La Reine-Lune

9 minutes de lecture

C'est ainsi que les Mousquetaires Tricolores libèrent Gwenda et l'informent sur l'invitation de la reine dans son château. Ils étaient enfin contents de se débarrasser d'elle, car elle leur donnait du fil à retordre ! Elle chantait et se plaignait durant la journée, afin de les embêter et de les empêcher de dormir.

À contrecœur, Gwenda va vers Frissailles en train, bien qu’elle soit très heureuse de sortir de la prison après trois jours d’enfermement. Avant la venue de la première Reine-Lune, Louise XIV, Frissailles était un village. Puis, la dirigeante a agrandi un pavillon de chasse pour en faire son propre château. Aujourd'hui, la ville est devenue luxueuse et grande.

Comme dans ses souvenirs, le château de Frissailles est incroyablement grand, somptueux et scintillant. De loin, elle peut être reconnue avec sa peinture blanche, sa forme géométrique, ses ornements harmonieux et d’argent et ses trois dômes en verre sur les trois ailes formant un “U” rectangulaire.

Une grille bleu ciel et deux bâtiments, semblables au château mais à l’apparence humble, entourent la cour d’honneur. Quelques carrosses se déplacent ; personne, mise à part les gens de condition modeste, se promène à pied.

Gwenda atteint la grille d’argent entourant la cour royale. En haut du portail, la tête de Louise XIV devant une pleine lune sculptée reflète une lueur argentée. Les traits fins et raffinés rendent son portrait presque divin, la rendant puissante voire omnisciente. Les robots-gardes, reconnaissables grâce à leurs têtes hautes et leur couleur bleue, ouvrent la grille après avoir reconnu l'invitation de la reine que montre Gwenda.

Après, elle traverse la grande cour désolée. Bien qu’elle soit déjà allée dans cet endroit, Gwenda est toujours impressionnée par la beauté du château, les lignes symétriques et les décorations semblant briller même dans la pénombre.

Pourtant, malgré cette splendeur architecturale, des gargouilles sont postés sur le toit comme des chiens de garde posent leur regard malveillant sur elle. Ils sont partout ; même leurs portraits sont sculptés dans les murs, entre les grandes fenêtres. Ces dernières tirent leurs langues de serpent en dévoilant leurs dents crochues. Rien qu’en les regardant, Gwenda a l’impression que ces créatures de pierre la regardent avec malveillance.

Tout ce château est le reflet de la personnalité de la Reine-Lune, belle, élégante et intelligente mais aussi superficielle, cruelle et manipulatrice.

Gwenda gravit treize pas d'escalier, faits de marbre en noir et blanc, qui mènent à l’entrée principale. Elle toque à la porte. Un robot l’ouvre et la laisse entrer.

À l'intérieur, elle se sent oppressée par l'obscurité, malgré le lustre qui envoie une lumière astrale. La salle du trône, aussi grande qu'une gare, est constituée de murs de couleur neige, d’un sol pavé de marbre noir et blanc, de tableaux produits par des grands peintres et de meubles aux prix exorbitants servant de décoration. En penchant la tête en arrière, Gwenda peut voir à travers le dôme en verre les astres qui éclairent le ciel noir.

Au fond de la salle, la reine, vêtue d'une robe azur somptueuse, est assise sur une chaise en velours bleu roi. Devant elle, un homme fortuné et hautain se plaint :

  • Mais nous perdons du temps ! La Soif du Sang se répand de plus en plus, depuis dix-huit ans ! Rien ne s'améliore ! Des milliers de gens en sont morts ! Quand trouverons-nous le remède ? Quand tout le monde sera mort ?
  • Quand les scientifiques et vous l’aurez trouvé ! s'exclame la reine avec sa voix de petite fille, énervée. Combien de fois devrais-je vous dire de vous dépêcher ?!
  • Je suis désolé de contrarier Votre Majesté mais le peuple commence à perdre espoir. Nous ne pouvons pas survivre face à ce fléau. Il faut à tout prix exterminer les malades.
  • Majessie, une visite, dit un robot-domestique.
  • Mais quand arrêteras-tu de me couper la parole, tas de ferraille ?! s'exclame-t-elle sur un ton sec.

Le domestique s’éloigne, impassible. La petite reine repose son regard sur le scientifique.

  • Ce n’est pas à vous de donner des ordres : l’Etat, c’est moi ! Je refuse d’exterminer les malades alors que nous pouvons les guérir. Si je me prêtais à des méthodes sanguinaires, le peuple perdrait confiance en moi et il y aurait une révolution. Nous avons à peine éradiqué les partisans de la république : il est hors de question de rallumer la flamme. Maintenant, partez ! dit-elle en faisant signe de la main.

