La lettre de Sir Gauvain

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Ma chère Gwenda,

Si tu lis cette lettre, c'est que je suis mort et que je n'ai pas pu te dire la vérité comme j'aurais dû le faire il y a bien longtemps. Bon, je vais te dire de façon directe : tu es une magicienne.

- Non, sérieux ? dit Gwenda à voix haute, sarcastique.

Alors, tu te doutes de ce que ça veut dire. Tu as grandi parmi les non-mages qui te tueraient s'ils apprenaient ta nature. Comment je l'ai su ? En fait, je l'ai toujours su. Contrairement à ce que tu pourrais croire, je te connais bien avant tes sept ans.

Tout a commencé quand je suis allé sur Niflheim. A l'époque, nous ne savions pas grand-chose sur les Natifs : nous ne savions pas comment ils arrivaient à apprivoiser les animaux aussi facilement qu'on apprivoisait un chien. Nous étions venus pour "nettoyer la zone". Nous avions pour mission de raser tous les villages des Natifs. Comme les Natifs dormaient la nuit et nous le jour, nous profitions de leur sommeil pour les massacrer. Bien sûr, j'obéissais comme si c'était une mission comme les autres. Pour moi, c'était juste des sauvages, des sous-hommes. Certains arrivaient à fuir malgré tout, et nous nous faisions de nouveaux ennemis.

Elle tourne la feuille recto-verso.

Une nuit, nous marchions vers un village natif, comme toutes les autres nuits. Connaissant la routine, nous ne prêtions pas attention aux environs. Par conséquent, des hommes armés nous ont pris par surprise. Nous étions tombés sur des hommes qui chevauchaient des gros ours : certains de mes camarades se faisaient charcuter par leurs destriers. Notre arrogance nous a mené à les sous-estimer. Moi, j'ai eu de la chance : un soldat s'est pris une flèche et a atterri sur moi, et durant le nettoyage, les Natifs m'ont pris pour mort et sont partis retourner chez eux. Comme j'étais blessé et fatigué, je me suis endormi.

J'ai eu de la chance au lever du jour : une femme enceinte en voyage m'a croisé. Au début, elle voulait me laisser mourir au milieu des cadavres mais par humanité, elle m'a emmené à l'abri, dans une grotte. Elle m'a soigné mais sans être tendre avec moi.

Pendant le séjour avec elle, j'ai appris plein de choses ! Bien sûr, nous ne parlions pas la même langue, ce qui rendait la communication difficile. Mais j'ai pu savoir son nom : elle s'appelait Lidistria, qui veut dire "étoile guide" en rikaligwi (une langue mystérieusement proche de la mienne au passage), mais je l'appelais Lily pour faire simple.

Elle lit la deuxième feuille :

J'ai pu apprendre qu'elle était "femme-renarde" (à l'époque, je ne savais pas ce que ça voulait dire exactement), qu'elle avait été violée par un homme et qu’elle était devenue le bouc émissaire du village. Marre de subir ce traitement, elle était partie du village discrètement dans l'espoir de trouver une nouvelle tribu qui voudrait l'accueillir. Ayant entendu des histoires à propos d'un peuple qui vivait en parfaite harmonie, elle avait tenté de partir vers l'est. Mais ce qu'elle ne savait pas, c'était que ce "paradis" était en train d'être envahi par des "hommes pâles". Par conséquent, elle les haïssait.

Plus tard, nous sommes devenus amis. Je dirais même que ça devenait plus qu'une amitié... Un jour, elle a perdu les eaux. Je l'ai aidé à accoucher le bébé... Ou les bébés. C'étaient des jumelles. Même si elles étaient les filles de leur père détesté, leur mère les aimait comme la prunelle de ses yeux.

Malheureusement, ce bonheur fût de courte durée. Les cris des bébés avaient attiré l'attention des soldats impériaux. Ayant l'ouïe fine, j'ai prié leur mère de partir. Comme il était difficile pour elle de partir avec deux bébés, elle m'a confié l'un des deux. Je l'ai alors pris dans mes bras bien fort, pendant que, elle, elle partait avec l'autre. Quand ils sont apparus, ils ont vu un Draculien tenant un bébé Natif et nous ont emmené avec eux. Quand nous sommes arrivés, j'ai revu mon commandant qui m'a reconnu. Il m'a posé tout un tas de questions mais j'ai préféré mentir. J'ai dit que j'étais en train de chercher un camp militaire quand j'avais trouvé un bébé abandonné. Comme ils voulaient te mettre dans un laboratoire, j'ai appelé un ami Nain qui t'a tout de suite emmené sur Nidaheim. Ainsi, ce bébé a grandi dans un orphelinat, sans prénom.

