Au bar

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Gwenda loue une charrette, tirée par deux robot-chevaux. Le début du voyage est pluvieux mais le ciel s'est vite éclairci pour laisser place aux lunes et aux étoiles. Straville se trouve à la frontière du Royaume des Prusses, dans la région de la Franco-Prussie. Cette contrée a été plusieurs fois ravagée, une fois par les Francs, une autre fois par les Prusses puis l'histoire se répète. Ainsi, les habitants savent parler deux langues. La région est connue pour ses cultures de citrouilles et de betteraves, et aussi de sa cuisine. La zone montagneuse est notamment industrialisée à cause de la présence du minerai. De l'autre côté des montagnes, c'est le territoire des Prusses.

- Aussi, les habitants de la Franco-Prussie ne supportent pas du tout qu'on oublie la Saint-Nikolaus, qu'on fête le 5 Polétoile, dit le cocher avec une pointe de mépris dans la voix.

- Pourquoi n'aimez-vous pas les habitants de cette région ? demande-t-elle.

- Ce n'est pas que je ne les aime pas mais la plupart des Franco-Prusses sont des collabos : ils soutiennent le Royaume des Prusses.

- Comment peuvent-ils collaborer avec eux si les Prusses font la paix avec les Francs ?

- C'est plus compliqué que ça. Les Prusses ont beau nouer une alliance avec nous mais ils restent tout de même méfiants. Alors, ça ne m'étonnerait pas s'ils engagent des espions. Histoire de voir si on respecte bien le marché.

- Ah oui ! Le marché...

En échange du don du territoire aux Francs, ces derniers ont interdiction d’installer la douane sur la frontière, donc pas de Mousquetaires Bruns dans cette région. En conséquence, les Prusses accueillent à bras ouverts les émigrants du Royaume des Francs.

- Pourquoi les Franco-Prusses voudraient-ils collaborer avec les Prusses ?

- Parce que certains d'entre eux se sentent patriotes du Royaume des Prusses ! Cette région a été Prusse pendant quatre-vingts ans. Ils devraient normalement savoir qu'ils sont Francs depuis huit ans, merde !

- Oui, justement, ils étaient Prusses il n'y a pas si longtemps.

- Ah ! Vous, les Britanniques ! Toujours à vouloir avoir raison !

"Euh... Ouais..." pense-t-elle, surprise d'entendre cette absurdité xénophobe.

Gwenda arrive à Straville au bout de deux semaines. Elle quitte le cocher xénophobe avec soulagement. Elle regarde le ciel. Quelques nuages arrivent déjà : elle espère qu'il ne pleuvra pas encore une fois.

Elle contemple l'architecture de cette ville, organisée en stries. Elle a l'impression d'être ailleurs que dans le Royaume des Francs. Le centre-ville a un style médiéval. La partie nord est d'origine prusse. Les citadins appellent d'ailleurs cette partie la Preussestadt, qui signifie "ville prusse". La partie ouest est la zone industrielle, sur les montagnes, où les ouvriers habitent. Le sud-ouest est un espace vert : un parc naturel.

Elle entre dans une rue bien fréquentée. Les gens ont un accent fortement prusse. Les bars sont pleins d'hommes ivres, qui boivent essentiellement de la bière. Certains portent même des chapeaux noirs bizarres. On les entend chanter haut et fort comme des enfants à l'école.

Curieuse de voir à quoi ressemble une bière prusse, elle entre dans l'un des bars. Une femme, aussi costaude qu'une bûcheronne, l'installe, toute souriante. Gwenda aperçoit que son nez est un peu rouge. "Si ça se trouve, elle boit un peu de bière pour être aimable !" pense-t-elle en retenant son rire. Elle est très étonnée de ne voir aucun robot en vue. Depuis quelques années, les employés des auberges, des bars et des restaurants se font remplacer par des machines qui, eux, ne sont jamais fatigués et stressés.

Elle s'assied sur sa chaise pendant que la serveuse part chercher le menu. Elle regarde autour d'elle : il y a quasiment que des hommes. Elle se sent seule dans ce monde masculin. Alors que certains la regardent avec un air intéressé, d'autres la regardent avec mépris, pour lui faire comprendre qu'elle est sur leur territoire. Mais elle ne se laissera pas intimidée par ces idiots. La dernière fois qu'un ivrogne est venu l'embêter dans un bar, en Britannique, elle lui a donné un gros coup de poing sur le nez ! Il est tombé dans le coma en butant un mur avec sa tête. Bien sûr, elle a reçu une amende pour agression (alors que c'était lui qui l'avait agressé). Elle regrette encore d'avoir donné un coup trop proportionné mais il faut avouer qu'il a poussé le bouchon trop loin !

La femme arrive avec le menu. Curieuse, elle lui dit :

- C'est bizarre mais je n'ai jamais vu une femme au bar.

- Et vous ? Vous n'êtes pas une femme ?