Le scientifique va vers la sortie, en colère. Gwenda se retourne vers la reine, qui est la petite Louise. Elle porte une longue cape bleue avec des fleurs de lys argentés, un collant blanc, des chaussons bleus et des longs gants parsemés d'étoiles blanches. Louise a beaucoup maquillé son visage au point de ressembler à une poupée rouskienne. Ses couettes noires lui donnent un air enfantin. Gwenda voit en cette fille une vipère, douée pour séduire afin de mordre plus facilement. Malgré tout, sa couronne rappelle sa haute position dans la hiérarchie, qui lui accorde le pouvoir absolu.

Gwenda aurait bien aimé remettre Louise à sa place puis quitter son château, mais elle préfère garder son sang-froid ; autant ne pas s’attirer des problèmes. Alors, à contrecœur, elle se prosterne devant elle qui, joyeuse de la revoir, s'exclame :

  • Enchantée de te revoir, ma chère amie Gwenda !
  • Oui, moi aussi, je suis enchantée de vous revoir, Majessie..., dit-elle sur un ton grave.
  • Je croyais que tu viendrais en tenue militaire, dit-elle. Bizarrement, tu es plus habillée comme... Une personne commune. Ça te va bien. Tu es mignonne dans cette tenue !

Son compliment la fatigue encore plus que de voir cette fille fausse ; comme elle aimerait de lui donner une claque !

  • Alors ? Comment vas-tu ? dit-elle d'une voix mielleuse.
  • De mauvaise humeur, répond la rousse de manière franche, juste pour la vexer.
  • Je m'en doute : tu devrais être très irritée après cette histoire, alors que tu n'as commis aucun vol. Tu es la plus honnête des soldats impériaux que je connais, c'est pourquoi je t'ai libérée de la prison et t'ai invitée dans mon château.

Elle se méfie de la reine Louise. Pourquoi l'a-t-elle invitée chez elle après qu'elles ne se sont pas vues depuis trois ans ?

  • Puis-je savoir pourquoi tu as reposé tes pieds sur mes terres ?

Elle ne répond pas. Comment dire qu'elle poursuit quelqu'un qui travaille pour la reine ? Louise se sentirait visée et surtout, elle ne la croirait pas !

  • Tu peux me faire confiance, dit la petite reine en prenant un air bienveillant. Je n'ai aucune raison de vouloir te faire du mal.

Gwenda réfléchit. Ayant un gros poids sur le cœur, elle répond d'une voix grave :

  • Sir Gauvain est mort.

Cette nouvelle surprend Louise. Ses yeux deviennent vitreux. On a l'impression qu'elle ressasse un souvenir. En effet, la reine précoce a perdu sa mère à l’âge de cinq ans, alors qu’elle allait devenir Reine des Francs. Elle a été assassinée par les partisans de la république. Ce jour-là, Louise a perdu aussi son frère, puisque sa mère était enceinte... Triste, elle dit :

  • Oh... Toutes mes condoléances, Gwenda. Mais est-ce que sa mort a un lien avec ta présence dans mon pays ?
  • En quelque sorte, oui. Il a été assassiné par des Mousquetaires Blancs.

Louise et les Mousquetaires Noirs ouvrent grand les yeux. Certains deviennent même hostiles.

  • Des Mousquetaires Blancs, dis-tu ?
  • Oui.
  • Sais-tu de qui tu parles ? Tu parles de mes hommes ! s'exclame-t-elle, sur la défensive. As-tu conscience que c'est une accusation grave ?
  • Oui, je suis consciente, Lou... Majessie. Je respecte votre culture et c'est pour ça que je suis désolée de vous apprendre que l'un de vos mousquetaires est entré dans mon pays et a tué Sir Gauvain.
  • As-tu des preuves qui peuvent accuser mon mousquetaire ? dit-elle sèchement.
  • Oui, l'insigne de la Compagnie des Mousquetaires Blancs était là où Sir Gauvain a été tué, sur le toit d’un restaurant.
  • Ah oui ? Comment une Britannique peut-elle reconnaître un insigne de la Compagnie des Mousquetaires Blancs ?
  • Il y avait le lys de la Reine-Lune avec des mousquets qui se croisaient et la corne de chasse en bas, qui symbolisait la chasse.
  • Mmh... Je vois que tu es bien cultivée.

Louise est mécontente parce qu'elle déteste admettre qu'elle a tort, alors qu'elle est censée représenter la perfection. Gwenda baisse son menton pour regarder le sol. Touchée par son chagrin, Louise raconte :

  • Je connais cette tristesse : moi aussi, j'ai perdu quelqu'un de très cher. Moi aussi, je voulais venger sa mort, dit-elle d'une voix sombre. Mon cœur était plus vide qu'un trou noir et brûlait d'un feu plus ardent que le soleil. Un jour, je me suis rendue compte que mon esprit était malade, qu'il était guidé seulement par la colère et non par la réflexion. Alors, j'ai décidé de me comporter comme une vraie reine et j'ai laissé la mort de ma mère derrière moi, dit-elle en haussant le menton. Regarde-moi, aujourd'hui : je suis une personne respectable, généreuse et puissante !

