C'est ainsi que commence le voyage de la guerrière et de la louve noire. Sur la longue route menant vers la Gabalie, elles dépassent toutes les obstacles, que ce soit la pluie, la soif, la faim ou la fatigue. Louna prévient Gwenda quand des Mousquetaires arrivent. Comme l'animal ne peut pas accompagner la jeune fille dans les auberges, elle l'attend dehors en dormant dans une tanière.

Au début, Gwenda n'a pas l'habitude de se promener avec un loup mais au fur et à mesure qu'elles poursuivent leur périple voyage, elle s'attache à cette louve. N'ayant plus d'arc, elle s'achète souvent de quoi manger dans une boucherie ou un marché. Personne dans cette région ne prête attention à l'étrangère, croyant qu'aucun criminel n'irait dans un village insignifiant. Mais au cas où, quand Gwenda voit une affiche, soit elle l'arrache, soit elle s'éloigne. Elle vit dans l'anxiété permanente. Quelques-uns l'ont déjà remarqué d'ailleurs, à cause de sa démarche un peu rapide et de son regard fuyant. Elle n'a pas l'habitude de vivre en tant que criminelle.

Le Vendredi 6 Herbafaux, le paysage commence à devenir pentu, les montagnes sont de plus en plus hautes. Une rivière serpente au creux des montagnes, parsemée de milliers d'étoiles blanches brillant à la surface. Beaucoup d'arbres poussent dans cet endroit sauvage et s'étendent à perte de vue. Comme ces montagnes sont vieilles, les roches à la surface les plus courantes sont grenues (granite, péridotite, etc.) mais il y a aussi une présence de roches métamorphiques (schiste, micaschiste, gneiss, etc.). La grosse partie des roches volcaniques sont érodées. La plupart des personnes qui voyagent vers la Gabalie sont des géologues. Il y a longtemps, cette région propice à la vie et calme était une chaîne volcanique en pleine activité, où la destruction et la mort régnaient.

De nombreux nuages noirs volent dans le ciel. De temps en temps, on voit deux quartiers de lune. Gwenda et Louna entendent des animaux hurler, hululer et chanter. C'est un autre monde, loin de toute civilisation. L'air est pur car il n'est pas infecté par la pollution causée par le charbon et le pétrole. Elles sentent seulement les sapins, les chênes, les fleurs et les fruits sauvages...

Quand elles atteignent un panneau écrit "Gabalie", Gwenda s'exclame, tout heureuse :

- Louna, nous sommes arrivées en Gabalie ! s'exclame-t-elle. Tu ne trouves pas ça génial ?

La louve est indifférente à ce qu'elles soient arrivées ou non en Gabalie.

- Tu t'en fous, n'est-ce pas ? grommelle-t-elle.

La louve la regarde avec ses yeux dorés.

- Pourtant, tu devrais être contente. Cette région est pleins d'arbres et de montagnes. Tu devrais t'y faire !

La louve secoue la queue.

- Eh bien voilà !

Soudain, Louna tend l'oreille. Son regard change de lueur : il passe de la sérénité à l'agressivité. Elle pousse un petit grognement. Après cinq secondes, la louve décide de se cacher dans un buisson. Gwenda, inquiète, sort son épée et se cache derrière un arbre. "Les Mousquetaires." pense-t-elle, prête à l'action. Trois minutes passent et toujours rien. D'habitude, ils viennent à cheval. "Comment ça se fait qu'ils prennent tout leur temps ?"

Voilà la réponse. Un voyageur marche sur la route avec une flûte. Il joue un morceau de musique très joyeux. Quand il est parti, Gwenda dit à Louna :

- Tu n'es pas sérieuse ? C'était seulement un musicien ambulant !

Louna gémit.

-Bon, on y va.

***

Gwenda et Louna arrivent dans un village. D'une taille modeste, il a été construit à côté d'une rivière, au creux des montagnes. Le pont mène à l'entrée du village. Sur le mur d'une maison, des traits gradués témoignent la présence de grandes crues dans le passé. Aujourd'hui, peu d'eau descend des montagnes. Les uns pensent que c'est dû au réchauffement climatique, d'autres pensent que c'est dû à la colère du Seigneur. Dans les deux cas, c'est la faute de l'Homme.

La Gabalie compte huit baronnies. La huitième baronnie, dont Mercoeur fait partie, n'a existé que dix ans après les sept premières, c'est-à-dire en 2514. Une légende raconte que les sept premières baronnies ont été attribuées aux sept fils d'un baron. Quant à la huitième, elle a été donnée au père de la femme du baron, qui était contre leur mariage, dans le but de le faire calmer. Elle est d'ailleurs très petite par rapport aux autres.

Ayant très faim, elle va prendre son petit déjeuner. Louna attend Gwenda comme d'habitude, dehors. Dans l'auberge, il n'y a personne à part la dame du bar. Gwenda s'assied sur l'un des tabourets et elle commande un plat. La femme apporte le plat commandé. Elle le mange.

- Qu'est-ce qui vous amène en Gabalie ?

Gwenda réfléchit avant de dire :

- Je vais voir des amis, dit-elle, ironique.

- Oui, j'aurais dû m'en douter. Cette région n'intéresse aucun touriste : qui voudrait visiter une simple statue toute pourrie ? C'est à peine si elle tenait debout !

- C'est quoi, comme statue ?

- Un loup.

- Ah oui ! Très intéressant ! rigole-t-elle.

- Ah ! Vous, les Britanniques... Toujours aussi snobs.

- Nous aussi, nous disons pareils de vous. En plus, je ne vois pas en quoi blaguer serait snob.

