Gwenda a pris un tramway vers la gare de Namantes. D'autres modes de transport en commun existent comme la voiture hippomobile. Des voitures à vapeur existent mais elles coûtent chères et restent peu nombreuses. Comme c’est l’heure de pointe, beaucoup de personnes sont assises ou debout, serrées les unes contre les autres. Un homme au chapeau, debout en face d'elle, sent le tabac à plein nez. Celui-ci, curieux, la questionne :

• D'où venez-vous ?
• De la Britannique, dit-elle, méfiante.
• Non, je veux dire : quelles sont vos origines ? De quelle planète venez-vous ?

Face à ces questions, Gwenda ne répond pas. Elle ne sait pas d'où elle vient et qui elle est. Elle n'a jamais connu ses parents ! Elle a grandi dans un orphelinat depuis sa petite enfance. Même si elle s'est déjà posée des questions sur ses origines, cela lui importe peu car cela ne sert à rien de chercher une réponse lorsqu’elle est hors d’atteinte.

• Bonne question ! Moi-même, je me la pose ! répond-elle.
• Pardon ? Vous voulez dire que vous ne savez pas qui vous êtes ?
• Si, je connais au moins mon nom. Ça ne suffit pas pour se connaître ?
• Non, pas vraiment. Je connais un voisin qui souffre d’amnésie suite à un stress post-je-ne-sais-pas-quoi. Il se souvient de son nom mais il a oublié une bonne partie de son passé. C’est comme s’il n’avait pas vécu le drame: optimiste et insouciant. Comme quoi, le passé forge notre personnalité, non ?

Le sourire de la rousse disparaît.

• C'est quoi votre nom, au juste ? lui demande-t-il.
• Gwenda.
• Gwenda ? C'est... Joli comme nom. Dîtes-moi. Voudriez-vous prendre un verre avec moi ?

Elle le regarde avec ses yeux noirs, en signe d'avertissement. Peureux, il se tait. Elle observe son épée rangée dans son fourreau. L'épée que Gauvain lui a offerte le jour où elle est devenue soldate. Au centre du poignet, est sculptée une étoile à neuf rayons. Elle se souvient de ce que lui a raconté son mentor le jour même :

“L'étoile à neuf rayons représente les neuf mondes connus : Dracula, mon monde, Odin, le monde des nymphes, Nidaheim, le monde des Nains, Râ, celui des animaux anthropomorphes, Poséidon, celui des sirènes, Alfheim, des elfes, Morgana, des magiciens les plus puissants de l’Univers, Echo, des nymphes, et le Monde de la Brume, découverte il n'y a pas si longtemps.

Tous les rayons viennent du centre de l'étoile : l'Ancêtre. Cette civilisation, éteinte il y a cinq millénaires, était tellement ingénieuse que sa technologie dépassait l'inimaginable ! Grâce à cela, ils se sont installés sur les neuf planètes habitables. Puis un jour, ils ont disparu mystérieusement.”

Gauvain croyait en la théorie des Ancêtres, fondée par Jacques Rougesang, archéologue franc, qui pense que toutes les civilisations actuelles descendent d’une ancienne civilisation. La première fois que Gwenda l’a entendu parler de cela, elle ne l’a pas cru, mais maintenant qu’elle se remémore de ce souvenir, elle a un doute...

• Terminus : Gare Sud-Est de Namantes... Terminus : Gare Sud-Est de Namantes.

"C'est bon ! J'ai compris !" a-t-elle envie de dire à la voix féminine, suave et monotone. Gwenda descend de la voiture. Elle se trouve devant la gare, rénovée il y a peu de temps. Le vieux toit a été remplacé par un toit en verre et carrée. Les murs blancs forment un rectangle parfait. L’horloge pendue à droite de l’entrée indique 4 h 30 du matin. L'entrée a été échangée contre une porte automatique à la place. À travers elle, on peut voir les voyageurs se déplacer de droite à gauche. Une jolie lumière jaune éclaire l’intérieur.

Gwenda s'arrête. Sur une pancarte numérique à gauche, est écrit un titre en gros caractère rouge : "Talisa mise en quarantaine !" Elle pense : "Sûrement encore cette maudite maladie qu'est la Soif du Sang ! Il faut maintenant qu'une métropole entière soit contaminée !" La Soif du Sang (qui est plus importante au Royaume des Francs que dans le reste du continent Greenland) est une maladie qui rend les gens agressifs et leur donne la satisfaction de faim qu'en buvant du sang de l'autre, que ce soit celui d'un vampire ou non. Et en plongeant ses crocs dans la chair, il transmet sa maladie à sa victime. C'est d’ailleurs à cause de cette épidémie que les Draculiens sont appelés “vampires” par les autres peuples. Talisa est une ville située au sud-ouest du pays, non loin de la chaîne de montagne surnommé le Croissant de Lune. Elle est surnommée “la grande technopôle”, car c'est là où est installée la plupart des entreprises d'ingénierie.

