elle se lève et part vers le fort pour prendre ses affaires, et ceux d'Yvie aussi. Les Mousquetaires n'ont pas l'air d'être là, trop occupés avec les loups. Elle a bien envie de venger la mort d'Yvie mais elle est trop fatiguée pour le faire : ces hommes n'en valaient pas la peine. De toute façon, ils seront châtiés en Enfer.

Gwenda demandera des explications au général Alessander et après, elle quittera l'Empire de Dracula pour toujours.