Silence. Gwenda pense : “Un point pour moi !” La dame du bar répond :

- Bon, je vais faire comme si je n'avais rien entendu...

- Pourquoi un loup ? demande Gwenda.

- On dit que le fondateur de Mercoeur était le premier Draculien à avoir apprivoisé un loup. Certaine légendes racontent qu'il avait grandi dans une meute, d'autres disent qu'il était né loup avant d'être transformé en humain par les dieux.

- Par les dieux ?

- Oui, cette légende remonte il y a deux millénaires, avant que le lithisme ne soit officiel. Saviez-vous qu'une religion polythéiste était pratiquée par de nombreux habitants de cette région même après l'officialisation du lithisme ?

Le lithisme est la religion officielle des Francs. La seule religion légale. Gwenda dit :

- Non, ça m'étonne. Il y encore des pratiquants par-ici ?

- Non, plus maintenant. Ils ont été décimés par les Mousquetaires Blancs.

- Donc, je conclue que la religion n'existe plus depuis Louise XIV.

- Oui. C'est tristre, n'est-ce pas ?

- Oui... Ils sont comment, les meneurs de loups ?

- Comment ? Ben ! Comme nous, voyons ! dit-elle, vexée. Vous voulez qu'ils ressemblent à quoi ? À des gobelins ?

- Non, je voulais juste savoir, c'est tout.

- Oui, c'est ça... Mais les traditions disparaissent de plus en plus. Les Meneurs sont souvent considérés comme des sorciers, alors qu'ils ne le sont pas en réalité. Tout ce qu'ils font, c'est soigner les loups. Ce sont ceux qui ont appris à les apprivoiser pendant des années. Et eux, les Mousquetaires Blancs, histoire de passer du temps, les jettent au bûcher ! Moi, je vous dis, c'est eux qui doivent être sur le bûcher !

"Si je pouvais, j'aiderais les Gabales", pens-t-elle. Gwenda, contrairement aux Meneurs de loups, n'a pas pris des années pour apprivoiser un loup. Le premier loup apprivoisé s'appelle Mimi, quand elle avait six ans. Elle est venue vers lui aussi naturellement qu'une personne rencontre une autre personne. Cela la perturbe. Elle rend son assiette vide. La femme du bar met l'assiette dans le lave-vaisselle. Elle questionne :

- Dîtes-moi : de quelle maladie souffrez-vous ?

- Pardon ?

- Vous n'avez pas de canines.

- Vous m'avez vraiment pris pour une Draculienne ? Je n'en suis pas une !

- Oh ! Pardon ! Cela explique pourquoi ! D'où venez-vous ?

Elle ne répond pas ; elle se contente juste de hausser les épaules. Elle sort de l'auberge et revient vers Louna. Elle est assise, droite, comme toujours. Comme un chien discipliné !

- Sérieusement, tu devrais un jour trouver une meute pour t'accueillir. Je ne peux pas toujours te garder.

Elle gémit.

- Non, je suis sérieuse, là ! Une louve seule... C'est triste ! Je croyais que les loups solitaires n'étaient qu'une légende !

Une ombre se tient entre les arbres, au sommet d'une colline. Elle les observe passer dans la rue, curieuse.

***

Deux jours plus tard, Gwenda et Louna arrivent à Mercœur, une petite ville. Au centre de celle-ci, une petite église, aussi vieille que les petites maisons du centre-ville, est bâtie suivant le style romane. La mairie se trouve dans la partie est. La peinture sur les murs des habitations a presque disparu, laissant voir les briques rougeâtres. La majorité des villageois sont des bergers, des fermiers et des agriculteurs. La population vieillit : les jeunes quittent le village pour une vie meilleure, dans les grandes villes. Par conséquent, la population a baissé de soixante-quinze pour cent en deux cents ans. “Pas très glorieux pour une capitale régionale.” pense la rousse.

Sur un carrefour, est construite une petite statue. C'est un loup, tout ce qu'il y a de plus modeste.

- C'est ça, la statue du loup ? On dirait un chien ! se moque-t-elle. Et où est le premier meneur de loups ? Ç’aurait été mieux !

Elle rit. Louna grogne après la statue.

- Eh ! C'est juste une statue. Elle ne te fera pas de mal ! Regarde.

Elle donne un coup de pied pas très puissant sur la statue.

- Tu vois ! Il n'y a rien à craindre...

- Eh ! Laissez cette statue tranquille !

C'est un passant très grognon qui a crié. Gwenda voit qu'il est un peu fortuné par ses vêtements aux couleurs vives.

- Désolée !

- Et attachez votre animal de compagnie ! On est en zone urbaine !

- Oui, d'accord !

Elle se tourne vers Louna.

- Maintenant que j'y pense : ils n'ont pas l'air de se soucier que je sois accompagnée d'un loup. Bon, ils doivent me prendre pour un Meneur de loups, vu le folklore ici.

Elles partent vers le fort de Mercœur, qui se trouve à quarante kilomètres de la ville. Une jolie femme les observe. Elle doit être autour de cent vingt ans (l'équivalent de trente années de vampire). Elle a le visage fin, pâle comme un linge, et les lèvres pulpeuses. Ses cheveux raides sont blond vénitien. Ils sont attachés en un chignon. Un bandeau rouge bordeaux couvre ses oreilles. Elle a de nombreuses cicatrices sur le corps, dont une marque de brûlure sur la partie latérale gauche du cou. Elle porte une tenue en cuir noir et un pantalon. Elle tient aussi un arc en métal blanc, sur lequel sont gravés deux têtes de loup. Elle affiche un petit sourire énigmatique. Ses grands yeux bleus très clairs, curieux, voient des choses invisibles. Elle voit en cette fille rousse une aura forte et sauvage.