La Soif du Sang

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Depuis une semaine, elle voyage à pied. Il lui reste encore trente jours ou plus pour arriver en Gabalie. Elle n'a croisé aucun cocher sur la route jusque-là. “Heureusement qu'il y a des auberges où m'arrêter avant le lever du soleil car sinon, je serais cuite comme du bacon !” pense-t-elle, en train d’écrire son journal intime.

Quelques fois, elle s'arrête dans un village pour manger mais d'autres fois, elle chasse dans la forêt, pour ne pas avoir le ventre vide. En plus, elle n'avait pas prévu de voyager durant plus d'un mois dans ce pays. “Mon porte-monnaie n'est pas un trésor !” écrit-elle dans son journal.

Soudain, une branche bouge. Brusquement, elle lève les yeux au ciel. C'était un mulot grimpeur qui passait par-là. Les nuages commencent à couvrir. Il devient de plus en plus sombre, et cela l'effraie encore plus. Elle déteste le noir depuis toute petite ! Et cela la terrifie encore plus en entendant les branches des arbres, les hululements ou autre. On ne peut pas savoir ce qu'on va croiser dans les ténèbres sylvestres. À côté de sa lanterne de poche, elle continue d'écrire.

Quand elle est dans la forêt, elle a l'impression de retourner dans son enfance. À l'orphelinat, elle allait dans l’étendue sylvestre. Un jour, elle a trouvé une petite créature blessée qui ressemblait à un chiot des neiges. Elle rendait visite à Mimi pour voir comment il allait, en compagnie de Katia et d'Akim. Ils s'occupaient bien de lui. Katia ne cessait jamais de dire "Trop mignon !" alors qu'Akim se méfiait du petit animal. Il disait qu'il était sauvage pour un chiot. Il avait raison sur ce point. À leur âge, ils ne connaissaient rien de la forêt !

Subitement, elle entend un hululement à proximité. Elle sursaute. C'est un hibou qui la fixe du haut d'une branche. Ses yeux dorés reflètent la lumière de sa lanterne de poche. Il lui fait peur avec son cou rotatif !

Tout à coup, elle sent une présence. Forte et sauvage. "Maître" a demandé Gwenda à son maître, une nuit. "Oui ?" a dit Maître Gauvain. "Je ressens une présence ici. Vous la ressentez ?" "Non. Pourquoi ?" "Non, rien. C'est peut-être dans ma tête..." a-t-elle fini par répondre.

Cette présence... Lui est familière. Chaque fois qu'elle entre dans le monde sauvage, elle la ressent. À quelques moments, elle est faible et à d'autres moments, elle est forte. C'est comme si elle ressentait la présence d'une personne ou de quelque chose, en fonction de la distance qui les sépare. Comme si elle avait un sixième sens...

Effrayée, elle range son journal intime dans sa sacoche et prend la lanterne de poche avec elle.

Trente jours encore avant d'arriver en Gabalie.

Trente jours encore avant de trouver l'assassin de Maître Gauvain.

***

Dans les ténèbres de la forêt, des gouttes de pluie tombent abondamment. Gwenda est armée de son arc de chasse et sa lanterne de poche est accrochée à sa ceinture. Elle ne voit pas très loin avec la pluie car les gouttes tombantes forment un écran de lumière orange. Elle a froid. Elle éternue. "Je suis en train de choper la crève." Se dit-elle, non joyeuse.

Mais elle est obligée de chasser dans ces conditions : si elle ne mange pas, elle meurt de faim ! En plus, chaque fois qu'elle va dans un village, elle risque de se faire prendre. Ils ont collé sa photo partout ! Avec une grosse prime de trois cents cinquante mille francs ! À croire qu'elle est extrêmement dangereuse... Et elle ne contredirait pas ça.

Au bout d'un moment, la pluie s'arrête. Elle voit soudain un cerf en train de brouter. Elle s'accroupit pour l'observer. C'est un cerf nocturne à la fourrure noire. Ses cornes sont très petites. Il reste tout de même beau ! Dommage qu'elle doit le tuer...

Elle repousse cette pensée. Elle doit manger. C'est soit ça, soit la mort. Elle a appris cette leçon avec Maître Gauvain, mais encore plus sur Alfheim. Ils n'avaient pas de problème de nourriture là-bas, mais toutes les nuits, ils étaient confrontés à la mort. "Soit c'est nous, soit c'est eux." était le proverbe préféré des soldats impériaux. Là, c'est pareil : soit c'est le cerf qui meurt, soit c'est elle.

Elle éteint la lanterne pour ne pas attirer l'attention de l’animal. Les phrases de son ancien maître se répètent dans sa tête : "Ne pense qu'à une seule chose : ta cible. Ne pense plus à rien d'autre." Elle souffle doucement. Elle sort une flèche. "N'aie aucune pitié. Tu dois penser à toi et à rien d'autre." Elle brandit sa flèche vers sa proie. Elle tire sur la corde...

Soudain, une ombre saute sur le cerf. Ce dernier pousse un cri. Puis, plus rien. Sur le coup, Gwenda est figée. Elle a desserré la corde de l’arc sans pour autant lâcher la flèche. Son cœur bat à mille à l'heure. Elle n'a pas eu le temps de voir qu'est-ce qui a bondit sur le pauvre animal. Un loup ? Un ours?

Elle se ressaisit. Elle tend son oreille. Aucun son. Alors, elle marche vers l'endroit où était le cerf. Plus elle s'approche, plus elle entend un petit bruit bizarre. Cela ne lui plaît pas du tout. Ce doit être une créature qui mange.