Mais la serveuse ne rit pas car elle n'a pas compris sa blague. Elle repart pour s'occuper d'autres clients. Elle lit attentivement le menu : elle ne sait pas où donner de la tête avec tous ces plats délicieux !

Tout à coup, la porte d’entrée s'ouvre. Trois Mousquetaires Blancs apparaissent. L'un d'eux est plus gradé que les autres. Le bar devient plus calme tout d'un coup : tous les clients qui sont en train de rigoler et de chanter deviennent sages comme des anges. Gwenda secoue la tête en rigolant : "Ils ont peur de se faire prendre par les Mousquetaires !"

La serveuse les accueille plus chaleureusement qu'à son habitude, avec un sourire nerveux. Elle les installe à une table bien trop grande pour trois personnes. "Et dire que peut-être, un groupe de dix aura besoin de cette table..." pense la rousse. Elle leur donne le menu et revient vers Gwenda, qui commande une quiche et une bière blonde de 25 cl à huit pour cent d'alcool, pour garder l'esprit clair.

- Vous avez raison, ma demoiselle, dit la serveuse. La bière est bien trop puissante pour une femme...

- Qui est cet homme au chapeau doré ? Lui coupe-t-elle la parole, curieuse.

- Oh ! C'est Gérard Boucher ! Pourquoi me demandez-vous ça ?

La voix forte de la serveuse attire l'attention du Mousquetaire au chapeau doré.

- Pour rien.

- Pourquoi tenez-vous une épée, au juste ? Les femmes ne sont pas...

- Voudriez-vous passer ma commande, s'il vous plaît ? Demande-t-elle, agacée par ses questions.

- Oh ! Désolée ! J'ai tendance à un être un peu trop curieuse ! Je vais transmettre votre commande au cuisinier.

Quand la serveuse s'éloigne, elle est soulagée. "Qu'est-ce qu'elle est soulante, cette serveuse ! Encore plus soulante qu'une bière brune, tiens !" Alors qu'elle se sent enfin libre et tranquille, le Mousquetaire au chapeau doré, Gérard Boucher, se lève de sa chaise pour s'asseoir... Devant elle. Surprise de sa présence, elle reste pétrifiée. Le Mousquetaire l'observe avec ses yeux rouge carmin tout en souriant. Elle fronce les sourcils.

- Puis-je savoir pourquoi une jeune femme vient commander un verre au bar ?

- Un bar est-il interdit aux femmes par la loi ? blague-t-elle pour détendre l'atmosphère.

- Non, mais c'est inhabituel qu'une femme vienne au bar. Ce n'est pas ancré dans notre culture, surtout dans cette région.

- Êtes-vous venu pour me menacer ? Le défie-t-elle.

- Non, pas du tout ! Je suis tout simplement curieux de voir une étrangère dans cet endroit, c'est tout... Êtes-vous Britannique, par hasard ?

- Oui. Comment le savez-vous, d'ailleurs ?

- Cela s'entend à votre accent ; j'ai plusieurs fois voyagé en Britannique, et la dernière fois, c'était il n'y a pas longtemps.

La vengeresse retient sa colère. Oui, c'est bien lui ! Celui qui a organisé l'assassinat de Gauvain... Il n'y a pas de doute là-dessus ! Remarquant son poing droit serré, Gérard Boucher questionne :

- Puis-je savoir pourquoi une Britannique voyage au Royaume des Francs ?

Gwenda réfléchit avant de répondre :

- J'ai une amie qui vit ici.

- Ah... Comment vous êtes-vous faite des amis en Franco-Prussie ?

- Parce que je voyage beaucoup, comme vous.

La situation est plutôt gênante pour Gwenda : si ça se trouve, Monsieur Boucher se doute déjà de son identité. Mais il faut qu'elle joue à son jeu si elle veut pouvoir s'en sortir. Ce dernier lui propose :

- Je vous offre un verre.

- J'ai déjà commandé un verre : une bière blonde.

- Blonde seulement ? Voyons ! Vous ne craignez rien avec les whiskys !

- Non, je ne peux pas : vous oubliez que je suis une femme.

- Je vous croyais féministe.

- Je le suis mais je suis aussi réaliste. Mon système digestif brûle moins l'alcool que celui d'un homme de mon poids.

Il se tait un moment, admiratif. Cette jeune fille est plutôt prudente pour son âge. Puis, il insiste :

- Êtes-vous sûre de ne pas vouloir vous amuser ?

- Non, c'est hors de question ! Quand je dis "non", c'est "non" ! Je connais ce jeu, Mousquetaire. Vous avez beau être Mousquetaire mais vous restez un homme avant tout, doté d'instincts de mâle.

- C'est étonnant que vous parliez d'instincts de mâle. J'ai déjà remarqué que vous n'aviez pas de dents pointues. Vous n'êtes donc pas Draculienne.

- Non, pas du tout.