Cet article lui rappelle des souvenirs de l'orphelinat sur Nidaheim. Les Etats de l'Union Slave n'étaient pas en grande forme : la peste est apparue et a entraîné des milliers de morts. Les causes : la pauvreté et l'industrialisation. L'orphelinat dans lequel elle a grandi a été contaminé trois fois, et Gwenda a survécu !

Soudain, une voiture, tractée par deux robots-chevaux et conduite par deux Mousquetaires Tricolores, arrive. Gwenda se demande pourquoi ils sont ici. L'un d’eux, un petit costaud, descend de la voiture et se dirige vers elle. Son sixième sens ne lui prédit pas de bonnes nouvelles...

• Nous vous arrêtons pour le vol d'un insigne appartenant à la Compagnie des Mousquetaires Blancs ! déclare le petit costaud.
• Pardon ?! dit-elle, étonnée. Vous faîtes erreur !
• Non, nous ne faisons jamais d'erreur ! Montrez-nous l'objet volé !

Méfiante, elle sort l'insigne des Mousquetaires Blancs de sa poche. Déjà, quelques regards indiscrets se posent sur elle et la considèrent comme une criminelle. L'autre Mousquetaire, le grand rachitique, s'exclame :

• La voilà, notre voleuse ! Qu'on l'enferme !
• QUOI ?! Vous ne pouvez pas m'enfermer comme ça !
• Si, on a un mandat d'arrestation ! objecte le petit costaud. Un Mousquetaire Tricolore nous a envoyé un message par radio pour dire qu'il a vu une extradraculienne rousse avec un insigne des Mousquetaires Blancs. Nous avons donc une raison de vous arrêter !

"Le traître !" pense-t-elle à celui qui l'a informé que le propriétaire de l'insigne était à Parisia. Le petit costaud ordonne à Gwenda de lever ses mains. Elle obéit, préférant ne pas créer d'histoire. Le grand rachitique sort les menottes pendant que son collègue enlève toutes les armes qu'elle a sur elle : épée, arc, couteau et même le carquois. Une pensée vient à son esprit : "Quand ils m'emmèneront en prison, je ne pourrais plus jamais sortir et venger la mort de Gauvain !" En effet, dans ce pays, il est rare que des prisonniers quittent la prison. La majorité d'entre eux y meurent. Dès qu'ils sont arrêtés par la police, ils sont tout de suite enfermés, sans preuve. Le pire dans l'histoire, c'est qu'au Royaume des Francs, on peut accuser n'importe qui de n'importe quoi ! Les accusés ne peuvent pas se défendre car ils n'en ont pas le droit. Seule la Reine juge... Par un simple mail. Les prisonniers peuvent toujours attendre sa clémence : elle les libère que très rarement.

Une seule solution s'offre à elle : fuir.

• Non ! Hors de question qu'on m'enferme !

Elle donne un coup de pied sur le ventre de celui qui tient les menottes. Propulsé en arrière, il tombe à cinq mètres d'elle. Impressionné par sa force, son collègue reste sur place. Tout le monde aux alentours se tourne vers la scène, ébahi. Elle profite de ce moment d’inattention pour s'enfuir vers la gare.

• Attrape-la ! hurle le grand rachitique.

Bien qu'elle soit très rapide pour une non-vampire, les Draculiens le sont encore plus. Le petit costaud la rattrape vite fait, comme un léopard qui poursuit une antilope. Elle tombe en avant et atterrit sur le ventre. Le choc lui fait mal. Le Mousquetaire, assis sur son dos, lui fait une clé pour l'immobiliser. Elle se débat, en vain. Il attache ses poignets avec les menottes. Pendant ce temps, les civils, qui se sont arrêtés, observent le spectacle.

• Suivez-nous ! hurle-t-il.

Ils la soulèvent par les bras.

• Oh ! Purée ! Tu n'es pas grosse mais tu es lourde !
• Mon poids vous emmerde ! s'exclame-t-elle.

Ils l'amènent difficilement vers la voiture hippomobile. Ils la font monter à l’arrière et ferment la portière derrière elle. Elle s'assied sur le banc en bois en faisant la moue. Elle déteste être enfermée dans une pièce étroite : cela lui fait rappeler les punitions à l'orphelinat. Le petit costaud se lève sur ses orteils pour la regarder à travers les barreaux de la petite fenêtre.

• Tu vas pourrir en prison !
• Je vous préviens, je suis difficile à vivre ! le défie-t-elle. Vous aurez les cernes sous les yeux demain !
• C'est ce qu'on va voir !

La voiture démarre. Les témoins regardent la voiture s’éloigner de la gare.