Au fur et à mesure du voyage, leur amitié se renforce. Yvie lui dit souvent qu‘elle a un don, qu’il ne faut pas en avoir peur. Au contraire, il faut qu’elle l’utilise en cas de besoin. Elle lui a raconté qu'elle a rencontré cinq personnes dans sa vie, dont une dont elle est tombée amoureuse. Leur amour était fort car ils étaient tous deux différents des autres. Avant qu'ils n'aient pu atteindre le spatioport, son amant est mort.

Une nuit, Yvie lui a promis de l'emmener sur Morgana, la planète originaire de son père, où des feuilles rouge rubis poussent. L’étoile qui brille Morgana est plus petite que le Soleil et émet moins de rayons ultraviolets. Les habitants sont les magiciens les plus puissants de l’Univers. Ils ressemblent à Gwenda mais leur taille moyenne est plus petite.

Mordred, le roi représentant de la planète, vit en Aermor. Le pays où le vent marin caresse les herbes des landes et les feuilles des arbres. Le pays où l'eau de l'océan tape sur les côtes. Yvie lui décrit beaucoup Aermor alors qu’elle n'y est pas allée une seule fois, si bien que Gwenda se demande si elle ne délire pas dans ses rêves.

Une nuit, comme d’habitude, elles s’installent autour d’un feu de camp pour manger. Gwenda a tellement confiance à Yvie qu'elle confie son passé :

- Quand j'étais petite, tout le monde disait que j'étais différente, mais ce n'était pas pour être méchant. Pour les Nains, c'était normal que je fusse plus grande qu’eux. Ils ne se sont jamais dit d'où je venais car je ne présentais aucune menace pour eux. Enfin, la grande majorité l'était. La dame qui s'occupait de l'orphelinat ne m'aimait pas : elle savait que quelque chose clochait chez moi. Quand nous tombions malades, je guérissais plus vite que les autres... Elle avait peur de moi. Alors, dès que je faisais la moindre bêtise, elle n'hésitait pas à m'enfermer dans un placard ou à m'enchaîner sur mon lit...

Yvie est choquée d'entendre ça.

- Un jour, quand Akim a mordu Katia, moi et certains autres enfants, la dame nous a tous enfermés dans la cave, pour que nous ne contaminions pas les autres dans l'orphelinat.

Elle commence à pleurer.

- Nous avons passé trois semaines là-dedans. Nous buvions de l'eau de pluie qui descendait du tuyau et nous mangions ce qu'il y avait dans la cave. Nous dormions par terre, comme des animaux. Et ça sentait la pisse et la crotte !

Des larmes coulent abondamment sur ses joues. Elle reprend :

- Plus le temps passait, plus les enfants commençaient à perdre la tête. D'abord, ils devenaient pâles, bavaient et maigrissaient en perdant l'appétit. Ensuite, ils devenaient aquaphobes, amnésiques et irritables. Katia était désagréable avec moi car contrairement aux autres, mon esprit ne se détériorait pas. Pour finir, la folie. Les enfants devenaient jaloux et je suis devenue leur bouc émissaire. Ils m'insultaient et me tapaient. Je me laissais faire car je savais que la violence était mal. Je subissais leurs coups sans les rendre, ce qui était le plus difficile car moi-même, j'en avais envie. Un jour, l'un d'eux est allé trop loin. Il m'a plaqué par terre et m'a donné des coups de pieds dans le ventre et dans les côtes. Il m'amochait. Alors, par instinct, j'ai ramassé une bouteille de vin et je l'ai frappé à la tête !

Elle croise ses bras, les épaules lourdes de culpabilité. Yvie la regarde avec compassion. "Cette fille a commis beaucoup de péchés dans sa vie mais elle a tellement souffert..." murmure la voix d'Yvanna.

- Il... Il est tombé inconscient. Il... Je n'ai pas eu le choix ! Les autres ont pris peur et se sont mis à l'écart de moi. Je n'étais plus le bouc émissaire mais un monstre désormais... Même Katia m'a rejeté. Plus tard... Ils se sont étouffés un par un. Morts asphyxiés ! À cause de la maladie. Et moi... Je suis restée vivante ! Il n'y avait que moi au milieu de tous ces corps pourris ! Je suis restée toute seule pendant trois jours avant que quelqu’un vienne ouvrir la porte de la cave. Au début, les adultes se méfiaient de moi, avant de se rendre compte que j'étais en parfaite santé. Le médecin n'était pas content de ce qu'avait fait la dame de l'orphelinat mais elle n'a pas été traduite en justice, car une victime comme moi n'avait pas le droit d'être défendue ! s'exclame-t-elle avec une pointe de colère dans la voix. Depuis ce jour, les autres orphelins ne me parlaient plus. Qui irait parler à une fille qui a survécu à la rage noire ?