- D'où venez-vous ?

- Je viens de Nidaheim, répond-elle sincèrement.

- Ce n'est pas le monde des Nains ? Vous êtes plutôt grande pour une Naine. Alors, de quelle espèce êtes-vous ?

Gwenda n'aime pas le terme d'"espèce", car elle le trouve raciste.

- En vérité, j'ai grandi dans un orphelinat, donc je ne peux pas vous en dire plus, là-dessus.

- Alors, comment vous êtes-vous retrouvée sur Dracula ?

- Un Draculien m'a adopté et m'a appris à parler le britannique.

Ce qui est un peu vrai quelque part : Maître Gauvain l'a emmené et l'a élevé comme sa fille.

- Comment votre père adoptif s'est-il retrouvé sur Nidaheim ?

- Il était commerçant, ment-elle.

- Ah... Ça explique pourquoi.

La serveuse revient avec le plat de Gwenda. Elle remarque la présence du Mousquetaire et s'exclame :

- Voilà pourquoi vous m'aviez demandé qui était cet homme ! Qui est-ce ? Votre père ? Votre amant ?

- Je ne le connais pas ! S'exclame Gwenda, un peu gênée. Arrêtez d'imaginer des histoires ! Il n'y a rien entre nous !

- D'accord... Mais ce serait dommage que vous ne mangiez pas avec les autres Mousquetaires.

"Oh ! Shit !" regrette Gwenda.

Ainsi, Gwenda a été placée avec les autres soldats de la Reine-Lune. La pauvre est gênée car elle se trouve parmi ses ennemis, qui peuvent découvrir la vraie raison de sa présence. Ils mangent les plats typiques de la région. Elle n'a bu qu'une gorgée de son verre de bière blonde, la soif remplacée par la peur. Malgré les insistances des Mousquetaires pour qu'elle boive un autre verre, elle a refusé leurs propositions amicales car elle sait qu'ils ont l'intention de lui faire cracher le morceau.

L'un d'eux, au nez rouge, lui raconte ceci :

- Chais-tu quelle michion avons-nous fait dernièrement ?

- Thomas... commence à s'énerver son voisin.

- Non, répond Gwenda en profitant de son état.

- Nous chommes jallé à Londine pour...

Son voisin lui donne une claque à la tête.

- Eh ! Pourquoi tu m'as frappé à la tite ?!

- Je t'ai frappé parce que nos affaires sont confidentielles !

- Mais jelle a le droit d'chavoir !

- Non, elle n'est pas Mousquetaire donc elle n'a pas le droit de chavoir ! répond-il.

- Tu t'moque d'moi, en pluche ! (Il se tourne vers elle après avoir oublié sa conversation avec son voisin.) Et devine quoi, Mamjelle ? Y avait avec nous le meilleur tireur. Il ne rate jamais cha chible...

- Bon, tais-toi ! S'exclame le Mousquetaire au chapeau doré.

Il le frappe au nez. Il s'évanouit et sa tête tombe sur la table... Puis il ronfle. Zzzzzz........ Zzzzzz........

- Bien, Jules, dit-il en le tapotant sur le dos. Excusez-nous, ma demoiselle. Il ne s'arrête jamais de boire lors des fêtes.

- Je vois ça, répond-elle. Pourquoi étiez-vous à Londine ? Je croyais que vous travailliez sur les territoires des Francs, non ?

Gérard Boucher réfléchit, et d'un œil suspicieux, il répond :

- Nous sommes allés à Londine pour prendre des vacances.

- C'est quoi cette histoire de l'homme qui ne rate jamais sa cible ?

- Ah ! Ça... Oui, notre ami parlait de Sofiane Rougebarbe.

- Pff ! rit l'autre.

- Mousquetaire, tenez-vous bien ! (Il se tourne vers elle.) C'est le meilleur tireur, c'est pourquoi il est venu avec moi un jour en Britannique pour une mission très secrète.

Gwenda se retient de rire : sans le vouloir, il a lâché le morceau !

- Je croyais que les affaires des Mousquetaires étaient confidentielles.

Il ne comprend pas ce qu'elle vient de dire, jusqu'à ce qu'il se rende compte de sa bêtise.

- Oh non ! Oui, désolé, ma demoiselle. C'est vrai que je ne devais pas dire ça...

- Oui, c'est sûr, dit Gwenda en posant son menton sur sa main. Et qu'est-ce que vous faisiez avec votre tireur en Britannique, Mousquetaire ?

Elle ne sait pas pourquoi mais elle sent que le chef Mousquetaire vient de comprendre qui elle est. Il la regarde, les sourcils froncés et les poings serrés. Il dit :

- Je pense que les Mousquetaires et moi avons fini notre soirée. Nous devons retourner chez nous.

- Oh ! Déjà ?

- Oui, je pense que nous avons trop bu.

- Oui, je pense aussi, dit-elle sans cacher son amusement.

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