Eh oui ! Ce bébé, c'était toi. Tu avais une mère et une sœur jumelle. Je n'ai aucune nouvelle d'elles depuis notre séparation. Elles ont disparu comme par magie. Je les ai cherchées tous les jours, sans arrêt, mais je ne les ai jamais retrouvées. J'espérais revoir ma chère Lily, pour la rassurer que tu allasses bien. J'ai pris sept ans pour savoir à ce qu'elles sont devenues.

Ella lit la troisième feuille. "Purée ! Quand est-ce que ça finit ?!" pense-t-elle en voyant la longueur de son histoire.

J'ai appris d'un esclavagiste qu'une mère et une petite fille rousses avaient été capturées et vendues au marché noir. Je suis alors allé sur un site de construction où j'ai appris d'un ouvrier que la mère avait tenté de fuir et avait été abattue. J'ai été profondément touché par sa mort, j'ai pleuré, je me sentais coupable de sa mort. Pour ta sœur, elle a été transférée vers un laboratoire d'où elle a fui. Plus aucune trace d’elle. Alors, il ne restait plus que toi.

Je suis allé te rejoindre sur Nidaheim pour te récupérer, au moins pour me racheter de la mort de ta mère et de la disparition de ta sœur. Quand je suis arrivé à l'orphelinat, on m'a tout raconté : les maladies que tu as vaincues, ton enfermement dans la cave... Et le coup du loup. Ça m'a profondément marqué, cette histoire. Quand on m'a dit que tu as su tenir tête à un loup enragé et qu'au lieu de t'attaquer, il a attaqué ton ami Akim, j'ai tout de suite pensé à ta mère et à ce qu'elle disait.

"Homme-loup" ne veut pas dire "homme-hybride" ou "homme sauvage" : ça veut dire "homme qui a un lien avec les loups". J'ai déjà vu ta mère parler avec les renards ; ça m'a beaucoup impressionné. Je n'ai jamais compris ce phénomène. Tout comme elle, tu es forte, courageuse et puissante. Tu as un joli don. Juste une chose que je dois préciser, qui risque fort de te décevoir : tu ne pourras JAMAIS te transformer en loup. Ce n'est pas dans les gènes des Natifs.

"Quoi ?! Mais c'est trop injuste !" pense-t-elle, très déçue. "Après, il dit que je suis puissante !" Elle reprend sa lecture :

Je t'ai élevé comme ma propre fille car quelque part, tu l'es. Pour moi, tu es le plus beau trésor que je n'ai jamais eu. Il faut que tu saches que j'ai toujours hésité à t'avouer la vérité car j'avais trop peur de ta réaction. Je pensais pouvoir te le dire un jour, quand tu aurais dix-huit ans.

Elle se souvient quand Maître Gauvain allait la lui dire quand il a reçu la flèche dans son coeur. C'était trop tard...

Maintenant, il faut que tu saches ceci : j'ai essayé de contacter un ami très cher, qui a réussi à passer la frontière. Nous nous communiquons par radio. Parfois, (quand il peut) il conduit des émigrants clandestins vers l'Empire d'Odin, que ce soit des opposants politiques ou des mages. Cet ami t'a aussi amenée sur Nidaheim. En ce moment, j'attends sa réponse pour qu'il t'embarque pour Morgana.

Elle atteint enfin la dernière feuille, sentant la fin arriver. C'est sûrement là où les mots les plus importants sont écrits.

J'écris cette lettre au cas où l'armée apprenne ma trahison et vienne me chercher pour m'exécuter. Tu dois fuir car il n’y aucune place sur cette planète pour toi. Ta place est ailleurs et tu dois la trouver. Il serait temps pour toi de suivre ta propre voie. Je sais que ce sera très dur car jusqu’à maintenant, tu n’as fait que suivre la route que je t’ai tracé. Je n’aurais pas dû d’ailleurs, car c’était très dangereux et irresponsable de ma part. J'espère que tu me pardonneras pour ma lâcheté : j’aurais dû te dire la vérité plus tôt.

Si je pouvais, je serais venu avec toi mais le destin a décidé du contraire. Sache que durant les moments difficiles et de solitude, je serais avec toi, même si tu ne me vois pas, car je serais toujours dans ton cœur comme tu l’es dans le mien.

Je t'aime très fort.

Ton plus vieil ami Gauvain

Cette lettre a sûrement été écrite avant qu'il prenne sa retraite militaire. Sa main tremble. Elle pose les quatre feuilles sur la commode et se met à pleurer sur son lit, en position foetale. Seule, dans sa chambre.

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