Malgré la raison qui lui dit de s'éloigner du prédateur, sa curiosité l'emporte. Elle s'approche à pas de loup pour ne pas attirer l'attention de l’animal dangereux. Elle va tout doucement vers un buisson puis regarde à travers les feuilles bleues. Elle discerne une ombre. Elle a des mains. Elle ne peut pas croire ça : aucun animal dans les forêts de Greenland a des mains !

Alors, elle lève lentement sa tête pour mieux voir. Un homme est en train de... D'embrasser le cerf sur le cou ? En entendant le bruit caractéristique d'un sucement, elle pense : "Non, il le suce ! C'est un infecté !" En effet, c'est un Draculien infecté par la Soif du Sang.

Tout à coup, il se retourne. Du sang dégouline de ses dents. Ses yeux blancs affamés l'observent. Il crache en montrant ses dents. Elle brandit son épée. Il saute sur elle. Elle tombe sur son dos en lâchant son arme. Elle se débat contre lui. Elle lui donne un crochet sur la joue. Il s’écroule sur le côté. Elle lui fait une clé. Elle bloque ses bras et fracture les os. Crak ! Il pousse un cri qui perce les tympans. "Oups ! J'en ai fait trop !" regrette-elle. Car, oui, le cri a sûrement attiré l'attention des prédateurs... Ou pire. Alors, elle attrape son cou pour le briser aussi facilement qu'une branche morte.

Silence.

Elle entend juste son cœur se battre et sa respiration saccadée. Elle regarde tout autour d'elle, les sens aux aguets. Elle ne voit pas trop dans le noir. Elle cherche, trouve et reprend son épée.

Soudain, un cri perçant attire son attention. Son cœur se remet à se battre rapidement. Elle dirige la lame vers la source du cri. C'est ridicule car il peut changer d’endroit aussi vite qu’une fusée ! Ou "ils", s'ils sont plusieurs... Elle se déplace aussi lentement que possible. Elle écoute. Des gouttes d'eau tombent des feuilles. Le bruit faible de ses pas sur la terre mouillée. Sa respiration. Son coeur.

Tout à coup, sans le remarquer, elle marche sur un bâton. Crak ! En conséquence, un infecté court vers elle en criant. Par réflexe, Gwenda le décapite. Le corps du vampire parcourt un bon mètre avant de s'effondrer. Ensuite, viennent d'autres.

Elle ouvre l'abdomen de deux malades en balayant avec l’épée. Elle plante sa lame dans le cœur d'un troisième. Elle donne un coup de pied sur les côtes du quatrième qui cèdent. Il s'agenouille en s'essoufflant. Un cinquième apparaît et la griffe sur la joue. Elle tombe. Il se lance sur elle mais elle l'esquive en roulant sur le côté. Elle se relève et le tape sur la nuque. Avant de lui faire un coup de grâce, elle percute le visage de celui qui a les côtes cassées.

Des nouveaux infectés arrivent par derrière. L'un d'eux réussit à la désarmer. L'épée vole et atterrit à cinq mètres d'elle. Elle se retrouve sans arme, devant sept vampires. "Il faut que j'utilise mes poings, on dirait." pense-t-elle, se sentant impuissante.

Alors, elle se lance sur eux. Elle évite la première attaque de celui qui l'a désarmé et contre-attaque par un coup de poing direct. Il tombe, sonné. Elle esquive le coup rectiligne du deuxième et saisit son avant-bras pour briser l'ulna et le radius. Elle repousse le troisième avec son pied. Elle frappe sur la nuque du malade au bras fracturé et échappe les coups de griffes des autres.

Elle court vers son arme. L'un d'eux bondit sur elle pour la plaquer au sol mais il la rate. Elle attrape son épée. Elle sectionne les jambes de l'un d'eux. Elle tranche la gorge de l'un et coupe le bras de l'autre. Elle fait une attaque circulaire pour toucher les deux derniers. Pour finir, elle achève le dernier en plantant l'épée sous le menton. Le bout de la lame passe à travers la suture sagittale du crâne. Elle enlève l'arme tranchante de la tête. Le corps s'effondre.

Elle reprend son souffle. Plein de sang s’est déposé sur son corps. "Et dire que je me suis prise une douche tout à l'heure." se dit-elle en pensant à la pluie de tout à l'heure.

Onze. Elle en a tué onze ! Au moment où elle soupire de soulagement, un douzième infecté sort de l'ombre. Quand il arrive devant elle, Gwenda lui coupe la tête. Son corps fait un salto-arrière et atterrit sur le sol boueux comme une grosse pierre.

Douze.

***

Jeudi 23 Battiblé 5001

Aujourd'hui, Maître Gauvain et moi sommes allés au parc. Sur le chemin, j'ai vu une ambulance et une femme attachée et muselée, qui agitait comme une folle ! Je l'ai questionné pourquoi elle était attachée comme ça. Il m'a dit qu'elle était malade, que c'était la Soif du Sang. J'ai demandé ce que c'était la Soif du Sang. Il m'a répondu que c'était une maladie qui touchait que les Draculiens, que ça atteignait la tête. Après, je lui ai demandé s'il avait déjà perdu quelqu'un comme ça. Maître Gauvain m'a dit que, oui, il avait perdu certains membres de sa famille mais que ça ne l'avait pas beaucoup attristé... Pas autant que la mort d'une femme et d'une fille, mais pas par cette maladie.

Extrait du journal de Gwenda

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