Gérard Boucher

6 minutes de lecture

Gwenda les a suivis jusqu'au domaine des Mousquetaires. Elle ne voulait pas régler leur compte au bar. Ce fort, contrairement aux précédents, est construit dans une forêt, éloigné de la civilisation. Dans le ciel étoilé, la petite lune a une forme de croissant alors que la grande est presque ronde. Sur terre, la forêt paraît sombre, lugubre. On entend des chauve-souris qui volent et des hiboux qui hululent. Tout ce paysage paraît calme et paisible. Mais elle n'est pas là pour contempler la nature sauvage : elle est là pour apprendre des informations importantes sur ce tireur, de qui le Mousquetaire ivre a parlé !

Cachée derrière un buisson, elle voit deux gardes à l'entrée. L'un d'eux, pour briser le silence nocturne, dit :

- Eh ! Est-ce que tu sais combien il y a de colonies draculiennes sur le Monde de la Brume ?

- Trente ?

- Non, treize.

- Quoi ? C'est tout ?

- Oui, on en est qu'à treize. Apparemment, les soldats impériaux rencontrent des difficultés face aux sauvages.

- Des difficultés ?! Face à des sauvages ?! On voit qu'ils sont nuls ! Nous, les Mousquetaires, nous ferions mieux qu'eux !

- Ouais ! rit l'autre.

Tout en discrétion, Gwenda tue les deux gardes. Elle cache leurs cadavres dans les buissons pour ne pas attirer les regards. Il ne reste plus que le sang. Mais ça, ça ne se remarque pas trop sur la terre, à part les tâches rouges sur le mur du bâtiment... Elle entre dans le fort.

Elle se trouve dans une sorte de salon. La cheminée crépite encore. Certains Mousquetaires sont assis sur le fauteuil ou boivent du vin sur une table. Quand l'un d'eux remarque sa présence, il crie :

- Une intruse ! Tuons-la !

Ils foncent tous sur elle. La colère se réveille et prend le pas sur la raison. Elle esquive leurs attaques et riposte. Elle fait tomber un par un comme des mouches. Elle transforme le lieu en un bain de sang et de cadavres. Gwenda ne pense qu'à assouvir sa vengeance. C'est comme si toutes les aires cérébrales qui s'occupaient de l’entendement étaient mises sur off pour laisser les aires émotionnelles aux commandes. En plus de sa fureur, la fille rousse est imbattable. Elle a une peau aussi résistante que celle d'un dragon : aucune arme blanche ne peut la blesser. Alors, la force plus la rage, c'est égal la mort pour les ennemis. C'est pourquoi certains Mousquetaires fuient vers la sortie, impuissants et effrayés.

Quand tous les soldats de la Reine-Lune sont tombés au combat, la raison reprend le pas sur l'instinct de Gwenda. Elle observe la pièce. Elle voit du sang, éparpillé un peu partout : sur la table, le canapé, la cheminée... Plus, plein de corps par terre ! Soudain, elle voit une fleur exotique blanche dans une vase. Sur cette vase, des poissons orange sont peints. Ils ont de longues moustaches. Alfheim...

Le souvenir qui lui revient en mémoire la terrifie : la bataille sur Alfheim. Elle revoit les corps des Elfes qui se tassaient les uns sur les autres, et beaucoup de sang. Toute la plaine, bleue autrefois, était devenue rouge sang. Elle, elle n'avait aucune cicatrice qui puisse témoigner sa participation à la guerre. Elle s'était déjà demandée si elle était surhumaine voire inhumaine. En plus de revoir les corps des soldats Elfes, il y avait aussi ceux des civils, dont ceux des enfants voire des bébés.

Un sentiment de honte l'envahit. Elle a le ventre noué. Ses yeux deviennent plus humides. Bien qu’elle ait tellement envie d'être pardonnée pour ces actes monstrueux, elle sait qu'elle ne mérite pas le pardon. Elle a tué des innocents sur Alfheim et là, elle a recommencé. Ici. "Il ne faut pas que je pleure. Pas maintenant." se dit-elle.

- Alors, on chiale ?

Elle lève sa tête. C'est Gérard Boucher. Il tient un mousqueton dans la main gauche. Il affiche un sourire mesquin. Elle prend un air sérieux, impassible. Il rit puis il se reprend :

- Alors, tu es Gwenda, soldate impériale et ancienne élève de Sir Gauvain Blackstone, dit-il, l'air neutre.

- Oui, répond-elle.

- Donc, tu es venue venger sa mort ?

- Oui, je suis venue aussi pour avoir des réponses.