Gwenda a failli s'étouffer de rire : elle voit juste une fille de douze ans pourrie gâtée et surtout narcissique !

  • Il vaut mieux que tu retournes chez toi, laisse le temps apaiser ton chagrin et ta colère. Tu n'as pas l'esprit assez clair pour raisonner.
  • J'ai l'esprit parfaitement clair, Majessie, réplique la vengeresse, stoïque. Je pense que l'assassin de Sir Gauvain doit être puni. Je veux le faire comprendre qu'après avoir fait verser du sang, son propre sang sera versé aussi.
  • Certes, mais ce n'est pas à toi d'en décider. C'est le rôle de la justice franque de punir les hors-la-loi.
  • Et qu'est-ce qui peut me convaincre de te faire confiance ?! s'emporte-elle.

Le tutoiement fait froid dans le dos des Mousquetaires Noirs. Comment peut-elle tutoyer la reine ?!

  • La promesse solennelle d'une reine.

Encore un mensonge de Louise. Lorsque cette fille parle d'elle-même à la troisième personne, c'est qu'elle ment.

  • Sinon, j'ai une question à te poser.

Interrogatrice, Gwenda répond :

  • Oui, je vous écoute.
  • Dis-moi, malgré toutes tes qualités de grande guerrière, as-tu un point faible ?

Gwenda reste muette pendant un moment. "Pourquoi cette question ?" se dit-elle, incrédule.

  • Euh... C'est-à-dire...?
  • Tout homme a des points forts et des points faibles. Toi, tu es forte, rapide et résistante. Mais après toutes ces qualités qui font de toi une guerrière redoutable, as-tu un point faible ?

C'est la question qu'elle ne s'est jamais posée.

  • Euh... Non, je n'ai pas de point faible, répond-elle finalement.
  • Tout le monde en a un. Un guerrier aura beau s'entraîner dur pour devenir invincible mais il aura toujours des points faibles.
  • Euh…Oui, je n'en doute pas. Mais je ne vois pas en quoi...
  • Tout ça pour dire que les points faibles nous rendent parfois plus forts, lui coupe-t-elle la parole. J'admire les soldats pour leur courage, dit-elle avec une admiration qui reflète sur ses beaux yeux bleus.
  • Leur courage ?
  • Oui, ils ont aussi un petit plus par rapport aux chasseurs. Sais-tu lequel ?
  • Non.
  • Comme les chasseurs, ils tuent, mais contrairement à eux, ils ne tuent pas n'importe quelle proie : ils tuent des personnes. C'est pour ça que je les admire, pour leur courage.
  • Je ne vois pas en quoi tuer quelqu'un est brave, dit-elle, grave. Dans la guerre, tout ce qu'on trouve, c'est du sang et la mort. Point barre.

Louise penche sa tête tout doucement vers l'avant pour l'observer de plus près, avec un sourire aux coins des lèvres. Gwenda a l'impression d'être un animal enfermé dans une cage, observé par des visiteurs. La plupart du temps, quand on vient admirer une bête dans un zoo, c'est parce qu'elle est magnifique ou rare. Gênée par le regard dérangeant de cette fille, elle s'apprête à dire quelque chose quand Louise s’exclame :

  • J'admire ta façon de penser ! C'est pour cela que je t'apprécie bien ! Contrairement aux autres personnes, tu gardes toujours ton indépendance d'esprit, quitte à marcher dans le sens inverse du troupeau de moutons.

Gwenda fronce les sourcils. "Pourquoi cette fille est-elle toujours aussi chelou ?"

  • Mais attention à toi : les gens communs n'aiment pas les gens différents.

Elle ne comprend pas le sens de sa phrase. Pourquoi la met-elle en garde ? Marre de tourner autour du pot avec cette fille et surtout impatiente de quitter ce château, elle demande :

  • Puis-je m'en aller, maintenant ?

Surprise, Louise répond de manière très polie :

  • Oui, je t’en prie, Gwenda. Je te libère.

La femme soldat impériale se retourne, agacée par la politesse exagérée de cette fille. Au moment où elle part, Louise dit d'un air taquin :

  • Je sais qui tu es, Gwenda.

Elle ne répond pas car elle ne comprend pas le sens de cette phrase. "Pourquoi me dit-elle ça ? Je n'ai rien à cacher, moi !" À la sortie du palais, elle repousse de son esprit l’étrange discussion qu’elle a eue avec cette fille.

Annotations

Vous aimez lire BlueMoon_83 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0