Assise devant un arbre, Gwenda mange son sandwich pendant que le loup la regarde, affamé. Elle remarque sa mine triste et dit :

- Quoi ? Je t'avais dit que si tu me suivais, tu n'aurais rien à manger !

Il gémit. Elle a presque envie de céder à ses caprices. Si seulement elle savait ce que peuvent manger les loups, elle aurait donné son sandwich ou non sans hésiter. Mais comme ce n'est pas le cas, elle préfère éviter de prendre des risques.

- Non.

Il se couche et pose son museau sur le sol sans quitter la rousse du regard. Il mendie. Elle ne regarde pas ses yeux dorés, pour ne pas céder à la pitié. Chose qu'elle a apprise sur Alfheim, quand elle devait exécuter des civils.

- Tu auras ton plat ! Quand je t'aurais trouvé un bon poulet rôti au supermarché. Si j'avais encore mon arc, je t'aurais chassé un bon lapin... Mais pourquoi tu ne chasserais pas toi-même !

Le loup se lève et part en courant, laissant Gwenda ébahie. "Est-ce qu'il vient de me poser une colle ?!" Après qu'elle ait fini de manger sa part de tarte à la fraise, le canidé revient... Avec un lapin noir dans sa gueule. Quand l'animal le lâche, elle sursaute. Le loup bouge sa queue, tout content. La jeune fille répond avec un air de dégoût :

- Euh... Je ne mange pas ça. Mange-le, toi.

Le loup affamé s'acharne sur son repas. Elle s'éloigne de lui, pas parce qu'elle est dégoûtée mais parce qu'elle est perdue. Perdue parce que tout ce qui lui arrive sort de l'ordinaire. "Je n'arrive pas à croire qu'il me comprend." pense-t-elle. En effet, elle a l'impression que chaque mot prononcé est compris par l'animal. La preuve : Gwenda lui avait dit qu'elle chasserait un lapin pour lui si elle avait son arc et plus tard, le loup vient avec un lapin ! Si ce n'est pas une blague !

Ayant envie de se débarrasser de cet étrange animal, elle parle :

- Après, tu partiras pour te trouver une nouvelle petite copine !

Soudain, le mâle grogne. Elle sursaute.

- Quoi ?! Qu'est-ce que j'ai dit de mal ?! Tu ne veux pas me quitter ? Je te signale que je ne suis pas une louve !

Nouveau grognement. Elle réfléchit avant de fixer les pattes-arrière du loup. Elle soulève l'une de ses pattes...

- Oups ! Désolée...

"Quelle conne je fais !" se reproche-t-elle. Elle se rassied et regarde la louve, qui retourne sur son repas presque entamé. Elle a une fourrure noire avec quelques taches blanches et des yeux dorés. Un petit croissant de lune entoure son œil droit.

- Tu as un nom ? lui demande-t-elle.

La louve ne répond pas. Elle mâche les os pour attraper des restes de viande. “Au moins, elle ne parle pas.”

- Que dirais-tu de Louna ?

Elle relève la tête. Sa queue bouge en guise de réponse.

- Bon, va pour Louna.

Elle lève sa main pour recevoir un coup de patte, qui ne vient pas.

- Donne-moi un coup de patte, idiote !

La femelle grogne.

- Ok ! Pardon de t'avoir traité d'idiote. Donne-moi un coup de patte, Louna.

Après avoir fini de manger son lapin, la louve donne un coup de patte sur sa main. Après, elle se couche à côté de Gwenda, comme un chiot. La rousse cogne sa tête contre le tronc. Elle pense : "Je suis maudite."

***

Sur le chemin, Gwenda est suivie de la louve Louna. Pour la première fois de sa vie, une chose impossible est en train de se produire. Non, pas impossible : surnaturelle ! Elle pense : "Pourquoi une louve est-elle en train de me suivre ?" Elle se demande si ce n'est pas l'animal qui a un problème. "Peut-être qu'elle est comme Mimi, abandonnée ?" Elle se tourne vers Louna. La louve la regarde, interrogatrice. "Je n'arrive pas à croire que je vais parler à un loup." se dit-elle, incrédule.

- Puis-je savoir où est ta meute ?