"Eh ! Yvonne ! Tu ne crois pas que tu devrais la consoler ?" Yvie répond :

- Moi.

Gwenda écarquille des yeux.

- Je cesserais de parler plutôt à ceux qui se croient normaux, reprend-elle. Ils n'en valeraient pas la peine ! Attends, une enfant qui survit à la rage noire... Ce n'est pas tous les jours qu'on en croise une! Je tire mon chapeau, là !

Yvie prend ses mains entre les siennes et dit d'une voix douce :

- Ils avaient peur de toi car ils savaient qu'ils étaient plus faibles que toi. Alors, pour se sentir plus forts, ils te rabaissaient. Ne laisse personne dire le contraire de ce que tu es. Tu es forte, belle, courageuse et qui a le sens de l'humour, aussi. Ne te doutes jamais de ça.

Elles restent silencieuses. Yvie pose ses yeux sur le ciel. Elle reprend :

- Donc, c'est à partir de ce jour-là que tu t'es rendue compte de ta différence ?

- Oui.

- Chaque étoile se ressemble dans le ciel, mais il y a toujours une ou deux qui sont différentes. Celles-là, on les admire plus que les autres car elles ont du charme.

Ses yeux reviennent sur Gwenda. Tout à coup, Gwenda saute dans ses bras. Yvie, surprise, reste pétrifiée pendant un moment, avant de cèder et de rendre le geste. Elles restent collées ensemble, comme une mère et une fille.

***

Le Jeudi 18 Moisson, Gwenda et Yvie sont en train de marcher quand soudain, elles voient une lumière à l'horizon. La rousse s'exclame :

- C'est Namantes ! Nous sommes presque arrivées !

Yvie sourit.

- Tu sais ? Quand nous serons sur Morgana, nous nous installerons dans une chaumière... Comme des sorcières ! Nous formerons un cercle autour de notre petite maison avec des cailloux pour créer un champ de force.

- Euh... Et comment allons-nous entrer dans la maison, nous ?

- Je ne sais pas encore. Il y a plusieurs moyens d'y entrer... Ça te dirait un serpent ou un scorpion ?

- Berk ! J'ai horreur de ces bêtes-là !

- Je te taquine ! Moi aussi, je ne les aime pas trop. Mmh... Une amulette ?

- Ce n'est pas mal ! Tant que ça ne fera pas trop bling bling !

Elles rient. Yvie reprend, l'air rêveur :

- Tu verras. Nous nous installerons sur les landes, à l'abri de la civilisation. Libres de toutes contraintes sociales. Sans souci. Il y aura la mer pas loin, qui sera encore plus beau quand le soleil se couchera. Nous vivrons toutes les deux, comme une vraie famille.

La jeune fille devient heureuse. Ça y est ! Elle a une mère ! Elle observe les yeux bleus de la femme. Une lueur d'espoir luit dans son regard. Son sourire est aussi gracieux que celui d’un ange.

Tout à coup, une flèche frôle l'épaule de la rousse, en déchirant son vêtement au passage. Yvie, en colère, tire une flèche vers l'un de leurs agresseurs. Gwenda les voit : des Mousquetaires ! Son ami s'écrie :

- Courons !

Elles fuient vers les bois. Après plusieurs pas, Yvie reçoit une flèche dans le mollet gauche et perd l’équilibre. Gwenda s'arrête pour l'aider mais malheureusement, leurs poursuivants arrivent. Ils lancent un filet sur elles. Capturées, elles essaient tant bien que mal de sortir mais les cordes sont clouées au sol par des boules en métal. En s'approchant d’elles, le successeur du Mousquetaire qui a accusé Gwenda de vol, dès son arrivée à Namantes, ordonne :

- Attachez-les ! Demain, nous brûlerons ces sorcières !

Ils enlèvent le filet, attachent les capturées et les emmènent vers le Fort de Namantes. La route qu'ils empruntent paraît aux femmes un chemin vers la mort.