- Donc, tu veux savoir qui l'a tué, c'est bien ça ?

- Non, je sais déjà qui a tué Sir Gauvain : c'est vous ! La question qui se pose, c'est "pourquoi ?"

- Je ne suis pas responsable de sa mort : c'est le tireur, le responsable !

"Tous pareils ! Les Mousquetaires se rejettent la faute les uns sur les autres !" s'énerve-t-elle.

- Où est-il, ce tireur ?

- En Gabalie. Alors, ça y est ? Tu vas partir ?

- Non ! Je n'ai pas encore fini, ici !

- Je ne suis pas le responsable de l'assassinat de votre cher maître adoré.

- C'est quand même vous qui avez mené l'assassinat de Sir Gauvain ! Donc, vous êtes autant responsable que les autres qui étaient avec vous, même plus ! Vous êtes tous des meurtriers !

- C'est toi qui dis ça ? Regarde autour de toi ! N'es-tu pas aussi une meurtrière ?

Elle regarde autour d'elle. Tout ce sang... Elle ravale sa fierté.

- Je me suis laissée emporter par la colère, réplique-t-elle pour se chercher une excuse, même si ça ne change rien à ce qu'elle a fait.

- Alors là, pour te laisser emporter par la colère, tu as fait fort !

Son rire fait écho dans toute la pièce. Cela ne la fait pas rire du tout. Pourquoi rirait-elle ? Même si elle tue des gens, elle respecte quand même les morts !

- Je ne vois pas en quoi c'est drôle, dit-elle finalement. J'ai quand même tué, euh... (Elle compte les corps vite fait.) Vingt, tout au plus. Ne ressentez-vous pas une perte ?

Il ne dit rien. Il observe la pièce. Au lieu d'afficher un air triste, son visage est neutre.

- Oui, j'ai perdu vingt hommes dans mon groupe. J'espère que la reine recrutera d'autres hommes.

"Sérieux ? C'est tout ce qu'il a à dire ?"

- En tout cas, je suis très impressionné de voir ça ! Une jeune fille contre une vingtaine d'hommes... Pas étonnant que certains Mousquetaires ont fui ! Par contre, c'est dommage que tu ne puisses pas monter beaucoup de grades, n’étant pas de sang draculien... Et que tu ne puisses pas vivre plus longtemps aussi.

Sur ce, son mousqueton fait un vif mouvement. Elle fait un pas en arrière mais son épaule est touchée. Soudain, il recule en lâchant son arme, paralysé. Ce qu'il voit est impossible ! Le trou dans sa manche... Elle n'a rien ! Comment se fait-il ?! La rousse regarde la déchirure de son manteau, et avec un petit haussement d'épaules, elle avance tout doucement vers lui. Comme si c'était normal pour elle !

- Que... Que... Que... Comment ça se fait que...? Pourquoi tu... Tu... Tu...

- Ne parlez plus : vous bégayez, répond-elle.

- Tu n'es pas normale !

Elle empoigne son cou avec sa main libre et elle l'adosse sur le mur. Un choc se répand dans son dos. Après, elle le soulève. Ses pieds ne sont plus en contact avec le sol. (Il faut dire qu'il n'est pas très grand.) Il essaie de se tenir avec ses mains pour ne pas s'étouffer. Soudain, il rit, ce qui étonne Gwenda. Il dit d'une voix étranglée :

- Tu te crois invincible ? Derrière ce masque de méchante fille, tu es faible comme un agneau !

- Vous dîtes n’importe quoi, objecte-t-elle.

- Tu fais semblant d'avoir confiance en toi mais en réalité, tu te sens mal dans ta peau ! Cela se voit dans tes yeux. Je me demande pourquoi un homme aussi noble que Sir Gauvain a adopté une fille aussi infâme que toi !

Elle s'emporte : elle le relâche pour planter sa lame d’argent dans son cœur ! Il pousse un gémissement de douleur. Après avoir retiré son épée, du sang se propage dans la chemise blanche du Mousquetaire. Ses yeux rougeâtres expriment de l’étonnement, de la peur mais aussi de la colère. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle le tue de cette façon ! Tout en faisant un effort pour respirer, il crache :

- Tu aurais dû mourir toi aussi, et... Et brûlée par les flammes infernales, sale... Sale chienne !

Enfin, il s’affale par terre. Boum ! Une flaque de sang se forme autour de son corps. Par respect, elle ferme les paupières du mort. Elle murmure :

- Tu ne me connais pas très bien, salaud !

Annotations

Vous aimez lire BlueMoon_83 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0