En guise de réponse, elle gémit. La rousse est terrifiée parce qu'elle a l'habitude de vivre une vie rationnelle. Elle a grandi dans une ville urbaine, où règnent les sciences et la technologie. Le surnaturel n'a aucune place dans la société. Tout évènement est expliqué par la Science... Sauf dans le monde des magiciens.

"Oui, ça peut être de la magie." conclue-t-elle. Mais alors, comment peut-elle élucider ce mystère puisqu’elle n'est pas mage ? Elle tente de faire plusieurs hypothèses possibles mais non rassurantes : soit cette louve noire est une louve-garou, soit une princesse sur qui une vieille méchante sorcière a jeté un sort, soit c'est un animal fantastique... Elle cherche aussi des explications rationnelles : une louve mutante ou super-intelligente. Oui, c'est moins surnaturel mais un peu tiré par les cheveux.

Mais une chose est sûre : c'est un évènement extraordinaire.

Gwenda tente de se calmer : "Bon, tu as survécu à une guerre. Tu ne vas quand même pas flipper face à une louve mutante !" Elle jette un coup d'œil sur le canidé. Il a l'air serein. Cela l'énerve. Elle se tourne vers elle et s'exclame :

- Bon, tu vas arrêter de me suivre ?! J'en ai plus que marre d'être accompagnée par un animal sauvage ! Et en plus, c'est flippant ! Donc, lâche-moi !

Louna la quitte. La jeune fille est surprise par cette facilité. "Bon, ce n'était pas si compliqué que je n’aurais cru." pense-t-elle. Mais bizarrement, elle se sent mal car elle est maintenant seule.

"Bon, il faut que je continue."

***

Le lendemain, Gwenda arrive dans une auberge mal fréquentée, du nom de La grenouille maladroite, nom qu’elle ne trouve pas attirant. Beaucoup d'hommes boivent et hurlent comme des veaux. Elle apprend beaucoup de choses en les écoutant, comme quoi une fermière a marché sur des œufs ou alors, qu'un gamin a emmené avec lui un petit rat chez sa mère qui en avait la phobie. De vraies bavards, quoi !

Elle rencontre la femme qui tient le bar. Pour une fois que c'est une femme...

- Puis-je vous servir quelque chose... Ma demoiselle ? dit-elle en regardant son pantalon.

- Un bon steak, s'il vous plaît !

- Désolée, on n'en a plus : les chasseurs ont fini tout le stock ! Ces temps-ci, ils sont nombreux !

- Pourquoi ? Ils chassent quelqu'un ?

- Non, plutôt quelque chose.

- Quelque chose ? C'est quoi exactement ?

- En fait, ce mois-ci, c'est le mois de la chasse. Pendant que les paysans se reposent, les seigneurs, eux, chassent. C'est leur activité préféré. Personnellement, moi, je n'aime pas ce genre de chose : je trouve ça barbare. Apparemment, cette semaine, ils chassent des loups.

Les yeux de Gwenda deviennent ronds comme des billes. Elle pense tout de suite à Louna, la louve sans meute.

- Comme les bergers n'arrêtaient pas de se plaindre des loups, les chasseurs se sont chargés de cette affaire. Il faut dire que ces bêtes sont nuisibles ! Déjà que nous avons des problèmes avec l'épidémie, nous perdons en plus des moutons !

Gwenda reste silencieuse. "Si ça se trouve, ses copains sont morts."

- Ma demoiselle ?

- Est-ce que les chasseurs ont vidé le stock des spaghettis ? demande-t-elle pour changer de sujet.

La femme du bar la regarde, interrogatrice. Elle répond :

- Non.

- Alors, est-ce que je peux avoir une assiette de spaghettis... Et une côte de boeuf, s'il vous plaît.

- Eh ben ! Vous avez drôlement faim, jeune fille ! s'exclame-t-elle, étonnée.

- Parce que j'ai une faim de loup, dit-elle en souriant.

Mais la femme ne rit pas. "Moi qui croyais que les Francs avaient le sens de l'humour..."

Après le déjeuner, elle part avec la côte de bœuf dans la main. Les passants lui jettent de temps en temps un drôle de regard en s'interrogeant si cette fille est normale. Mais Gwenda ne leur prête pas attention. Une fois dans la forêt, elle l'appelle, même si c’est idiot de le faire dans un milieu sauvage.

- LOUNA !!!

Soudain, elle entend un hurlement. Elle court vers la source de ceci, espérant que ça vient de la louve. Au bout d'un quart d'heure, son sixième sens commence à s'éveiller. Elle se laisse guider par celui-ci. Plus tard, elle a un mauvais pressentiment. Est-ce que Louna va bien ? Elle espère que oui.

Sauf qu'en arrivant dans un endroit bien dense en arbres, elle retrouve la louve, cachée derrière un buisson, en reconnaissant ses yeux dorés. Elle a l'air stressée.

- Ah ! Louna ! Te voilà ! s'exclame-t-elle, heureuse.

Tout à coup, elle entend un grognement familier derrière elle. Elle se retourne. Un coup de patte se fend sur elle. Elle l'esquive par réflexe, en allant sur le côté. Elle s'éloigne vite de la créature. Elle est grosse, piquante... C'est l'ours-épic qui l'a fait tomber de la falaise ! Ça y est ! Elle se souvient, maintenant !

Sa respiration devient saccadée. L'ours-épic n'a jamais été si proche d'elle. Elle pose sa main sur la manche de son épée, prête à l'attaque. Quand l'ours-épic s'apprête à lui faire du mal, Louna se lance sur lui en mordant sa patte arrière, là où il n'y a pas de piques. Et dire qu'elle allait s'occuper elle-même de cette grosse bête...

Gwenda profite de ce moment d'inattention pour lui trancher l'œil gauche. L'ours-épic émet un gémissement et grogne de rage. Il dégage Louna avec sa patte et pousse violemment la guerrière. Elle est projetée en arrière. Son dos percute un tronc d'arbre. Elle tombe par terre. Pendant que la grosse bête s'approche d'elle d'un air menaçant, elle se relève difficilement malgré que sa colonne vertébrale souffre.

Soudain, la louve revient à l'attaque, plus agressive que jamais. Elle vise cette fois-ci la partie latérale de son abdomen. La bête souffre et essaie de la dégager, même s'il n'est pas très souple. Gwenda saute sur son dos en évitant de toucher ses épines. Pourtant, quelques-unes déchirent ses vêtements. Heureusement qu'il n'en a pas autant qu'un porc-épic !

Avant qu'elle ne puisse planter son épée dans son crâne, le prédateur se lève sur ses des deux pattes en se secouant. Il recule et frappe son dos contre un arbre. La guerrière s'accroche à lui en empoignant les épines, sans toucher les bouts pointus. Elle essaie de résister aux nombreux chocs mais malheureusement, elle lâche.

Elle atterrit sur le sol. Louna est envoyée par l'ours-épic vers un arbre. Elle ne se relève plus. Pendant que la grosse bête s'approche de la louve noire, Gwenda se remet sur ses deux pieds, les membres tremblants. Elle tient dans sa main une épine déchirée.

Quand elle aperçoit l'ursidé ouvrir sa grande gueule pour mordre, animée par une nouvelle rage, la rousse se lance sur lui en s'exclamant :

- Ne la touche pas !

Elle saute sur son cou. Il se lève vite sur ses deux pattes. Pendant qu'il secoue dans tous les sens, elle s'accroche à lui et, au bout d'un moment, elle plante son épine dans son œil. Soudain, il tombe à la renverse avec Gwenda. La combattante roule par terre sur le côté.

Elle se couche sur son dos pour reprendre son souffle. Après dix secondes de silence, elle regarde le corps de l'ours-épic : du sang coule de son œil droit. La pique en kératine a été plantée bien profondément, assez pour toucher le cerveau. Avec regret, elle se dit : "J'aurais dû faire ça bien avant de tomber de la falaise !"

Elle se tourne vers Louna. Elle vient de se réveiller mais elle n'est pas au plus haut point. Elle a l'air claquée ! Gwenda marche à quatre pattes jusqu'à elle. Sur le chemin, elle reprend la côte de bœuf qu'elle a fait tomber tout à l'heure. Elle s'agenouille près de la louve en disant :

- Tiens ! T'as bien mérité ça.

Louna mange la viande cuite, très affamée. C'est le début de leur amitié.